Les élections allemandes approchent à grands pas. Elles présentent deux particularités. D’une part, ce seront les 2e élections anticipées depuis la chute du mur de Berlin. D’autre part, le modèle économique allemand doit être révisé de fond en comble. Or, selon nous, le marché tend à surestimer la volonté du prochain gouvernement de s’attaquer aux défis auxquels l’Allemagne est confrontée, et ce, même s’il en a les capacités. Il est encourageant de constater qu’un nombre croissant de citoyens et d’entreprises appellent à des mesures radicales. Cependant, la classe des dirigeants politiques au pouvoir semble ne pas vouloir s’adapter à la démondialisation.
Un modèle remis en question
Les piliers de la croissance de l’économie allemande ont subi une érosion progressive ces dernières années, car ils étaient basés sur le postulat d’un monde globalisé et stable dans lequel les échanges commerciaux étaient relativement libres. Cette situation a commencé à changer après la crise financière de 2008-2009, et le changement s’est accéléré à la suite des chocs internationaux qui ont affecté l’Allemagne. Sur le plan de ses intrants, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a eu pour conséquence la fin de l’énergie bon marché, un facteur déterminant pour la compétitivité de l’industrie allemande. Ceci, combiné à un mix énergétique qui manque de stabilité, se traduira par des prix de l’énergie nettement plus élevés en Allemagne que dans la plupart des autres pays européens.
Sur le plan des exportations, le contexte international a également changé pour l’Allemagne. La Chine, qui était traditionnellement l’un des importants débouchés pour ses produits à haute valeur ajoutée, est devenue un concurrent sur ses autres marchés. De plus, au vu de la faiblesse de sa demande intérieure, la Chine ne pourra qu’accentuer son orientation vers l’export au moyen de produits bon marché et largement subventionnés.
L’Allemagne se doit de repenser son modèle économique. Mais, il paraît peu probable que les dirigeants politiques actuels sachent exactement quoi faire.
Par conséquent, l’Allemagne se doit de repenser son modèle économique. Mais, il paraît peu probable que les dirigeants politiques actuels sachent exactement quoi faire. Pour réorienter l’économie domestique et évaluer les politiques et réformes nécessaires pour retrouver la voie de la croissance, il leur faudrait faire preuve d’une très grande flexibilité. Il existe en effet une dichotomie entre les souhaits des différents agents économiques. Les entreprises et les consommateurs veulent principalement que le gouvernement résolve les problèmes qui découlent des prix élevés de l’énergie et ceux liés à une réglementation excessive. Or, la lecture des programmes des partis les mieux placés pour entrer dans le nouveau gouvernement montre que ces deux thématiques ne sont abordées que de manière très marginale, alors qu’elles requièrent une approche d’ordre structurel.
La dette restera limitée
Les marchés mettent l’essentiel de leurs espoirs dans le fait que le prochain gouvernement allemand va revoir le frein à l’endettement mis en place lors de la crise financière de 2009 dans le but de garantir la stabilité financière du pays. La règle actuellement en vigueur veut que toute dépense structurelle supplémentaire engagée par le gouvernement allemand ne dépasse pas 0.35% du PIB, une proportion qui est généralement considérée comme nettement insuffisante pour permettre à l’Allemagne de satisfaire ses besoins d’investissement croissants. Dans la situation actuelle, ces espoirs du marché nous paraissent vains. Si l’on en croit les sondages, dans le meilleur des cas, la probabilité que les élections aboutissent une fois encore à une coalition CDU/CSU et SPD semble très élevée. Or c’est précisément cette coalition qui a gouverné l’Allemagne durant la décennie qui a précédé le gouvernement actuel, et ce à une époque où les principaux piliers du modèle de croissance du pays commençaient déjà clairement à s’éroder. Rien n’indique qu’elle en ait pris conscience et envisagé les mesures à prendre pour résoudre ce problème.
Tout récemment, la probabilité que les élections aboutissent à une coalition à trois, CDU/CSU, SPD et les Verts, s’est accrue. Si un tel scénario devait se réaliser, le potentiel de réforme serait limité du fait des idéologies très différentes de ces partis. En outre, une révision du frein à l’endettement ou la création d’une enveloppe spéciale hors budget destinée aux dépenses militaires exigerait une majorité des deux tiers. Or, selon les sondages, la probabilité que les partis qui se sont engagés à ne pas procéder à des réformes budgétaires arrivent à constituer une minorité de blocage d’un tiers s’accroît. En fin de compte, toute révision du frein à l’endettement sera limitée et la proposition la plus aboutie en la matière émane de la Bundesbank. Cette dernière propose d’adopter une approche pas-à-pas selon laquelle le déficit structurel peut augmenter plus (lorsque le ratio endettement/PIB est relativement bas) ou moins (lorsque ce ratio est relativement élevé) en fonction du niveau d’endettement. Par conséquent, même si cette mesure peut s’avérer bénéfique pour la croissance, son effet sera très limité.
Après la pluie, le grand beau temps
L’Allemagne cherche à s’adapter à un monde qui évolue, elle n’est ni la première ni la dernière. Il n’y a rien d’anormal au fait que la classe dirigeante éprouve des difficultés à comprendre et à accepter la situation actuelle et à y réagir. Elle dispose encore d’un certain temps pour le faire. Mais il est tout aussi évident que les entreprises et les consommateurs souffrent et s’en plaignent de plus en plus ouvertement. C’est aux politiques qu’il appartient de saisir ce message. Le changement se produit fréquemment après un « moment Minsky » et ses coûts économiques et sociaux sont élevés. Fort heureusement, nous n’en sommes pas là. Néanmoins, il convient de rappeler qu’une période difficile à court terme peut ouvrir la voie à des gains à long terme.