Le peuple suisse devra s’exprimer le 22 septembre sur la réforme de la prévoyance professionnelle. Le projet propose non seulement une baisse du taux de conversion mais aussi des adaptations par exemple en faveur des bas salaires et des salariés à temps partiel. Mais comme chaque assuré représente un cas particulier, le public peine à savoir qui seront les gagnants et les perdants. Le conseiller en prévoyance PensExpert a lui-même effectué une étude à ce sujet. Jörg Odermatt, président du conseil d’administration de PensExpert, répond aux questions d’Allnews :
Est-ce qu’une majorité d’assurés va profiter de la réforme ou au contraire en pâtir?
La situation diffère d’une caisse de pension à l’autre. Le résultat dépend aussi souvent du montant de la prime d’épargne que l’employeur devra financer.
Vous avez réalisé une analyse des gagnants et les perdants au sein des PME. Quels en sont les principaux enseignements?
La réforme crée clairement davantage de gagnants que de perdants. Chaque caisse de pension est un cas particulier. J’estime qu’il est raisonnable d’affirmer que de manière très générale, environ 60-70% des assurés feront partie des gagnants.
«Il ressort que la barre séparant les gagnants et les perdants se situe à partir de 60’000 francs».
Quel est le profil des gagnants et des perdants?
Il y a plusieurs facteurs importants. Notamment, les salaires situés dans la moyenne feront partie des perdants et les bas salaires figureront parmi les gagnants. Et les jeunes seront pénalisés par rapport aux plus âgés.
Qu’en est-il des résultats en fonction du genre?
Il est très difficile de fournir une estimation en fonction du genre. Le salaire et le taux d’activité sont les deux principaux facteurs de différenciation.
Une grande partie des femmes ont un travail partiel, ce qui réduit le montant de l’avoir de vieillesse. Les différences de rentes entre hommes et femmes sont presque toujours la conséquence du travail à temps partiel. Le «gender pension gap» diminuera si les femmes augmentent leur temps de travail puisque leur capital de prévoyance en sera nettement amélioré. Si une femme entend continuer de travailler à 50% et son mari à100%, son sort ne sera guère amélioré au moment de la retraite, si ce n’est qu’elle profitera de la diminution du montant de coordination.
Mais une personne qui compte plusieurs employeurs profitera immédiatement de la réforme puisque le montant de coordination sera diminué et le salaire assuré augmenté, surtout pour les bas salaires.
Où se situe la barre qui distingue les gagnants de la réforme, soit les bas salaires, et ceux qui en souffrent, les salaires moyens?
En vertu de notre analyse, il ressort que la barre séparant les gagnants et les perdants se situe à partir de 60’000 francs et l’âge de 55 ans pour un assuré qui travaille à 100%.
Les salariés à temps partiel profitent-ils de la réforme?
Ils profitent de la réforme à travers la baisse du montant de coordination et du seuil d’entrée, mais la question porte ici sur le financement d’une moitié de la prime d’épargne. Le grand défi pour les bas salaires sera de financer l’amélioration du salaire assuré.
Votre étude porte sur les PME. Est-ce que le résultat de la réforme sera différent pour ce type d’entreprise?
Leur situation est différente de celle des autres entreprises par leur plus grande difficulté à financer la prévoyance. Les PME rechignent à financer la baisse du montant de coordination et 50% d’une prime plus élevée. C’est pourquoi de nombreuses PME ne soutiennent pas cette réforme.
Est-ce que l’opposition provient des plus petites ou des plus grandes PME?
L’attitude dépend surtout du domaine d’activité. Une entreprise de la construction ou un coiffeur peineront à accroître le financement du système de prévoyance.
Est-ce qu’avec la réforme du 2e pilier les PME doivent payer davantage pour offrir les mêmes prestations?
Les PME, comme les grandes entreprises, devront payer davantage pour financer la prime d’épargne et la prime de risque parce que le montant de coordination sera diminué et le salaire assuré accru. L’augmentation est difficile à préciser.
«Si un rendement du capital de prévoyance n’atteint pas 2%, il y aura une perte de pouvoir d’achat.»
La complexité de la réforme et du système de prévoyance est telle qu’il est difficile de communiquer clairement au peuple et d’expliquer, dans la perspective de la votation, quels individus et quelles entreprises sortiront gagnants ou perdants. Le résultat est différent d’une entreprise à l’autre et d’une branche d’activité à l’autre. Aujourd’hui déjà, les grandes entreprises, davantage que les PME, ont diminué le montant de coordination, si bien qu’elles paient déjà davantage pour les employés.
Croyez-vous que la réforme sera approuvée par le peuple?
Non, je ne le crois pas. L’érosion de la confiance à l’égard du système de prévoyance a été accrue par l’erreur de calcul de 4 milliards commise par l’Office fédérale des assurances sociales à l’égard de l’AVS. Il est possible d’argumenter en faveur d’une baisse du taux de conversion, mais sans la confiance du peuple un «oui» du peuple n’est guère possible. La LPP n’est pas l’AVS mais aux yeux d’un grand nombre de votants les deux domaines souffrent d’un même manque de confiance.
Personnellement, j’approuverai la réforme parce que le taux de conversion doit être abaissé pour prendre en compte la bonne nouvelle que constitue l’augmentation de la longévité des assurés.
L’abaissement du taux de conversion ne concerne que 15% des assurés. Est-ce que cela signifie que les autres 85% s’appuieront sur d’autres aspects de la réforme pour dire «non»?
Les autres 85% financeront aussi le fait que le taux de conversion soit trop élevé. Si l’assuré dispose d’une prévoyance surobligatoire, l’institut de prévoyance utilise la partie surobligatoire pour financer le capital de la partie obligatoire. L’assuré ne remarque pas le changement mais il le finance.
La confiance diminue-t-elle aussi du fait de la baisse des rentes de 6% sur cinq ans dans le 2e pilier, comme l’a montré une étude de VZ?
Oui, sans doute.
Comment réduire ce manque de confiance envers la prévoyance?
J’insiste toujours sur le besoin de formation et d’explications de la prévoyance afin de sortir d’un débat idéologique. C’est la seule réponse possible, et Il faut offrir des formations en assurances sociales et prévoyance dans les universités et écoles supérieures. L’idée d’une longévité accrue est reconnue, mais le problème lié au taux de conversion n’est pas compris.
En cas de refus de la réforme par le peuple, comment les autorités devraient-elles réagi et présenter des réformes susceptibles d’obtenir un consensus?
En cas de «non» le 22 septembre, il faudra immédiatement imaginer un nouveau paquet de réforme et surtout séparer les problèmes. Il s’agira alors de présenter une nouvelle réforme qui ne traite pas du taux de conversion mais qui inclut trois points: la baisse du montant de coordination, une amélioration de la situation pour les femmes qui travaillent à temps partiel, et de meilleures conditions pour les bas salaires en réduisant nettement le seuil d’entrée. Ce programme serait approuvé à droite et à gauche. Mais la majorité ne veut pas d’une baisse du taux de conversion.
Est-ce que le système de prévoyance est trop coûteux ou est-il bien géré ?
L’AVS nécessite un fort degré de liquidité, ce qui réduit nettement sa performance. La prévoyance professionnelle peut atteindre un rendement d’environ 2-3% supérieur à celui de l’AVS. La principale question n’est pas de savoir si l’industrie financière en profite mais plutôt de connaître la performance nette de l’assuré sur une base nette, après la déduction de l’ensemble des coûts. Le deuxième pilier est clairement plus rentable que l’AVS, même si l’industrie financière en profite.
Mais comme l’a montré l’approbation de la 13e rente AVS, il est plus facile de motiver le peuple à accepter une augmentation des dépenses sans présenter son financement. Au final, l’appel à l’état pour financer de nouvelles prestations se répercute sur l’économie et affaiblit celle-ci. Il en résulte en effet une hausse du coût de la vie et des impôts.
L’exemple récent de l’Allemagne traduit ce déclin de responsabilité individuelle sur les questions de prévoyance qui conduit à un affaiblissement structurel de l’économie allemande.
Avec une inflation qui descendra à 1,2% l’an prochain et un 2e pilier qui se base fortement sur le rendement des obligations de la Confédération à 10 ans (0,4-0,5% aujourd’hui), la principale question n’est-elle pas d’éviter une perte de pouvoir d’achat de la fortune du 2e pilier?
Si un rendement du capital de prévoyance n’atteint pas 2%, il y aura une perte de pouvoir d’achat. L’idéal sera d’obtenir un rendement de 3-4% net.
Mais l’assuré n’a pas 100% de la performance de la caisse de pension, ne faut-il pas davantage que 3%?
Comme il n’existe pas d’individualisation de la stratégie de placement pour les salaires de moins de 132'000, mais une stratégie collective définie par le conseil de fondation de la caisse de pension, en tant que représentant de tous les assurés, l’assuré n’obtient effectivement qu’une partie de la performance de la caisse de pension. Si le rendement de la caisse de pension s’élève à 4%, l’assuré n’aura vraisemblablement que 2 à 2,5%.