Pilier 3a: deux regrettables limitations

Emmanuel Garessus

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Jörg Odermatt, de PensExpert, critique les limitations du Conseil fédéral aux rachats dans le pilier 3a. Il montre aussi comment profiter de la hausse du taux minimum LPP.

La prévoyance s’apprête à vivre des changements structurels importants tandis que les autorités viennent de procéder à une modification des rachats possibles dans le 3ème pilier a. Les caisses de pension s’adaptent à la hausse des taux d’intérêt et du taux minimum LPP. Et, sur le plan politique, l’incertitude pèse sur les 3 votations majeures de 2024 qui influenceront grandement l’avenir du système des 3 piliers. Jörg Odermatt, président du conseil d’administration de PensExpert, et Edric Speckert, responsable de PensExpert pour la Suisse romande, répondent aux questions d’Allnews:

Que pensez-vous de la décision du Conseil fédéral de faciliter les placements 3a en ajustant à la hausse les montant possibles?

Dans son communiqué du 22 novembre, le Conseil fédéral autorise les refinancements dans le pilier 3a mais de façon très limitée. La décision répond à une motion d’Erich Ettlin (Conseiller national OW) qui proposait de refinancer toutes les lacunes dans le pilier 3a.

Des rachats seront possibles, mais il s’agira néanmoins de respecter deux limitations: tout d’abord, si un assuré dispose de lacunes de prévoyance 3a, il pourra procéder à des rachats à hauteur d’au maximum 7’056 francs par année, mais pas davantage. Prenons un exemple concret avec un assuré de 60 ans: si, par exemple cet assuré a une lacune de 21’000 francs, il pourra la rattraper sur 3 ans. Si ses lacunes se montent à 50’000 francs, l’équivalent de 7 années de versement, il pourra refinancer cette lacune mais seulement partiellement.

«L’initiative pour une 13e rente AVS pourrait être acceptée même si la question de son financement n’est pas résolue».
Quelle est la 2e limitation?

L’assuré ne pourra combler des lacunes que si elles ont été créées au cours des dix dernières années. Si une personne qui a pris un congé pour éduquer ses enfants – donc qui aura probablement des lacunes de prévoyance 3a – reprend un travail, elle ne pourra procéder à des rachats que si les lacunes sont intervenues durant les 10 dernières années.

Nous regrettons ces deux limitations – 7’056 francs par an et le délai de 10 ans – car elles ne répondent pas correctement à l’esprit de la motion d’Erich Ettlin. Ces décisions pénalisent en effet grandement les personnes qui auront pris une longue pause professionnelle. A l’origine des discussions parlementaires, nous espérions que le montant des rachats possibles puisse atteindre 35’280 francs par an tous les 5 ans. La consultation portant sur cette ordonnance durera jusqu’au 6 mars 2024 ; des modifications sont donc encore envisageables car la mise en œuvre est attendue en 2025.

Est-ce une décision prise par le Conseiller fédéral Alain Berset?

Le projet d’ordonnance est présenté par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). La motion a été traitée avec une grande lenteur puisqu’elle a été déposée en 2019.

Quel est le signal de cette décision pour l’avenir de la prévoyance?

L’objectif du 1er et du 2e pilier est d’assurer conjointement 60% du dernier salaire.  Cet objectif est malheureusement de moins en moins souvent atteint à la suite de la baisse continue du taux de conversion. C’est pourquoi le financement des lacunes du pilier 3a devient un élément toujours plus important pour permettre d’obtenir un revenu suffisant une fois arrivé à la retraite.

Quelle est votre opinion à l’idée de cotiser pour le 2 pilier après la retraite?

C’est une excellente idée. Les employeurs peinent à trouver la main d’œuvre qualifiée et sont prêts à faire appel à des retraités durant quelques années, par exemple à taux partiel. Il faut garder à l’esprit que le marché du travail devrait être à l’avenir toujours plus tendu pour des raisons démographiques. Les employeurs pourraient offrir une incitation au travail des retraités en éliminant le montant de coordination: il leur serait par exemple possible de créer un plan de prévoyance séparé pour les travailleurs plus âgés, par exemple dès 60 ans. Mais il y a encore un problème légal qui subsiste: un retraité ne peut être affilié à une caisse de pension que s'il n'a pas encore atteint l'âge AVS, c’est-à-dire 65 ans. Ainsi, un employeur ne peut plus affilier une nouvelle personne de 66 ans dans sa caisse de pension. Cette disposition légale n'est plus adaptée à notre époque et devrait être rapidement corrigée.

En 2024, le taux minimum LPP sera accru de 0,25% et porté à 1,25%. Comment les caisses de pensions peuvent-elles en profiter?

Dans un environnement de taux d'intérêt négatifs, il était difficile pour les caisses de pension ayant peu ou pas de réserves disponibles d'atteindre le taux d'intérêt minimal. Mais aujourd'hui, la situation a profondément changé. Ainsi, même les placements sur le marché monétaire offrent des taux d'intérêt supérieurs au taux d'intérêt minimal LPP qui passera à 1.25% en janvier 2024. Malheureusement, la redistribution continuera de prévaloir, car le taux de conversion actuel de 6,8% dans le régime obligatoire demeure encore beaucoup trop élevé.

Quelle est la solution pour favoriser une réduction de la redistribution?

Tant que le taux de conversion obligatoire de 6,8% ne sera pas réduit de manière significative, la redistribution persistera. Une possibilité d'éviter la redistribution est de recourir à un modèle de prévoyance dit de «splitting». Dans ces modèles, la partie surobligatoire (pour les salaires supérieurs à 88'200 ou à 132'300 francs) est gérée séparément et l'avoir de prévoyance surobligatoire ne peut plus être utilisé pour financer le domaine obligatoire. Dans ce domaine du 2ème pilier, il n'y a pas de taux d'intérêt minimum légal à verser, mais les capitaux de prévoyance peuvent être davantage investis dans des valeurs réelles telles que les actions, les matières premières et l'immobilier et atteindre de ce fait à long terme un rendement plus élevé pour les assurés.

«Une possibilité d'éviter la redistribution est de recourir à un modèle de prévoyance dit de «splitting».
Le problème n’est-il pas dans un trop bas niveau de vie à la retraite en Suisse?

Il n’est pas facile d’accepter une baisse du niveau de vie. La baisse du taux de conversion pénalisera une grande partie de la population durant quelques années. Mais il est possible d’améliorer le système en cotisant davantage dans le 2ème pilier ou en effectuant des rachats dans le pilier 3a. A l’image de l’introduction de l’AVS en 1948, chaque changement du système crée des gagnants et des perdants à court terme en vue d’assurer un système pérenne et solide pour tous à long terme.

Le citoyen qui a refusé les 6 semaines de vacances avec la conscience de ses effets négatifs à long terme est-il en train de perdre confiance envers la politique et de voter en fonction de ses intérêts personnels à court terme?

Il semble que c’est malheureusement le cas. Avec la baisse généralisée du pouvoir d’achat, les citoyens peinent à accroître leur épargne. Ils se montrent donc réticents à soutenir des mesures visant à rendre le système plus solide et durable et à accepter un sacrifice à court terme à travers une baisse du taux de conversion. L’idée d’un 13e versement de l’AVS s’inscrit exactement dans cette logique. On suppose que l’augmentation de la prestation soit possible sans régler la question primordiale de son financement. Il est extrêmement facile pour les initiants de se présenter en héros en distribuant de l’argent public à tout le monde.

Le système de prévoyance est très politique. Quel sera le signal à long terme d’un oui à l’initiative pour une 13e rente AVS et d'un non à la réforme du 2ème pilier et à l’initiative des jeunes PLR? Le message sera-t-il que les Suisses veulent renforcer le 1er pilier?

La majorité tend à privilégier aujourd’hui le renforcement de l’AVS qui est basée sur un système de redistribution. L’initiative pour une 13e rente AVS pourrait être acceptée même si la question de son financement n’est pas résolue. La proposition des jeunes PLR est logique et raisonnable, mais elle n’aura à mon avis guère de chance de passer dans les urnes. Le résultat de la réforme LPP sera quant à lui extrêmement serré. Il sera crucial d’expliquer en détail les raisons de la baisse du taux de conversion. En outre, le taux de participation des jeunes à la votation sera déterminant puisque c’est la génération qui aura le plus à gagner à long terme d’une telle réforme.

Le défi de toute entreprise est d’augmenter ses prix. Est-ce que vous augmentez les vôtres?

Nous gérons actuellement 3 milliards de francs dans nos solutions de prévoyance Bel-Etage et 5 milliards de francs à travers nos deux fondations de libre passage. Nos prix n’augmenteront pas en 2024 et nos primes de risque resteront inchangées. Le tarif de notre offre demeure raisonnable pour un domaine aussi complexe que celui de la prévoyance. Pour les solutions Bel-Etage, les primes de risques peuvent être très basses grâce aux économies d’échelles. A l’avenir, le défi pour PensExpert sera de créer de la valeur à travers de nouvelles propositions.

Quelle proposition pourriez-vous prochainement offrir au marché?

L’une d’entre elles se rapproche de celle qui a été introduite avec succès en Allemagne, avec un compte de prévoyance lié aux phases de vie qui dépend notamment des divers événements et étapes de la vie professionnelle. Le capital d’épargne temps peut être mis à disposition pour des périodes sabbatiques, un congé parental ou une formation. Une telle solution n'est pas prévue par le droit actuel de la prévoyance suisse, mais elle correspondrait aux besoins actuels du marché du travail. Le défi est avant tout régulatoire et fiscal, mais il nous paraît cependant possible de trouver une solution qui ne nécessiterait pas de créer forcément une nouvelle loi.

Quelles nouvelles tendances de la demande de prévoyance observez-vous chez PensExpert?

En 2000, nous avons développé avec notre fondation PensFlex la première fondation 1e de Suisse à travers laquelle chaque assuré peut choisir lui-même sa propre stratégie de placement parmi un maximum dix stratégies disponibles. Malheureusement, le législateur a réduit en 2018 le taux d’intérêt pour les rachats de 2% à 0% dans les plans 1e, si bien que les capacités de rachat de ces plans de prévoyance ont beaucoup diminué.

A travers notre nouvelle solution «1e Power», nous proposons d’introduire sur la même partie du salaire que les plans 1e, à savoir entre 132’300 à 882’000 francs, un second plan de prévoyance PensUnit, et nous rajoutions des bonifications d’épargne supplémentaires. Au total, avec les deux solutions de prévoyance combinées, la bonification d’épargne totale peut atteindre en moyenne environ 30% - 32%. Cette bonification d’épargne plus élevée permet d’accroître très fortement les capacités de rachat.

Disposez-vous aussi de solutions pour des salaires plus modestes?

Oui, grâce à nos plans PensUnit, qui sont accessibles dès 88'200 francs par an. Lancée en 2018, PensUnit compte plus de 900 affiliés avec 1,1 milliard de francs de capital de prévoyance.

Comment qualifier l’année 2023 de PensExpert? Une année record?

L’année devrait être en principe très bonne, mais la fin de l’année demeurera toutefois décisive. Nous devrions en principe atteindre nos objectifs. Actuellement, nous profitons des rachats, lesquels interviennent en grande majorité entre les mois de novembre et décembre.

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