2e pilier: pour une scission de la réforme

Emmanuel Garessus

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Les mesures concernant le marché du travail doivent être séparées du reste de la réforme, selon Jörg Odermatt, de PensExpert.

PensExpert est un acteur majeur de la prévoyance professionnelle en Suisse et le leader des solutions de prévoyance individualisées. Ses actifs gérés ont «un peu reculé» en 2022, passant de 7,8 à 7,5 milliards de francs, pour des effectifs totaux de 70 employés. La performance a en effet été négative pour l’ensemble de la branche l’an dernier avec une baisse de 10% en moyenne pour les caisses de pension. L’entreprise prévoit toutefois une croissance des actifs de 10 à 15% par an sur le long terme. PensExpert participe aussi activement au débat politique sur la prévoyance, comme le montre Jörg Odermatt, président du conseil d’administration de PensExpert qu’Allnews a pu rencontrer avec Edric Speckert, responsable pour la Suisse romande.

Les réformes du système de retraite peinent à convaincre en Europe. Celle du 2ème pilier peut-elle faire exception?

Jörg Odermatt: La Suisse a l’avantage de pouvoir compter sur un système de prévoyance diversifié qui repose sur trois piliers dont chacun est financé de manière autonome. Cette diversification renforce la stabilité du système social. La France et l’Allemagne se concentrent sur le système de répartition et rencontrent de grandes difficultés de financement de leurs retraites. La dette publique de la France s’établissait à près de 3'000 milliards d’euros en février dernier et le système de retraite coûte au pays plus de 300 milliards d’euros par an. L’UE fait pression pour qu’elle réduise ses dépenses liées aux retraites.

En Suisse, une réforme de la prévoyance est toutefois nécessaire parce que le marché du travail s’est profondément transformé depuis l’introduction du 2e pilier en 1985. Le travail partiel et les situations d’emplois multiples se sont fortement accrus au cours de la dernière décennie.

Un référendum est déjà prévu. Qu’en pensez-vous?

Je suis persuadé que le peuple suisse se prononcerait contre tout projet prévoyant une baisse du taux de conversion de 6,8 à 6%. La baisse du taux de conversion impliquerait mécaniquement une baisse du niveau des rentes.

Dans ce cas, que proposez-vous?

Personnellement, je suis favorable à une scission du paquet de réforme. Je pense que l’on devrait modifier le paquet de la réforme du 2e pilier et introduire dans un premier temps les éléments portant sur le marché du travail pour s’attaquer plus tard, séparément, à la baisse du taux de conversion. Une réforme partielle pourrait être rapidement mise en œuvre, sans risque de référendum.

Avec ma proposition, une partie clé de la réforme pourrait être rapidement mise en œuvre.

La réforme du 2e pilier débat en effet de deux grands aspects. Le premier concerne l’adaptation des bonifications de vieillesse et l’autre l’abaissement du taux de conversion. Ce premier aspect porte sur le niveau des cotisations selon l’âge des assurés (hausse du taux d’épargne pour les jeunes et baisse pour les seniors), la diminution du montant de coordination (abaissement plus ou moins fort par rapport aux 25’725 francs actuels) et le seuil d’entrée (actuellement fixé à 22’050 francs). Ces trois points peuvent, à mon avis, faire l’objet d’un compromis entre les principaux partis politiques du pays sans trop de difficultés.

Avec ma proposition, une partie clé de la réforme pourrait être rapidement mise en œuvre. Et les personnes travaillant à temps partiel ou ayant des emplois multiples trouveraient enfin une solution adaptée à leur situation et profiteraient d’une prévoyance professionnelle nettement meilleure.

Est-ce que votre proposition est acceptée par certains milieux politiques?

Non, pas encore. Cependant, j’ai déjà eu divers échanges avec des élus à Berne qui ont montré de l’intérêt. Il semble néanmoins qu’il y ait peu de chances que cela aboutisse à ce stade.

Les réformes nécessitent souvent une situation de crise. La pression est-elle insuffisante?

Effectivement, la pression existe, mais elle n’est pas assez visible. Les salariés ont financé les rentiers à hauteur d’un montant annuel situé entre 4 et 7 milliards de francs au cours des dernières 10 années, mais ils ne s’intéressent guère à la problématique de la redistribution. Les personnes plus âgées risquent de privilégier le statu quo.

Il faudrait que chaque caisse de pension communique à chacun des assurés le montant avec lequel il finance les rentiers pour améliorer sa prise de conscience du processus de redistribution. Je suis favorable à ce que l’on oblige les caisses de pension à le communiquer aux assurés.

Les taux d’intérêt sont en hausse. A partir de quel niveau le taux de conversion de 6,8% redeviendrait correct sous l’angle économique?

La hausse des taux d’intérêt exerce une influence favorable dans le sens où elle réduit le déséquilibre actuel. Mais elle est trop faible pour justifier un taux de conversion de 6,8%. Un taux de conversion de 5% serait plus ou moins correct sous l’angle économique. La question du taux de conversion intègre aussi une deuxième dimension très importante, à savoir l’espérance de vie, laquelle demeure en hausse.

Le changement de régime de taux d’intérêt ne devrait-il pas remettre en question les directives de placement OPP2 dans la mesure où le risque est supérieur pour les obligations souveraines?

Tout dépend du taux de couverture de la caisse de pension. Si ses réserves sont suffisantes, elle pourrait accroître la part des actions. En vertu des directives de l’OPP2, la part des actions peut atteindre plus de 50% si la caisse de pension est en bonne santé financière (à partir de 120% de taux de couverture).

L’employeur peut choisir une solution de placement individualisée 1e à partir d’un niveau de salaire de 132'300 francs. Chaque assuré définit alors sa propre stratégie de placement. Malheureusement, aujourd’hui, en dessous de 132’300 francs, les solutions de placement sont purement collectives

La barre est hélas placée à un niveau très élevé. J’ai de la peine à l’accepter, sachant que la part obligatoire de la LPP porte jusqu’à 86’040 francs. Pourquoi ne pas ouvrir des solutions 1e à partir de ce niveau si les employés et les employeurs y trouvent un intérêt? La loi a décidé de pénaliser la classe moyenne et de fermer la porte à cette diversification de la LPP.

Il est toutefois possible que le public soit peu informé de cette situation. La numérisation pourrait attirer l’attention des jeunes et contribuer à leur formation sur ce problème.

Existe-t-il une voie alternative pour les entreprises?

Les employeurs et les salariés sont attirés de plus en plus par les modèles dits de «splitting».

Une entreprise choisit en effet de plus en plus l’option d’avoir deux caisses de pension, un plan de base et un second plan extra-obligatoire. Environ 20 à 30% des employeurs optent pour un «splitting», généralement dans des entreprises de la branche des services.

Avec le «splitting», l’entreprise réduit l’effet de redistribution. L’avoir de vieillesse ne finance plus totalement la partie obligatoire. L’opposition de la gauche, sous prétexte d’un manque de solidarité, rate sa cible. Le 2e pilier n’a pas pour objectif la solidarité entre les assurés au niveau des bonifications vieillesse. C’est un système de capitalisation au sein duquel l’assuré finance sa propre retraite. La solidarité existe évidemment à travers la couverture des risques d’invalidité et de décès, mais pas pour la partie liée à l’épargne.

Avec la pénurie de main d’œuvre qualifiée, que proposez-vous en matière de prévoyance professionnelle?

La première mesure consiste à réduire le montant de coordination (25'725 francs). Il faut répondre efficacement aux défis du travail à temps partiel et de l’emploi multiple.

Le Conseil fédéral cherche à le réduire de moitié, soit à 12'863 francs. Mais le Conseil des Etats préfère quant à lui une solution correspondant à 15% de la rente AVS maximale, c’est-à-dire nettement moins que le Conseil fédéral. Mais le problème tient moins à la réduction elle-même qu’à une prise en compte unique de ce montant pour les emplois multiples.

Je pense par exemple au secteur de la santé. Un assuré travaillant aujourd’hui à 20% serait incité à accroître son temps de travail si cette augmentation permettait non seulement une hausse de revenu mais aussi de son avoir de vieillesse. Pour cela, il faudrait s’attaquer au problème du montant de coordination. Je pense notamment à l’intégration des femmes avec enfants qui sont pénalisées par la réglementation du travail à temps partiel et les emplois multiples. Cette problématique concerne également les gens qui travaillent à a fois en tant qu’employé et en tant qu’indépendant.

Combien coûterait aux employeurs la suppression du montant de coordination?

Une entreprise en quête d’un personnel qualifié devrait réfléchir à financer entièrement cette mesure. Mais, pour l’instant, peu d’entreprises le font. En fonction de l’âge de l’assuré, cela coûterait entre 1800 et 4600 francs par an et par assuré.

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