L’été a été riche en émotions pour les investisseurs. Mais une forte reprise est en cours qui bénéficie tant aux actions qu’aux obligations. Quelle attitude adopter à l’approche de l’automne? Carlos Mejia, CIO Rothschild & Co, répond aux questions d’Allnews:
Quelle est votre interprétation de la correction des marchés au début août?
Les acteurs cherchent à désigner le coupable de la correction, mais nous estimions depuis plusieurs mois que les marchés devenaient vulnérables à une correction. Plusieurs facteurs pointaient dans cette direction: Le premier faisait référence à la situation tendue et en partie incontrôlée au Moyen-Orient, qui s’ajoute à la situation politique incertaine dans des pays tels que la France et les Etats-Unis. Les investisseurs étaient également préoccupés par le ralentissement économique américain. Nous avions enfin observé une concentration de la hausse des actions sur un petit nombre d’entreprises, en l’occurrence sur les «7 magnifiques», tandis que l’essentiel de la cote peinait à progresser significativement. Nous attendions la correction sans pouvoir prévoir son amplitude et son agenda.
Est-ce que vous avez changé votre allocation de portefeuille dans le sillage de la correction?
Non. Nous nous sommes rencontrés après la chute des valeurs japonaises, quand la Banque du Japon a relevé ses taux. Nous avons décidé de continuer de suivre les marchés de près et d’analyser la situation mais sans modifier nos portefeuilles. A l’exception de la hausse des taux japonais, rien n’a changé au sein des fondamentaux.
«Un atterrissage en douceur se met en place qui ne nécessite pas une forte intervention de la Fed».
Nous voulions donc analyser l’impact réel de la hausse des taux japonais une fois que les investisseurs avaient couvert leurs positions «short». Nous pensions que les événements se limiteraient au Japon et n’attendions pas un rebond aussi rapide compte tenu de l’étroitesse des marchés en période estivale.
Les marchés ont déjà repris la majorité des pertes. Nous n’avons rien changé et, à mon avis, c’était la bonne décision à prendre. Nous continuons de prévoir une croissance prudemment positive, en tous les cas plus favorable que ne l’anticipent la plupart des acteurs du marché.
Face aux deux risques de récession et d’inflation, que craignez-vous le plus?
Nous anticipons un ralentissement aux Etats-Unis et partageons l’idée d’un atterrissage en douceur. Nous n’attendons donc pas de récession parce que le marché de l’emploi et la consommation restent solides. Les banques centrales ont la possibilité de répondre au recul de l’inflation par une baisse des taux d’intérêt et sont aussi capables de contrôler le ralentissement économique.
Si nous avions tort, et si une récession devait survenir, cette dernière serait très peu profonde. Le marché est avant tout préoccupé par une récession d’une amplitude si forte qu’elle nécessiterait de nombreux mois et peut-être des années avant d’être surmontée. Si une récession modérée et brève survenait, les marchés se reprendraient très rapidement.
Pratiquement, nous conseillons à nos clients de demeurer prudents. Tandis que la volatilité diminue, nous recommandons de prendre quelques bénéfices ou d’acheter des protections selon le portefeuille et le profil de risque. Mais nous ne prévoyons pas de recul persistant des marchés.
Quelle est la pondération définie dans votre portefeuille de référence?
La pondération dépend du profil de risque. Un portefeuille équilibré basé sur 50% d’obligations et 50% d’actions surpondère aujourd’hui les actions (53% au lieu de 50%) et reste neutre dans les obligations.
Quelles devraient être les prochaines étapes franchies par les banques centrales?
Jerome Powell devrait reconnaître que l’inflation a diminué à un niveau raisonnable et que les marchés s’attendent à ce qu’il baisse les taux. Je serais surpris qu’il change de rhétorique et signale une baisse des taux plus élevée que ne l’attend le marché, parce que cela perturberait ce dernier. La dernière chose que souhaite la Fed serait de provoquer une panique du marché. La rhétorique devrait indiquer une baisse modérée des taux en septembre. Nous prévoyons une baisse de 25 points de base. Il y a quelques semaines, la probabilité d’une diminution de 50 points de base s’élevait à 75%. Aujourd’hui, avec une atténuation du risque de récession, la probabilité d’un recul de 25 points de base atteint 55%. Le marché se rapproche de notre point de vue. Il est encore trop optimiste comme il l’a été depuis le début de cette année quand il anticipait jusqu’à 7 baisses de taux. La Fed voulait que l’inflation diminue mais la résilience de l’économie a empêché la banque centrale américaine de diminuer les taux jusqu’à aujourd’hui. De nombreux acteurs prévoient encore 2 à 4 diminutions. Ce n’est pas notre cas, parce que l’économie n’en a pas besoin. Un atterrissage en douceur se met en place qui ne nécessite pas une forte intervention de la Fed. Le risque serait de défaire ce qu’elle a fait jusqu’ici pour combattre l’inflation.
Si vous dites que le marché est trop optimiste, pourquoi surpondérez-vous les actions?
Même si le marché n’obtient pas ce qu’il désire, la valorisation est correcte. Après la récente correction, aussi bien les actions que les obligations sont légèrement trop chères, mais sans que cela soit inquiétant.
«Même si le marché n’obtient pas ce qu’il désire, la valorisation est correcte».
L’inflation continue de diminuer en direction de l’objectif de la Fed sans pénaliser l’activité économique. La consommation est résiliente aux Etats-Unis et en Europe tandis qu’elle se stabilise en Chine. La rentabilité des entreprises demeure solide, ainsi qu’en témoigne l’actuelle présentation de résultats trimestriels. L’augmentation des bénéfices atteint 9 à 10% sur base annuelle, soit 4 points de pourcent au-dessus des attentes. Nous continuons donc de penser que les actions disposent de meilleures chances de bien performer que les obligations et que le cash.
Quelles sont vos convictions pour 2025? Assisterons-nous à une convergence entre les grandes régions?
La convergence est souhaitée mais elle devrait être freinée par les considérations politiques. Les élections législatives françaises signalent le besoin d’une direction claire afin de rétablir la confiance du marché. En Chine, le gouvernement continue d’intervenir massivement alors que nous préférerions qu’il laisse le marché définir la tendance. Et nous avons besoin de connaître la direction prise par les Etats-Unis au sortir des élections présidentielles, en particulier à l’égard de ses partenaires.
Si la convergence souhaitée ne se concrétise pas, je ne crois pas non plus à une divergence. Les principaux pays tentent de réduire leur dépendance réciproque dans le cadre d’une attitude de «derisking» mais l’activité devrait être assez solide pour permettre la poursuite d’une bonne performance des marchés. Le seul facteur qui ferait baisser les marchés devrait venir de la situation au Moyen-Orient ou de la concrétisation de la hausse des droits de douane promise par Donald Trump s’il était élu ou de la remise en cause par le marché de son scénario sur les gains promis par l’intelligence artificielle.
Une élection de Kamala Harris serait-elle un non-événement pour les marchés financiers?
Il ne serait pas correct de parler d’un non-événement. Les marchés financiers prennent en compte la politique mais c’est l’économie qui donne la tendance. L’histoire a souvent montré que les marchés ne sont guère sensibles à la personne qui est à la tête du pays. Que le président soit républicain ou démocrate, la performance est généralement restée positive dans les deux cas. Même les craintes exprimées à l’égard de Donald Trump sont exagérées puisque sa présidence n’avait de loin pas conduit à un recul des marchés.
Existe-t-il des secteurs à éviter selon le président? La pharma? La consommation à la suite des contrôles de prix imaginés par Kamala Harris?
La pharma est à chaque élection l’objet d’un vaste débat, de l’époque d’Obama à aujourd’hui. Il en résulte un accroissement de la volatilité qui nous amène à réduire la pondération de «surpondérer» à «neutre». Mais je ne crois pas à un impact négatif de grande ampleur. Il est possible qu’une partie de la pharma traditionnelle puisse souffrir, mais la pharma est constituée de nombreux sous-secteurs. Elle s’étend à la biotech, en passant par les différents sous-traitants. La sélectivité est un facteur clé. La pharma traditionnelle devrait toutefois souffrir davantage que les nouveaux métiers de la santé.
Est-ce que vous avez réduit la part de la Big Tech dans votre portefeuille d’actions au profit d’autres secteurs de l’indice?
Nous privilégions la technologie aux autres secteurs cycliques et surtout par rapport aux valeurs défensives, malgré la forte performance des «7 magnifiques». Nous avons donc un biais technologique dans le cadre d’un scénario d’atterrissage en douceur. Au sein des cycliques, nous préférons l’industrie et la technologie, laquelle est tirée non seulement par les promesses et les réalisations de l’intelligence artificielle, mais par les énormes besoins de quantité de secteurs pour les semi-conducteurs, les ordinateurs, internet ou le Cloud.
Est-ce que la hausse s’élargira à toute la cote?
Les gains se sont d’abord concentrés sur une partie de la technologie, les «7 magnifiques». Beaucoup d’investisseurs ont raté le rallye de la Big Tech par crainte d’un fort ralentissement aux Etats-Unis. Après le rallye de la tech, nous avons anticipé une rotation à d’autres secteurs. Ce mouvement a débuté et il a même profité aux valeurs défensives. Nous avons pensé que cet élargissement était excessif. Nous ne pensons pas que la rotation inclura les actions défensives. Nous prévoyons maintenant que la hausse future soit étendue si bien qu’il sera difficile de désigner précisément quelques grands gagnants.
Est-ce que vous pensez que Warren Buffett a tort, puisqu’il a réduit de moitié ses actions Apple et fortement accru ses achats de Bons du Trésor?
Non. Son comportement est proche du nôtre. Il investit dans une perspective à long terme et de façon disciplinée et il prend régulièrement ses bénéfices. Nous demandons aussi à nos clients de pratiquer la même discipline et de prendre régulièrement leurs bénéfices. Après la récente correction, il a accru à nouveau ses positions. Nous recommandons aussi d’acheter des instruments de protection quand la volatilité est modeste.
Quelles sont vos préférences géographiques?
Nous continuons de surpondérer les Etats-Unis, du fait de ses perspectives de croissance et des tendances des taux d’intérêt et d’inflation. Ces derniers mois, nous avons également surpondéré l’Europe. La décision s’est avérée controversée dans un contexte d’incertitude politique, par exemple en France. Notre décision se fondait sur les perspectives d’exportations, en l’occurrence solides dans le contexte d’une économie américaine résiliente couplée à l’impulsion créée par la baisse des taux d’intérêt de la Fed et d’une économie chinoise en train de se stabiliser.
A l’inverse, nous sous-pondérons les économies au profil défensif (pharma, consommation de base), comme la Suisse, et le Royaume-Uni.
Est-ce que le franc continuera de s’apprécier?
La force du franc est une caractéristique qui ne s’étiolera pas, sans pour autant que les entreprises locales soient significativement pénalisées. La BNS essaie de modérer la hausse du franc. Elle a d’ailleurs été la banque centrale qui a inauguré le cycle de baisse des taux lorsque le franc devenait trop fort. Je ne serais pas surpris qu’elle tente de peser encore un peu sur le franc pour dynamiser la conjoncture locale, mais cela ne remettre pas en cause la force de l’économie suisse, de la qualité de ses biens et services et de son innovation sans parler de la stabilité du pays. La demande de francs suisses restera forte. La BNS interviendra notamment pour accompagner la baisse des taux américains et européens.
Que pensez-vous des actions du luxe?
Nous avions surpondéré ce secteur et avons réduit notre exposition. L’industrie du luxe a besoin d’une amélioration concrète de l’économie chinoise, un pilier majeur des perspectives bénéficiaires de ce type d’entreprises.