Christine Trichet, entre inflation et récession

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

«Dovish hike»

La décision de la BCE était à peine publiée que la quasi-totalité des commentateurs la qualifiaient de «dovish hike». Il faut dire que nombreux étaient ceux qui s’attendaient à une pause dans le processus de hausses de taux étant donné le ralentissement marqué de l’économie de la zone euro. Ainsi, la BCE se démarque de son homologue américaine, la Fed, avec un discours plus direct et surtout moins flou. En effet, d’après les banquiers centraux de Francfort, il s’agit, sauf accident, de la dernière hausse avant une longue pause sur les niveaux de taux actuels. L’inflation est suffisamment élevée pour justifier cette décision de politique monétaire restrictive mais la BCE joue avec le feu car le ralentissement, qui s’est déjà transformé en récession dans certaines régions, aurait pu (aurait dû?) la faire hésiter et l’inciter à la prudence en passant son tour cette fois-ci.

Aujourd’hui, Madame Lagarde et son comité prennent le risque de rejouer le scénario «Jean-Claude Trichet 2008» au pire moment. Poursuivre une politique de hausses de taux à l’amorce d’un virage récessioniste, c’est «courageux», laisser entendre qu’il s’agit de la dernière hausse alors que l’inflation n’est pas vaincue et que le baril de brut flirte de nouveau avec les 100 dollars le baril, c’est «vendre la peau de l’ours». L’expression tombe à pic, le «bear market» obligataire n’a peut-être pas dit son dernier mot. Toutefois, étant donné les prévisions de croissance dans la zone euro, ils ne devraient pas grimper très haut. Un Bund 10 ans à 2,75% serait un bon point d’entrée pour revenir sur les taux longs gouvernementaux européens.

Etant donné que les banquiers centraux de Washington sont «data dependant», une nouvelle hausse de taux est tout à fait envisageable le 1er novembre.
La Fed sur la même longueur d’onde que la BCE?

Au cours des prochains jours, les banques centrales ne vont pas chômer. A tout seigneur tout honneur, le FOMC va ouvrir le bal demain, suivi jeudi par la BoE, la BNS et la Norges Bank puis vendredi par la BoJ. Les marchés s’attendent à un statuquo de la Fed. Cela ne signifie pas pour autant que les membres du FOMC vont inscrire leur politique monétaire dans les pas de la BCE. Etant donné que les banquiers centraux de Washington sont «data dependant», une nouvelle hausse de taux est tout à fait envisageable le 1er novembre. La Fed ne peut pas et ne doit pas adopter le même comportement que son homologue européenne pour deux raisons majeures.

La première raison (qui serait suffisante à elle seule) est tout simplement la situation macroéconomique. L’inflation semble mieux sous contrôle aux Etats-Unis tandis que la croissance ne faiblit pas dangereusement. C’est la raison pour laquelle les marchés ne sont pas restés insensibles à la tentation de privilégier un scénario de soft landing. Avec un marché de l’emploi toujours bien orienté malgré un léger ralentissement récemment, la Fed a carte blanche pour poursuivre une politique hawkish. La seconde raison qui devrait inciter Jay Powell et son comité à ne pas crier victoire trop tôt, c’est le comportement des Démocrates en général et de l’administration Biden en particulier. Il ne faudrait pas que pour des raisons électoralistes le gouvernement applique une politique budgétaire encore plus laxiste. Nous nous retrouverions dans une espèce de concours malsain dans lequel à chaque cadeau destiné à soutenir le consommateur, la banque centrale devrait pratiquer un tour de vis supplémentaire.

Les TIPS, un «no-brainer»?

Mardi dernier, nous soulevions le problème suivant: si de très nombreux investisseurs estiment qu’un niveau de taux longs situé entre 4,25% et 4,50% est un bon point d’entrée permettant des rallongements de duration, est-il plus judicieux de le faire à travers des investissements en taux nominaux ou en achetant des TIPS à taux réels? Si vous êtes convaincus par le scénario de soft landing, vous pouvez acheter des TIPS longs. Cependant, vous risquez de le regretter si jamais la récession devait pointer le bout de son nez. Vous pourriez même souffrir davantage s’il s’agissait d’une vraie récession proche de -2%, plus profonde qu’une petite récession technique de l’ordre de -0,5%. Si vous craignez ce scénario du pire dans lequel la croissance vire brutalement, vous avez intérêt à rester investis en taux nominaux. Et plus votre conviction «récessioniste» est forte, plus vous devrez augmenter votre duration.

Dans le cas d’une conviction faible, une dose homéopathique de taux longs nominaux suffira et servira d’assurance-vie contre les nombreux black swans potentiels qui commencent à s’accumuler. Nous avons opté depuis plusieurs mois pour une stratégie barbell avec un panachage de taux courts réels (TIPS 18 mois-3 ans) et de taux longs nominaux (10, 20 et 30 ans Treasuries). Aujourd’hui, l’environnement change légèrement et nous incite à diminuer à la marge nos positions en 20 ans à taux nominaux pour renforcer nos positions en 3 ans à taux réels. Ce léger repositionnement nous semble plus conforme avec ce que nous constatons en termes d’inflation, à la fois core et headline. Cette stratégie sera-t-elle validée par le ton employé par Jerome Powell? Réponse demain soir!

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