Un marché de l’hydrogène vert va-t-il émerger?

Prabaljit Sarkar, BlueOrchard

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L’hydrogène vert est appelé à jouer un rôle de premier plan dans l’avenir «zéro émission nette». Voici comment.

֤Événements météorologiques extrêmes, catastrophes écologiques, mouvements sociaux… Il suffit de regarder les gros titres de la presse consacrés quotidiennement aux effets du changement climatique pour s’apercevoir de la nécessité de plus en plus pressante de décarboner à l’échelle mondiale.

L’hydrogène vert est à présent un élément crucial des stratégies de la plupart des pays pour atteindre l’objectif «zéro émission nette». Pour certains, c’est la seule option.

Nous expliquons ici la complexité des défis économiques liés à l’hydrogène vert, pourquoi il est essentiel de les relever et dans quelle mesure nous prévoyons le développement d’un marché fonctionnel du financement de l’hydrogène vert.

Dans quels secteurs l’hydrogène vert va-t-il jouer un rôle clé?

Dans deux secteurs essentiels, les espoirs placés dans la décarbonation reposent fortement sur l’hydrogène vert:

  1. Les secteurs dont les émissions sont difficiles à éliminer (secteurs «Hard-to-abate», HTA), tels que l’acier, le ciment, les transports lourds, en remplaçant les combustibles fossiles en tant que matière première zéro carbone, et
  2. Le stockage de l’énergie

La fabrication de l’acier, du ciment et de l’aluminium utilise des processus à températures extrêmement élevées. Aujourd’hui encore, ces matériaux ne peuvent être obtenus de manière rentable qu’en brûlant des combustibles fossiles. Les transports lourds, qui comprennent le transport maritime, le camionnage et l’aviation, ne peuvent pas être électrifiés avec des énergies renouvelables à l’heure actuelle.

Ces secteurs dits «Hard-to-abate» (HTA), dont les émissions sont difficiles à éliminer, ont besoin de sources d’énergie locales à haute densité. Or, ce sont encore les combustibles fossiles qui pourvoient le mieux à ce besoin.
L’hydrogène vert est généralement produit par électrolyse de l’eau en utilisant des énergies renouvelables. Les émissions auxquelles il donne lieu sont de la vapeur d’eau et de la chaleur, ce qui signifie que le processus direct d’hydrogène vert ne génère presque aucune émission. La température de ce processus, dans la mesure où elle peut atteindre 2'100 degrés Celsius, peut même alimenter les processus industriels les plus intenses. L’hydrogène vert semble actuellement être le seul carburant alternatif prometteur dont nous disposons pour décarboner ces secteurs HTA.

La décarbonation de l’approvisionnement énergétique nécessitera également des solutions de stockage de l’énergie. Cette question a pris de l’importance ces dernières années, parallèlement à l’utilisation croissante d’énergies renouvelables intermittentes. Les piles à combustible à hydrogène et la production d’énergie électrique pourraient être intégrées dans un parc éolien ou solaire afin de donner de la flexibilité et pour permettre de «stocker» l’électricité lorsque le vent ne souffle pas ou que le soleil ne brille pas. Dans le stockage de l’électricité, l’hydrogène présente un avantage technologique pour le stockage à long terme par rapport aux batteries, qui sont plus efficaces pour le stockage à court terme.

La production industrielle dans les économies avancées devrait rester stable ou progresser lentement entre 2020 et 2050. Dans les économies émergentes et en développement, la production d’acier, de ciment et de produits chimiques devrait augmenter plus rapidement. L’hydrogène vert pourrait donc soutenir les économies émergentes disposant d’importantes capacités de production industrielle. On peut citer par exemple la fabrication d’acier en Inde, la production d’ammoniac et d’engrais en Égypte et à Trinité-et-Tobago ou la production de ciment au Vietnam et en Indonésie.

Les pays émergents et en développement ont davantage besoin de construire des infrastructures nouvelles («greenfield») que les marchés développés, ce qui leur offre des opportunités de progression rapide. Il est possible que ces pays soient en mesure de concevoir de nouvelles infrastructures prêtes à l’emploi, ou puissent facilement adopter l’hydrogène vert.

De nombreux pays émergents et en développement sont dotés d’abondantes ressources d’énergies renouvelables à faible coût, ce qui pourrait faire d’eux d’importants exportateurs d’hydrogène vert à destination des économies développées. Des discussions officielles sont menées sur le commerce international de l’hydrogène vert et sur le rôle de l’Inde en tant qu’exportateur potentiel à destination des Pays-Bas et de l’Allemagne. Le Chili et la Namibie pourraient exporter à destination de l’Allemagne, des Pays-Bas et de la Belgique.

Quand – et pour quelles applications – l’hydrogène vert deviendra-t-il viable en premier?

À l’heure actuelle, l’hydrogène vert est trop cher pour la plupart des applications.

Le consensus des experts fixe généralement le coût idéal de l’hydrogène vert autour de 2 dollars (USD) le kilogramme. À ce niveau, l’hydrogène est compétitif en termes de coûts par rapport au gaz naturel et au pétrole. Toutefois, en tenant compte de la tarification des émissions de CO2, le coût de l’hydrogène pourrait être compétitif plus tôt que prévu.

L’évolution rapide de l’économie constitue un avantage.

Plusieurs catalyseurs pourraient rendre l’hydrogène vert rentable. La production à grande échelle peut aider à réaliser des économies d’échelle. L’amélioration des technologies permet de réduire les coûts des électrolyseurs. Les prix des énergies renouvelables baissent. En fait, un ensemble de gains d’efficacité pourraient rendre l’hydrogène vert moins cher que les alternatives bas carbone avant 2040.

De manière générale, on constate l’émergence de deux types de projets d’hydrogène.

  1. Des projets nationaux de production d’hydrogène sont en cours de développement à proximité d’utilisateurs finaux comme des producteurs d’acier et de produits chimiques ou des constructeurs de véhicules électriques à pile à combustible (FCEV) . Ces utilisateurs pourraient devenir des clients clés constituant le socle de la demande en hydrogène. L’électricité nécessaire à la production d’hydrogène vert serait fournie par le biais de contrats à long terme signés avec des producteurs d’électricité renouvelable.
  2. Des projets de production d’hydrogène vert à grande échelle sont en cours de développement dans des pays où les énergies renouvelables sont très rentables et abondantes. Le projet de production d’hydrogène vert et d’ammoniac d’Atome Energy d’une puissance de 420 MW au Paraguay en donne un bon exemple. Le barrage hydroélectrique d’Itaipu permet à ce projet d’avoir accès à une source d’électricité de base à 100% renouvelable. Ce type de projets à grande échelle pourraient inclure la construction d’infrastructures de stockage, de pipelines et d’infrastructures portuaires nécessaires pour desservir des marchés intérieurs et transfrontaliers tels que l’Europe, le Japon et la Corée du Sud.
Comment les projets d’hydrogène vert peuvent-ils être financés?

Pour être finançable, un producteur d’hydrogène doit conclure un contrat de livraison («offtake») profitable avec un client solvable qui achète l’hydrogène pour une utilisation finale. Les contrats de livraison d’hydrogène devront tenir compte de plusieurs éléments de risque importants en fonction des exigences des clients utilisateurs finaux, notamment:

  • La tarification – Prix fixe ou aux coûts plus marge
  • La structure de volume – Résolution des problèmes liés à la satisfaction des profils de demande des utilisateurs finaux, par exemple, prise en charge de la demande en période de pointe
  • La fiabilité de l’approvisionnement – «Dommages-intérêts forfaitaires» (pénalités) si les processus industriels des utilisateurs finaux sont interrompus en cas de retard ou de défaut d’approvisionnement en hydrogène.

Étant donné la complexité de la chaîne de valeur de l’hydrogène, les fournisseurs de dette sont au départ plus susceptibles de sélectionner des opportunités si les perspectives de livraison sont déjà claires et s’il est plus facile de modéliser les risques.

Trois secteurs répondant à ce type de critères font apparaître des possibilités de financement de projets:

  1. L’acier, l’ammoniac vert (pour l’engrais ou le transport maritime) et les raffineries présentent déjà des opportunités de financement de projets viables, puisque ces secteurs utilisent déjà de l’«hydrogène gris»[2] dont les perspectives de livraison sont claires. Il sera plus facile pour les fournisseurs de dette de modéliser les calendriers de recettes et de remboursement.
  2. Les transports publics tels que les réseaux de bus et de trains fonctionnant à l’hydrogène avec des stations de ravitaillement/dépôts centralisé(e)s constituent un autre secteur prometteur. La demande à un prix fixe pourrait être garantie par une entité publique. Dans la mesure où ils relèvent du secteur des transports publics, ces projets peuvent également bénéficier d’un financement mixte, avec un soutien financier à conditions préférentielles («concessionnel») de l’organisme public local ou national. Dans certains scénarios, les fournisseurs de dette obtiendront des options de financement de bout en bout. Cela signifie qu’un électrolyseur pourrait être financé au même titre qu’une flotte d’autobus utilisant le carburant à l’hydrogène vert produit.
  3. Le stockage de l’électricité ouvre des possibilités de financement de projets similaires à celles du secteur de l’électricité, puisque les fournisseurs de dette peuvent appliquer la structure d’approvisionnement existante du secteur de l’électricité à des projets de stockage à long terme d’hydrogène vert.
Options alternatives de financement de la dette pour l’hydrogène vert

Les premiers fournisseurs de dette utiliseront probablement des options de financement alternatives. Il peut s’agir de financements mezzanine, ou même d’investissements en actions et de financements par «tax equity» (par exemple, aux États-Unis, un fournisseur pourrait profiter de la Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act)).

Les fournisseurs de dette pourront également envisager des investissements structurés comme des obligations convertibles assorties du droit préalablement convenu de co-investir au niveau de l’actif à un stade ultérieur. Autrement dit, les investisseurs garderont la possibilité de capter le potentiel haussier, au lieu de prendre des risques pendant la phase de démarrage du marché de l’hydrogène vert.

Conclusion: saisir l’avantage du précurseur

Nous pensons que les actifs liés à l’hydrogène vont faire l’objet de déploiements de capitaux importants à moyen et long terme, et que cela est une condition essentielle pour atteindre les objectifs de «zéro émission nette».

Au fil du temps, nous devrions assister à l’apparition de nombreux autres projets profitables correspondant au profil de risque généralement recherché par les fournisseurs de dette. En attendant, ceux qui sont prêts à faire preuve de souplesse et à saisir les opportunités disponibles aujourd’hui profiteront de l’«avantage du précurseur». Les opportunités sur les marchés émergents devraient permettre de réaliser des avancées rapides, en réduisant le délai d’adoption et en augmentant l’impact positif global.

Nous pensons que les investisseurs ont dès à présent une occasion formidable pour se familiariser avec le marché.

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