Le dollar devrait (malheureusement) resté soutenu d’ici la fin 2024

François Savary

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S’en réjouir n’est pas forcément la meilleure option. Il serait préférable que les prochains mois nous apportent une meilleure coordination des cycles économiques régionaux.

Lorsqu’il y a quelques mois encore le marché attendait six ou sept baisses des taux directeurs américains, imaginer une faiblesse de la devise américaine pouvait sembler logique. En effet un tel changement de cap sur la politique monétaire impliquait non seulement une poursuite de la désinflation outre-Atlantique mais également un ralentissement important de la conjoncture au pays de l’Oncle Sam, sans que cela invalide pour autant le scénario d’un atterrissage en douceur.

Or donc, la réalité statistique américaine n’a pas vraiment dégagé une image conforme aux points susmentionnés, induisant une atterrissage «brutal», au cours des dernières semaines, sur les perspectives de relâchement monétaire par la Réserve fédérale. Un phénomène qui doit nécessairement conduire à réfléchir sur les perspectives pour le billet vert.

Au regard de la réalité des données chiffrées les plus récentes, les investisseurs ont raison de miser, désormais, sur au mieux deux baisses des taux US d’ici fin 2024. En outre, on voit mal J. Powell changer rapidement de cap après avoir clairement stipulé qu’il était «urgent d’attendre» sur le front monétaire, il y a seulement deux semaines.

Une économie aussi endettée que celle du Japon peut-elle se «payer le luxe» d’un revirement abrupt de la politique monétaire pour contrer la vigueur du dollar?

Les Etats-Unis ont, d’une certaine manière, intérêt à un dollar fort au regard du contexte conjoncturel domestique. On peut considérer que la fermeté de billet vert est de nature à ralentir tant la conjoncture que les pressions inflationnistes, toutes chose étant égales par ailleurs. En outre, une devise américaine plus forte a de quoi peser sur les conditions financières US, au même titre que la tension sur les taux d’intérêt des derniers mois ou encore que le comportement plus erratique des marchés boursiers depuis fin mars; à certains égards, la Réserve Fédérale ne peut que se réjouir de ces développements, qui font – au moins partiellement – le travail à sa place.

Le monde doit-il se réjouir de voir le dollar rester fort, voire se renforcer au cours des prochains mois? Il vaut la peine de se poser la question.

Dans un tel contexte, le cas japonais est assez intéressant. Alors que le Yen a franchi allègrement la barre des 155 au moins d’avril, soit un plus haut depuis plus de trente ans, les autorités japonaises sentent la pression monter. Le changement de cap de la Banque du Japon au premier trimestre n’aura servi à rien, tout au moins en ce qui concerne la parité USD/JPY; au contraire, le décrochage du Yen c’est accéléré! Les menaces d’interventions se font de plus en plus pressantes et les autorités monétaires sont induites à annoncer une poursuite rapide du processus de retour à la normale sur le front monétaire; ce dernier développement n’est pas nécessairement le bienvenu pour un institut monétaire qui n’a aucune certitude concernant l’idée que la très longue et douloureuse phase de déflation nipponne est définitivement un problème résolu. De plus, une économie aussi endettée que celle du Japon peut-elle se «payer le luxe» d’un revirement abrupt de la politique monétaire pour contrer la vigueur du dollar?

Du côté européen, les déclarations sur la probable baisse des taux au mois de juin se multiplient et Madame Lagarde n’a eu de cesse de répéter que les décisions de la BCE ne seront pas prises en fonction de considérations sur les événements à Washington; mais l’Europe, où quelques signes de mieux sur les perspectives conjoncturelles semblent apparaître et où l’inflation semble avoir connu une inflexion rassurante, peut-elle supporter une vigueur persistante du billet vert? Attention à ne pas occulter les possibles effets d’inflation importée (par le biais des matières premières en particulier)! De plus, les bénéfices d’exportation éventuels d’un dollar fort ne doivent pas être exagérés, compte tenu des développements peu harmonieux sur les relations commerciales sino-européennes et compte tenu du fait que la devise chinoise est particulièrement faible contre son homologue US.

Au demeurant, les économies émergentes en général n’ont guère de raison d’apprécier la force du dollar, soutenu par les taux américains, dans un contexte où leurs besoins de refinancement sont importants et que leur marge de manœuvre monétaire est d’autant plus réduite que leurs devises sont déjà faibles contre le billet vert.

La publication des chiffres du PIB américain pour le premier trimestre constitue l’un des premiers signes que la conjoncture US n’est peut-être pas aussi «solide» que ce que beaucoup pensaient. Un chiffre ne fait pas une tendance, c’est bien connu. Il y a donc, en l’état, toutes les raisons de penser que le billet devrait rester soutenu au cours des prochains mois. S’en réjouir n’est pas forcément la meilleure option. Pour notre part, nous préférerions que les prochains mois nous apportent une meilleure coordination des cycles économiques régionaux, afin de calmer des évolutions de changes «excessives», trop souvent porteuses d’impacts négatifs à moyen terme qu’il ne faut jamais ignorer. 

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