Régler la règle de Taylor pour mieux prévoir les taux

Nikolay Markov, Pictet Asset Management

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Qu’adviendra-t-il aux taux d’intérêt cette année? Nous avons mis au point une version modifiée de la règle de Taylor qui pourrait apporter les réponses.

La politique monétaire a une profonde influence sur les performances des investissements, peu importe la classe d’actifs. Pourtant, prévoir la trajectoire des taux d’intérêt directeurs est loin d’être simple. C’est d’autant plus vrai à l’heure actuelle, compte tenu du débat sur la rapidité et l’ampleur des baisses de taux attendues aux États-Unis et dans la zone euro alors que l’inflation semble plus persistante qu’attendu.

La règle de Taylor offre un outil pratique pour l’estimation de la trajectoire des taux d’intérêt. Selon cette règle, les taux de base nominaux devraient être proches du taux de croissance du PIB nominal lorsque l’économie est à l’équilibre.

La simplicité de cette règle présente toutefois quelques limites. Notamment parce que les banques centrales tiennent compte de nombreux autres facteurs en plus de la croissance et de l’inflation et peuvent réagir de manière non linéaire aux fondamentaux macroéconomiques. C’est pourquoi nous avons conçu notre propre version modifiée de la règle de Taylor, une version qui nous semble mieux adaptée à la réalité.

Selon notre modèle, les baisses de taux aux États-Unis et dans la zone euro seront cette année plus faibles que celles que prévoit la règle de Taylor traditionnelle. Elles seront cependant plus fortes que celles sur lesquelles tablent aujourd’hui les marchés financiers compte tenu de la désinflation projetée. Il nous indique également un resserrement relativement modeste de la part de la Banque du Japon, qui a récemment abandonné sa politique de taux d’intérêt négatifs.

Fig. – Perspectives pour les taux

Prévisions de taux d’intérêt selon la règle de Taylor linéaire et modifiée, par rapport aux niveaux actuels


Sources: Pictet Asset Management, Refinitiv et CEIC. Données au 08.04.2024.  

L’économie américaine aborde à présent les dernières phases de sa période d’expansion et l’activité devrait ralentir significativement au cours de l’année. Cela annonce des baisses de taux d’intérêt. Il est toutefois important de noter que le ralentissement américain n’est pas assez marqué pour pousser la Réserve fédérale américaine à faire preuve d’agressivité dans son assouplissement, notamment face à une inflation qui reste stable et à un marché du travail solide. Compte tenu de ces éléments, notre modèle montre que le taux cible de la Fed pourrait être abaissé à 4,3% d’ici à la fin de 2024, soit environ 100 points de base d’assouplissement potentiel. Il annonce une série de réductions moins prononcée que les prévisions fondées sur la règle de Taylor traditionnelle, même si elles dépasseront les 60 points de base sur lesquels tablent les marchés financiers.

Pour la Banque centrale européenne aussi, l’inflation est encore dans une fourchette qui a toujours été considérée comme préoccupante. D’après nos recherches, cela devrait impliquer un assouplissement plus modéré que ce qu’annonce la règle de Taylor traditionnelle. Le taux de dépôt pourrait donc terminer l’année à 2,3%, contre 4% actuellement. Comme pour les États-Unis, les marchés sous-estiment peut-être l’ampleur de la réduction, puisque les niveaux actuels indiquent des taux légèrement supérieurs à 3% fin 2024.

Pour le Japon, notre modèle suggère que la BoJ pourrait relever ses taux à 0,3% d’ici à la fin de l’année. Les critères liés au taux de change – ou plus précisément la perspective de voir la valeur du yen japonais fortement augmenter en raison des hausses de taux d’intérêt – empêcheront probablement un resserrement plus agressif.

La Suisse, quant à elle, constitue une exception. Tant la règle de Taylor traditionnelle que notre version modifiée suggèrent que les taux devraient être plus élevés qu’aujourd’hui et que la récente baisse du coût de l’argent n’était pas justifiée. En effet, la Banque nationale suisse n’a pas vraiment terminé son processus de normalisation de la politique monétaire en 2023. La BNS a indiqué que les récentes décisions politiques avaient été prises dans une perspective de gestion du risque – dans ce cas, le risque de ne pas réduire les taux et de permettre ainsi une nouvelle appréciation du franc suisse était jugé le plus important. Cette divergence entre la politique monétaire implémentée et notre modèle peut expliquer que la BNS soit entrée dans une nouvelle ère, car la relation entre les deux était, depuis des années, relativement étroite.

Accent sur le modèle

La règle de Taylor traditionnelle est une formule «approximative, clé en main», qui ne tient pas compte de complications importantes, comme par exemple les taux de changes et d’autres facteurs outre l’inflation ou la croissance qui pourraient avoir un impact sur la politique des banques centrales. Elle ne tient pas compte du fait que la réaction de la banque centrale change selon l’état de l’économie et qu’elle pourrait donc être non-linéaire en pratique.

Notre version modifiée de la règle de Taylor adopte donc une approche semi-paramétrique qui permet de mieux modéliser une forme générale de non-linéarité entre le taux d’intérêt directeur et les fondamentaux macroéconomiques. 

Une fois construit notre modèle à partir de données remontant à la fin des années 1980 (selon le pays spécifique considéré), nous l’avons ensuite testé, sur l’intervalle allant de fin 2014 à 2019, en analysant des périodes de quatre trimestres à l’avance pour mesurer son efficacité. On parle de tests «hors échantillon». Notre analyse a montré qu’en moyenne, la règle de Taylor modifiée prédisait la politique monétaire avec plus de précision que le modèle linéaire original. 

Pour l’année à venir, notre modèle pointe vers des baisses de taux moins agressives aux États-Unis et en Europe, ce qui dénote un comportement plus prudent de la part des banques centrales. Il annonce également un rythme plus mesuré pour les hausses de taux au Japon, par rapport à ce que la règle originale propose. Cependant, la principale leçon à retenir pour les investisseurs est la suivante: même si l’on ajuste la règle pour tenir compte de la complexité du comportement des banques centrales, les baisses de taux aux États-Unis et en Europe pourraient être plus importantes que celles sur lesquelles tablent aujourd’hui les marchés. Il y a là une dimension supplémentaire sur laquelle appuyer les décisions d’investissement en se basant sur notre modèle de valorisation des taux d’intérêt.

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