Déréglementation bancaire: le prochain «bazooka» de Donald J. Trump

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

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La déréglementation bancaire telle qu’envisagée par l’administration américaine constitue un pari macro-financier structurant, mais susceptible de fragiliser à terme la stabilité financière.


L’un des volets stratégiques le plus attendu du programme économique du candidat Trump concerne la déréglementation bancaire, avec une attention particulière portée sur la réforme du ratio de levier supplémentaire, connu sous le nom de Supplementary Leverage Ratio (SLR). Ce ratio prudentiel, mis en place après la crise financière de 2008 pour limiter les prises de risque excessives, pourrait faire l’objet d’un assouplissement substantiel. Un tel changement de paradigme viserait à soutenir le marché des Treasuries, à faciliter le financement public et à relancer les circuits de transmission monétaire.

L’un des effets attendus d’une réforme du SLR serait l’augmentation de la demande de titres du Trésor américain. En effet, en excluant les Treasuries du calcul du ratio de levier, les banques pourraient en détenir davantage sans alourdir leur exigence en capital. Cette évolution renforcerait mécaniquement la base acheteuse sur le marché primaire et secondaire, contribuant à stabiliser les conditions de financement souverain. Par ailleurs, la participation accrue des banques améliorerait la liquidité de marché, réduisant les spreads de transaction et augmentant l’efficience globale des échanges.

Sur le plan budgétaire, une telle hausse de la demande de Treasuries aurait pour effet de faire baisser les rendements exigés par les investisseurs (notamment la term premium), allégeant ainsi les coûts d’emprunt de l’État fédéral, dans un contexte où les déficits budgétaires structurels imposent un contrôle renforcé de la charge d’intérêts. De surcroît, dans les périodes de stress financier, un allègement réglementaire renforcerait la capacité des banques à jouer leur rôle de stabilisateurs, en absorbant davantage d’actifs publics sans pénalité réglementaire immédiate.

Au-delà de la régulation du système bancaire, le débat sur le SLR renvoie à une question macroéconomique centrale: celle de la vitesse de circulation de la monnaie. 

Cependant, les risques associés à une telle déréglementation ne doivent pas être sous-estimés. Une réduction des exigences en capital pourrait inciter certaines institutions à accroître leur levier ou à s’exposer à des classes d’actifs plus risquées. Le filet de sécurité que représente le SLR, en tant qu’indicateur non pondéré du risque, jouerait alors un rôle affaibli, exposant potentiellement le système à des fragilités accrues. D’autre part, une déréglementation excessive pourrait générer des distorsions de marché. En concentrant la détention des Treasuries entre les mains de quelques établissements, les incitations à manipuler les courbes de taux à des fins d’arbitrage ne peuvent être totalement écartées. Enfin, même si la capacité bilancielle des banques est élargie, rien ne garantit que la demande effective de Treasuries s’accroisse si les perspectives macroéconomiques (inflation, endettement public croissant) dissuadent les acteurs privés.

Le SLR est un ratio structurel imposant aux grandes banques de détenir un minimum de 3% de capital de catégorie Tier 1 rapporté à l’ensemble de leurs expositions comptables et hors bilan, notamment les positions sur dérivés et les Treasuries. Ce ratio est porté à 5% pour les institutions systémiques. L’inclusion des titres publics dans cette base de calcul est contestée par une partie du secteur financier, qui y voit un frein injustifié à la détention d’actifs pourtant sans risque. En réponse à la crise de liquidité engendrée par la pandémie en 2020, la Réserve fédérale avait temporairement suspendu l’inclusion des Treasuries dans le calcul du SLR, relançant le débat sur une éventuelle réforme permanente.

Les pistes de réforme actuellement discutées incluent l’exclusion ciblée et permanente des Treasuries du calcul du SLR, ou son activation conditionnelle en période de tension de marché. D’autres propositions portent sur l’introduction d’un coussin contracyclique, permettant d’adapter le ratio en fonction des phases du cycle économique. Un tel mécanisme offrirait de la souplesse en période de crise tout en renforçant la résilience en période d’expansion. En parallèle, un renforcement des obligations de transparence sur les expositions aux Treasuries, via des exigences de reporting et de publication renforcée, permettrait de mieux superviser les éventuelles concentrations. Enfin, une meilleure coordination entre la Réserve fédérale, le Trésor américain et les autorités de régulation serait nécessaire pour éviter des injonctions contradictoires entre politique monétaire, budgétaire et prudentielle. Le développement de canaux d’intermédiation non bancaires (compensation centrale, facilités de repo élargies) pourrait également contribuer à diversifier les acheteurs et à améliorer la robustesse du marché.

Au-delà de la régulation du système bancaire, le débat sur le SLR renvoie à une question macroéconomique centrale: celle de la vitesse de circulation de la monnaie. Ce concept, qui mesure la fréquence à laquelle une unité monétaire est utilisée pour effectuer des transactions dans l’économie, est fortement influencé par les règles prudentielles. Des exigences en capital plus strictes réduisent la capacité des banques à accorder du crédit, ce qui freine le multiplicateur monétaire et diminue la vélocité. À l’inverse, une déréglementation peut relancer l’octroi de prêts et favoriser la dépense privée. Les contraintes de liquidité, quant à elles, obligent les banques à immobiliser des actifs sûrs, limitant leur agilité en matière de financement. Par ailleurs, des normes de crédit plus rigides ou une mauvaise transmission des taux d’intérêt réduisent l’efficacité des politiques monétaires. Enfin, dans un cadre réglementaire plus souple, les agents économiques (ménages et entreprises) sont généralement plus enclins à consommer et investir, ce qui stimule la vitesse de circulation des fonds.

Sur le plan opérationnel, la réforme du SLR est en cours d’élaboration. Une proposition réglementaire devrait être publiée à l’été 2025. L’adoption des règles définitives est attendue pour la fin de l’année, avec une entrée en vigueur progressive à partir de 2026. Ce calendrier serait cohérent avec le déploiement du paquet réglementaire de Bâle III dit «Endgame».

En conclusion, la déréglementation bancaire telle qu’envisagée par l’administration américaine constitue un pari risqué mais potentiellement structurant. Si elle est conduite de manière prudente et graduelle, elle pourrait renforcer le fonctionnement des marchés, soutenir le financement public et redynamiser la circulation monétaire. À l’inverse, une déréglementation excessive ou mal encadrée pourrait compromettre la stabilité acquise au cours des quinze dernières années. Le véritable enjeu réside donc dans la capacité des autorités à arbitrer efficacement entre flexibilité, discipline et robustesse systémique.

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