Après un mois de mai haussier, les marchés des actions américains et européens paraissent relativement chers dans un contexte de conflit commercial et dans la perspective d’un ralentissement de l’économie américaine. La dispersion des performances est toutefois élevée. Les actions américaines sont au niveau de la fin décembre. Les titres suisses sont en hausse de 5% (SMI) les valeurs européennes de près de 10% et les allemandes de 20%. La préférence pour l’Europe va-t-elle perdurer? Les résultats des entreprises parviendront-ils à justifier les valorisations? Les perspectives de rebond conjoncturel en 2026 peuvent-elles conduire les bourses à des niveaux plus élevés? Beat Wittmann, co-fondateur, président et associé de Porta Advisors, répond aux questions d’Allnews:
Les informations se succèdent à un rythme effréné, mais il ne s’agit souvent que de bruits, c’est-à-dire d’informations insignifiantes. Quelles sont les informations économiques et politiques significatives pour les marchés?
Les bruits sont effectivement très nombreux en termes de flux d’informations. A mon avis, trois points clés s’imposent et méritent d’être soulignés.
Le premier porte sur le ralentissement du cycle économique, tel qu’il a été présenté par le FMI ce printemps. Cette évolution négative me paraît normale et elle n’a été que retardée par le boom qui a succédé au covid. Ce ralentissement, qui concerne l’ensemble du monde, s’exprime à travers un grand nombre d’indicateurs, qu’il s’agisse du marché du travail, de la consommation ou de l’investissement. Il se traduit par une moindre croissance des bénéfices et des marges des sociétés ainsi que par une réduction des multiples de bénéfices. Cet environnement conduit logiquement à une correction cyclique des marchés. Le fait qu’une récession se concrétise effectivement ou non n’est pas vraiment pertinent.
«A l’inverse du consensus du marché, je ne crois pas que le pic de l’incertitude soit derrière nous, mais, avec Donald Trump, l’incertitude sera permanente».
Quels sont les deux autres facteurs importants?
Le facteur suivant est la politique de Donald Trump, notamment sa politique tarifaire. Le zigzag de Donald Trump, dans lequel se succèdent des fortes hausses de droits de douane, puis des pauses ou des baisses, produit un sentiment négatif auprès des investisseurs, des consommateurs et des entreprises. Ces freins aux échanges ne se limitent pas aux tarifs, mais concernent aussi les obstacles non-tarifaires. Cette attitude accroît le risque de correction cyclique.
A l’inverse du consensus du marché, je ne crois pas que le pic de l’incertitude soit derrière nous, mais, avec Donald Trump, l’incertitude sera permanente.
Si nous vivons depuis 4 mois avec ce gouvernement, il en reste encore 44. Cette incertitude s’inscrit dans une nouvelle normalité. Les marchés devront s’y adapter.
Quel est le troisième point?
Il s’agit du comportement des marchés financiers. Le thème d’investissement dominant de cette année et des prochaines années sera celui d’un rééquilibrage. Depuis 2008, les marchés américains ont surperformé en raison d’une plus forte croissance économique et d’une productivité plus élevée en raison de trois piliers, celui du leadership technologique, celui du marché des capitaux et celui de la culture des affaires. Ces trois piliers sont menacés par Donald Trump et son administration. Tous les investisseurs étaient surpondérés aux Etats-Unis depuis 2008 et ils l’étaient encore en ce début d’année, mais nous changeons dorénavant de tendance. Nous allons assister à un rapatriement général des investisseurs internationaux dans leur propre pays et à une sortie générale des actifs américains. Cela touchera les actions et les obligations. L’entrée dans cette nouvelle phase de biais domestique débute à peine et il ira en s’accélérant. La part de la capitalisation boursière américaine atteignait 60% au début de l’année. Historiquement, elle se situe entre 30 et 40%.
La semaine dernière, les enchères des bons du Trésor américain ont montré que les non-Américains demeuraient très présents et continuaient à acheter. Etes-vous surpris? La performance est différente mais les actifs se déplacent-ils?
Les preuves vont se multiplier. La politique nationaliste et unilatérale des Etats-Unis et les modifications des droits de douane ou des conditions des accords ainsi que des taxes sur les achats d’obligations américains constituent un risque permanent que n’accepteront plus les investisseurs internationaux. Ils exigeront une prime de risque plus élevée pour la détention d’actifs américains.
Le budget américain, appelé par Trump la «Big and Beautiful Bill», place les Etats-Unis sur une tendance budgétaire très négative. Il suppose une hausse automatique des recettes qui résulterait d’une plus grande croissance économique pour équilibrer les comptes mais sans intégrer de réelles mesures de réductions des dépenses. N’oublions pas que les Américains, avec leur nouveau budget, seront très dépendants des investisseurs étrangers pour financer leur déficit. Il faudra que les taux d’intérêt soient suffisamment élevés pour les attirer.
En Europe, la relance des dépenses budgétaires en faveur des infrastructures renforce la thèse d’une reprise durable de la croissance économique. Finalement, ce sont les marchés financiers qui jugeront. En cas de crise ou de tensions sur les marchés, je pense que les investisseurs privilégieront l’euro et les Bund et non pas le dollar et les bons du Trésor.
Le découplage est réel en termes de performance. La hausse de 20% des actions allemandes n’anticipe-t-elle pas le réveil de l’Allemagne?
J’avais anticipé cet écart de performance au début de l’année. Mon horizon n’était toutefois pas de 3 ou 4 mois mais de plusieurs années. Si Donald Trump décidait de taxer fortement l’automobile allemande, les actions automobiles allemandes souffriraient à court terme. Il en irait de même s’il imposait violemment les exportations de la pharma suisse.
Les tendances exprimées en faveur du DAX portent sur 2025 et sur les prochaines 3 à 5 années. Cette performance suppose que des réformes soient décidées et mises en œuvre et que la croissance reparte. Mais l’Allemagne a besoin d’une transformation de son industrie qui ne pourra pas se concrétiser en quelques semaines. Le gouvernement allemand avancera dans la bonne direction, mais probablement pas autant que nous pourrions le souhaiter. Le nouveau Chancelier ne semble par exemple pas pressé de créer une union européenne du marché des capitaux. Cela tient en partie au travail de lobbying des banques allemandes. Le marché exprime toutefois davantage de doutes que moi. Je reste positif pour l’Allemagne et pour l’Europe.
Les marchés anticipent 10 à 15% de droits de douane à la fin des négociations. Est-ce important de se concentrer sur ce taux?
Non, parce que, comme indiqué, l’incertitude sera permanente. Il est illusoire de croire que puisse exister une fin des négociations avec Donald Trump. Celle-ci n’est possible que dans 44 mois, c’est-à-dire après le départ de Donald Trump. D’ici là, le président américain modifiera sans cesse les droits de douane, à la hausse ou à la baisse.
Finalement, chacun sait que les droits de douane pénaliseront les Américains. Cette tactique de négociations s’avérera toutefois positive pour l’Europe et l’Asie. L’Europe est enfin forcée de s’adapter.
Les flux vont aussi vers les marchés émergents. Est-ce un choix stratégique intéressant sachant que les produits asiatiques sont performants et bon marché?
L’excédent de la Chine avec l’Europe est inacceptable. Les Européens refuseront une réorientation vers l’Europe des produits chinois vendus aux Etats-Unis. Ils ne toléreront pas la situation actuelle. Un rééquilibrage devrait avoir lieu.
Comme classe d’actifs, les marchés émergents ne sont pas intéressants. Le thème dominant sera celui du «Home Bias», celui des investissements américains sur leur propre marché, des Européens vers le leur et des Asiatiques vers le leur.
Dans une approche au cas par cas, il y a toutefois des situations attractives, dans des pays qui savent s’adapter à l’environnement, par exemple à la baisse du dollar. Mais le ralentissement du cycle économique global pénalise aussi les émergents.
Si chacun rapatrie ses capitaux, le Japon n’est-il pas attractif?
Tout à fait, mais ce n’est pas un marché émergent. Il en va aussi de l’Allemagne.
Du point de vue du timing. Faut-il anticiper la récession des prochains mois ou la reprise économique de l’an prochain?
Je préfère être défensif ces prochains mois et reprendre des positions plus tard dans l’année. Dans la perspective des «Mid-Terms» de 2026, l’opposition à Donald Trump va se former dans les deux partis, démocrate et républicain, mais uniquement vers la fin de l’année.
Nous verrons aussi dans six mois, les conséquences concrètes de cette politique irresponsable, au sein des bénéfices des entreprises, des dépenses de consommation, d’investissement et d’emploi.