Donald Trump veut voir la bourse et le dollar monter

Emmanuel Garessus

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L’action du président sera soumise au pouvoir du marché des capitaux. Face à la Fed, il se veut pragmatique. La performance de l'Europe dépendra de la capacité de l'UE à s'unir, affirme Beat Wittmann, de Porta Advisors.


La première réaction des actions, du dollar et des obligations à l’élection de Donald Trump a répondu aux attentes. Or Donald Trump est très sensible aux réactions de Wall Street, comme l’indiquait Beat Wittmann, co-fondateur, associé et président de Porta Advisors, lors de son interview de juillet dernier. Mais après le rallye initial, quelles seront les prochaines étapes? Comment structurer son portefeuille? Beat Wittmann répond aux questions d’Allnews:

Les actions et le dollar ont nettement progressé après les élections américaines. Ce mouvement se prolongera-t-il durant des mois?

Les marchés financiers ont correctement anticipé l’élection de Donald Trump. Le programme du nouveau président est simple: une baisse des impôts, inverser les flux migratoires et privilégier l’économie américaine en introduisant des droits de douane sur les produits du reste du monde. La 2e étape, celle des résultats, s’est traduit par un «Trump Trade», qui était positif pour les actions et le dollar, mais pas pour les obligations. 

Nous entrons dans une 3e étape, celle de la mise en oeuvre de son programme. La tendance va donc se prolonger, mais les marchés demanderont au président qu’il satisfasse ses promesses. Ils porteront un jugement sur les conséquences de ses mesures.

Compte tenu des baisses d’impôts et des dérégulations en vue, les perspectives devraient être positives pour les actions et le dollar en 2025. Il en sera différemment des obligations et des perspectives d’inflation. Une baisse significative des impôts risque de fortement accroître le déficit budgétaire et de pousser l’inflation à la hausse. Mais Donald Trump n’a aucune envie d’augmenter l’inflation. Il a compris que ce thème a conduit à la perte des démocrates.

«Les meilleurs indicateurs de l’action de Donald Trump seront le dollar, l’indice S&P et les bons du Trésor».

A quoi mesurera-t-il son succès?

Donald Trump estimera qu’il a réussi si la bourse monte et si le consommateur américain est satisfait.

Le consommateur sera-t-il déçu des conséquences inflationnistes de la hausse des droits de douane?

Il sera assez facile de mener une politique favorable aux actions (déréguler et baisser les impôts). Quant aux consommateurs, je pense que ses promesses de droits de douane seront mises en oeuvre de manière pragmatique et différenciée. Il a compris les effets politiquement toxiques d’une hausse des prix à la consommation. 

Donald Trump a de la chance. Il hérite d’une situation économique fabuleuse, avec une baisse des taux d’intérêt et de l’inflation. Il ne va pas risquer de mettre en danger les tendances positives.

Une bataille entre Jerome Powell et Donald Trump ne mènera-t-elle pas à une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt?

Je ne crois pas qu’il ait l’intention d’être en conflit avec la Fed. Donald Trump veut voir les indices monter et l’économie prospérer. Son influence sur la Fed se limitera probablement à la rhétorique. La Fed doit souligner son indépendance. Jerome Powell a déjà indiqué qu’il était prêt à resserrer la politique monétaire si la politique budgétaire était trop expansive. Donald Trump et son entourage, avec le soutien de Wall Street, seront pragmatiques.

Le fait qu’il n’ait aucun contre-pouvoir jouera-t-il un rôle négatif?

Donald Trump détient de facto tous les pouvoirs, de la Cour suprême au Congrès, mais il n’est pas propriétaire du marché. Ce sont les marchés financiers qui décideront. Si, à l’inverse de mes attentes, il s’en prend résolument à la Fed, ce serait extrêmement négatif pour les actions, les obligations et le dollar. La monnaie américaine est la première monnaie de réserve au monde et les Etats-Unis sont le premier emprunteur au monde. Le talon d’Achille de Donald Trump ne se situe pas au sein du système politique ou des cours de justice. Le talon d’Achille, c’est le déficit structurel de la balance courante. Les Etats-Unis sont dépendants du reste du monde. Donald Trump est soumis à la force normative du marché des capitaux.

Le marché américain est le plus brillant cette année et représente près de 75% de la capitalisation boursière. Peut-il encore gagner 20% d’ici la fin de 2025?

La poursuite de la hausse dépend du calibrage de sa politique économique. Une hausse de 20% est impossible si Donald Trump s’en prend à la Fed. Mais je parie sur son pragmatisme.

Est-ce que le pessimisme sur l’Europe et ses perspectives financières est correct, compte tenu de la fin du gouvernement allemand et de l’instabilité qui s’installe en France?

Il appartient à l’Europe d’agir plutôt que de réagir. L’Europe est démographiquement et économiquement plus grande que les Etats-Unis. La question clé consiste à savoir si, sous la pression des autres grands acteurs géopolitiques, l’UE réduira la fragmentation de ses marchés, en finance comme ailleurs, et en premier lieu à l’égard de l’union bancaire et de sa politique de la défense. 

Les trois «autocrates» qui gouvernent en Chine, en Russie et maintenant aux Etats-Unis ne respectent plus l’UE. Ils ont toujours cherché à diviser les Européens pour réaliser des accords bilatéraux. Xi Jinping, Poutine et Donald Trump veulent par exemple faire des accords avec Viktor Orban. L’UE décidera-t-elle enfin de lutter contre sa fragmentation au profit d’une cohésion et d’une plus grande intégration? Si elle n’agit pas, l’UE sera condamnée à la stagnation. 

L’UE est capable de faire preuve de cohésion, ainsi que l’a montré sa réaction à l’invasion de l’Ukraine. Vladimir Poutine ne l’avait pas prévu. Je pense que Donald Trump commettra la même erreur que Poutine, mais pour des raisons différentes. Il appartient aux Européens, et non à Donald Trump, de faire en sorte que l’euro devienne une monnaie de réserve plus importante qu’aujourd’hui.

«L’Europe agira dans le sens d’une plus grande cohésion dans les deux ans, ou alors elle n’agira jamais».

Si Volkswagen et Michelin licencient, n’est-ce pas d’abord à cause du prix de l’électricité et de l’énergie?

La fragmentation règne en Europe aussi bien dans la banque que dans l’électricité, l’énergie et la défense. C’est une opportunité à  saisir. 
Des progrès méritent d’être signalés. La nouvelle Commission européenne comprend maintenant un commissaire à la défense. La nouvelle Commission est davantage unifiée, compétente et forte que la précédente. Je suis clairement positif sur les perspectives européennes.

A quel horizon?

L’Europe agira dans le sens d’une plus grande cohésion dans les deux ans, ou alors elle n’agira jamais. Les leaders chinois, russe et américain testeront l’UE sur ce point. 

La décision d’imposer des droits de douane européens élevés sur les véhicules électriques chinois constituait un test majeur. Bruxelles a pris une décision qui allait plus loin que ne le voulaient Berlin et Paris. 

Cette année, la sous-performance européenne est massive. L’Euro Stoxx 50 n’a gagné que 7%, contre 27% l’indice S&P 500. Cette tendance relative se poursuivra, sauf si des changements structurels sont entrepris.

Est-ce que le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans va baisser?

Je serais neutre sur les obligations américaines à 10 ans. Le marché craint que des droits de douane très élevés et des baisses d’impôts exagérées produiront une surchauffe de l’économie et une hausse de l’inflation. Après les réactions initiales, le marché attendra les mesures concrètes du gouvernement.

Si Donald Trump était pragmatique, ne serait-ce pas intéressant d’investir dans les émergents?

J’en doute. Je me concentrerais uniquement sur les marchés du G7. Une hausse du dollar et une remontée des taux d’intérêt en réponse au programme de Donald Trump seraient très négatifs pour les émergents.

Au moment de la COP 29, que pensez-vous de l’opposition entre l’Europe et les Etats-Unis sur l’investissement ESG?

Depuis l’invasion de l’Ukraine, certains aspects de l’investissement ESG sont devenus problématiques. L’énergie nucléaire et l’industrie de la défense ne devraient pas être exclus des portefeuilles pour des questions de durabilité. 

Je suis convaincu que la Commission européenne s’adaptera de façon plus pragmatique à ces changements fondamentaux. Avec Donald Trump, qui avait quitté les Accords de Paris, les Etats-Unis ignoreront ces questions et soutiendront les industries fossiles. La réaction des actions de ce secteur le montre. 

Cela ne signifie pas la fin de l’ESG. Le défi climatique est réel, comme le défi sécuritaire. La Chine aussi va d’ailleurs investir massivement dans les énergies alternatives.  

Je crois à un retour massif de l’énergie nucléaire et de l’industrie de la défense en Europe. Les budgets de la défense devront être remontés non pas à 2% du PIB mais plutôt à 3 ou 4%. Les perspectives des valeurs européennes de l’aérospatial et de la défense continueront de surperformer, comme en 2024.

Quel rôle jouera Elon Musk dans les projets de Donald Trump et dans sa déréglementation?

Il me semble qu’il ne faut pas perdre son temps à analyser la composition de son équipe. 

Dans l’ordre de ses priorités, Donald Trump défendra d’abord ses propres intérêts, puis ceux de l’Amérique. Donald Trump décidera de tout sur tous les sujets qui se présenteront sur son bureau. Il est capable de changer ses équipes très rapidement. Mieux vaut considérer ce qu’il fait et ses conséquences sur les marchés. Les meilleurs indicateurs de l’action de Donald Trump seront le dollar, l’indice S&P et les bons du Trésor. Il faudra les analyser 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Quelles conséquences auront les décisions sur les marchés de la politique de Donald Trump au Moyen Orient et en Ukraine?

Sa politique au Moyen Orient ne devrait pas modifier les marchés, à l’exception du cours du pétrole, lequel ne peut être comparé à la situation des années 1970. Les Etats-Unis sont le premier producteur de pétrole. 

En Ukraine, il est tout à fait possible que l’UE soit capable de remplacer les Etats-Unis si cela devenait nécessaire. Si, ce que je ne crois pas, Donald Trump menaçait de se retirer de l’OTAN ou de ne plus la financer, l’UE devra discuter sérieusement de son réarmement, y compris sur le plan nucléaire.

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