La tendance haussière des actions reste solide même si une consolidation semble s’installer et si les chocs politiques peuvent temporairement mettre à mal la confiance des investisseurs. La tendance haussière n’est pas remise en cause par l’attentat contre Donald Trump ni l’impasse politique en France, écrit dans une note Beat Wittmann, co-fondateur, associé et président de Porta Advisors. Ce dernier avait recommandé d’acheter les obligations souveraines françaises dans l’attente d’un resserrement du spread avec le Bund. Beat Wittmann répond aux questions d’Allnews (interview réalisée le lundi 15 juillet) sur les perspectives des marchés et les défis géopolitiques, en France, en Europe, en Chine et aux Etats-Unis:
Comment comprenez-vous la hausse des marchés américains au lendemain de l’attentat contre Donald Trump?
La réaction des marchés était attendue. Sur le plan économique, l’impact est négligeable. Un tel événement se traduit par une préférence des investisseurs pour les actifs domestiques (Home Bias), à l’image de l’attentat contre Ronald Reagan ou de celui de 9.11. L’attentat doit être placé dans son contexte: la tendance du marché américain résulte avant tout de la tendance des résultats des entreprises, des taux d’intérêt et de l’inflation. Ces trois piliers sont bien orientés. L’impact politique et médiatique est plus marqué que l’effet économique.
L’élection présidentielle américain est l’événement majeur de l’année, mais, comme je l’ai écrit en début d’année, le nom de la personnalité ne sera pas pertinent à court terme pour l’économie et les marchés financiers.
La tendance économique est-elle durablement favorable aux Etats-Unis?
La dynamique causée par les grands programmes tels que l’Inflation Reduction Act, l’Infrastructure Act et le Chips Act est extrêmement favorable au développement de la productivité et des entreprises américaines à court et à long terme. L’économie américaine est la seule à être solide, résiliente et indépendante du point de vue de sa chaîne d’approvisionnement, y compris sur le plan de l’énergie.
«Donald Trump ne s’engagerait pas dans des initiatives qui seraient négatives pour les marchés financiers ou pour l’économie, ni Joe Biden, ni un éventuel troisième candidat».
L’Europe est très sensible aux chocs sur ses exportations et ses importations. La Chine l’est également, faute d’avoir réalisé la transformation attendue de son économie vers les services et la consommation. Je ne m’attends, à ce sujet, à aucun changement à la suite du 3e Plénum du parti communiste, si bien que la croissance des exportations et des importations sera plus faible. La Chine est trop grande pour faire faillite mais trop petite pour réussir.
Son problème est avant tout politique et lié à son soutien à la Russie, car son excédent commercial est considérable avec l’UE. Pékin doit comprendre qu’un rééquilibrage n’est possible qu’à deux conditions, soit une ouverture du marché chinois aux importations, soit après de nouvelles taxes sur ses échanges. Si Donald Trump est élu, la hausse des droits de douane avec les biens chinois sera immédiate, et si un candidat démocrate est élu, cela se fera graduellement mais la décision ne fait pas de doute. Et l’impact n’est pas encore dans les cours.
Quelle classe d’actifs privilégiez-vous?
Les actions constituent la classe d’actifs à surpondérer. Je recommande de privilégier l’Europe relativement aux États-Unis, même si ces derniers seront les plus performants ces trois à cinq prochaines années. La sous-valorisation relative des actions européennes dépasse 30%, si bien que, dans les investissements en actions, je préfère l’Europe. Une correction des titres de croissance américains devrait provoquer une rotation en faveur des secteurs plus défensifs, comme les actions suisses (pharma et consommation de base) et européennes.
Quels seront les effets d’une exacerbation des problèmes géopolitiques au deuxième semestre?
La politique devrait dominer les considérations économiques au deuxième semestre, en raison des élections présidentielles américaines, de la situation en Ukraine avec la Russie et du refus d’ouverture de la Chine. Au deuxième semestre, les marchés devraient tirer les conséquences de l’exacerbation de la situation géopolitique.
Est-ce que l’Europe ne souffrirait pas d’une nouvelle présidence de Donald Trump qui réduirait son soutien à l’OTAN?
L’élection de Donald Trump ne serait pas positive sur le plan géopolitique. Les frictions ne seraient qu’aggravées. Mais, si je suis d’accord sur très peu de points avec Donald Trump, il a raison de faire pression sur les Européens afin qu’ils augmentent leurs dépenses militaires. Celles-ci doivent passer non pas à 2% mais à 3 ou 4% du PIB, à l’image des pays de l’Est et des pays nordiques. Pour la Suisse, l’élection de Donald Trump sera négative à ce sujet parce qu’on s’apercevra qu’elle ne paie que 0,76% du PIB pour sa sécurité. L’OTAN n’hésitera pas à faire pression sur Berne.
Pensez-vous qu’un nouveau candidat démocrate puisse remplacer Joe Biden et être élu?
Oui, je le pense. La popularité de Donald Trump augmentera encore après le récent attentat. Mais un sursaut reste possible de la part des milieux centristes. La convention démocrate pourrait faire émerger une nouvelle candidature. Les marchés n’ont pas encore intégré cette éventualité.
Quel serait son impact sur les marchés?
Donald Trump ne s’engagerait pas dans des initiatives qui seraient négatives pour les marchés financiers ou pour l’économie, ni Joe Biden, ni un éventuel troisième candidat. L’avantage d’un 3e candidat serait d’être plus jeune et d’offrir une nouvelle perspective.
«Pour la Suisse, l’élection de Donald Trump sera négative à ce sujet parce qu’on s’apercevra qu’elle ne paie que 0,76% du PIB pour sa sécurité».
Vous avez écrit, dès les élections législatives, qu’il fallait acheter les obligations souveraines françaises (OAT). Quel est votre scénario pour la France? Comment présentera-t-elle un budget 2025 restrictif malgré de possibles crises sociales?
Le problème est spécifique à la France. Les manifestations de rue y dépassent la dimension qu’elles peuvent atteindre ailleurs. Mais la tendance des taux d’inflation et d’intérêt est fonction du développement de l’économie américaine, même si l’on observe temporairement un manque de synchronisation avec les décisions de la BCE et de la BNS. La tendance des taux est baissière, ce qui est positif pour tous les pays du G7.
Par ailleurs, l’économie européenne est stable, avec un phénomène de renaissance des secteurs liés à la défense, à l’industrie et à la technologie. Ce cycle, soutenu par le conflit avec la Russie, devrait se poursuivre ces cinq à dix prochaines années. Les commandes militaires sont établies sur plusieurs années. La plupart des économies européennes en profiteront. La semaine dernière, une réunion importante de la European Political Community s’est déroulée à Blenheim, au Royaume-Uni, qui réunissait 50 leaders de tout le continent. Cette initiative, imaginée par Emmanuel Macron, est très intéressante parce qu’elle favorise un rapprochement avec les pays non-membres de l’UE sur des thèmes tels que la défense et la résilience économique. Les différends seront progressivement mis de côté.
Enfin, j’achèterais des OAT à chaque élargissement du spread avec le Bund parce que la zone euro est extrêmement stable et résiliente. La même stratégie doit être appliquée qu’à l’époque des crises italienne et grecque. Il n’y a aucun risque systémique avec la France. A mon avis, un élargissement significatif du spread ne sera pas toléré par les autorités politiques. Il ne sera pas nécessaire d’attendre une intervention de la BCE.
Sur quels faits vous appuyez-vous?
Il n’y a aucune raison de croire que le déficit français ou l’impasse politique représentent un risque existentiel pour le pays. Nous verrons bien comment Emmanuel Macron traversera cet été, mais il n’y a pas de crise existentielle susceptible d’imposer une réforme institutionnelle. Ni la France ni la zone euro ne traverseront une crise économique.
La France est plus grande que la Grèce dans la zone euro, donc le risque français est plus faible. C’est pourquoi j’achète des OAT dans le contexte d’un léger ralentissement conjoncturel et de la désinflation. Et je suis positif également pour les actions européennes, y compris françaises, du fait de leur sous-évaluation.
Comment se protéger contre un risque géopolitique?
Le cash permet une décorrélation avec les actions. Avec un VIX au plus bas, le coût d’une assurance du portefeuille d’actions est bon marché. Un troisième instrument consiste à acheter des actions de secteurs tels que la défense, très fragmenté en Europe, et l’industrie.
Faut-il acheter les actions britanniques après le changement de gouvernement?
Après avoir été négatif depuis des années, en raison du suicide économique que constitue le Brexit, j’ai recommandé les valeurs britanniques il y a trois mois, dans la perspective de l’arrivée au pouvoir du parti travailliste. Ce changement est positif pour l’économie et les marchés. Le Labour permettra aussi un rapprochement avec l’UE, pour le plus grand bienfait tant du Royaume-Uni que de l’UE. Les questions de défense devraient être le signal de ce mouvement. La bourse de Londres comprend d’intéressantes valeurs dans la défense, les ressources naturelles et l’industrie, avec un rendement du dividende souvent élevé.
Qu’est-ce que vous évitez?
Je privilégie les valeurs du G7 et je sous-pondère tout le reste, notamment la Chine en raison de sa position sur la question russe et de ses conséquences. Ce thème devrait se renforcer au deuxième semestre avec les élections américaines.