Le cœur de l’action présidentielle a porté sur le relèvement massif des barrières tarifaires, la multiplication des décrets exécutifs, ainsi qu’une volonté explicite de redéfinir les relations commerciales bilatérales à partir d’un rapport de force assumé. Les cent premiers jours du second mandat du président Trump comptent parmi les plus chaotiques et déstabilisants de l’histoire récente: choc de confiance des agents économiques, choc de volatilité, choc macro-financier et choc de crédibilité sur le dollar comme pierre angulaire du système monétaire international. La dernière fois que le marché boursier a connu une performance aussi médiocre sur une période de 100 jours (-7%) remonte à 1973, sous la présidence de Richard Nixon, lorsque le S&P500 avait chuté de près de 10%. Certes, le déploiement désastreux de la politique commerciale a déjà évolué vers un assouplissement de l’agenda tarifaire agressif. Toutefois, de nombreux dommages – à court comme à long terme – ont déjà été infligés à l’économie mondiale. Leur ampleur exacte reste pour l’heure inconnue, et il faudra probablement plusieurs mois, voire plusieurs années, pour en mesurer pleinement les effets.
Avril a été un mois que l’on peut qualifier de sismique pour les marchés financiers. Les annonces de relèvements de droits de douanes et de réciprocité des tarifs par les États-Unis ont déclenché un mouvement général de réduction du risque à l'échelle mondiale. Les mouvements initiaux ont été véritablement historiques par leur rapidité et leur ampleur. Suite aux annonces de réciprocité, le S&P500 a enregistré sa 5ème pire baisse sur deux jours depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette tourmente s’est également propagée au marché obligataire, où le rendement des obligations du Trésor à 30 ans a brièvement dépassé les 5% en séance. Parallèlement, l’indice VIX a clôturé au-dessus de 50 – un seuil franchi seulement pendant la crise financière mondiale de 2007-09 et au début de la crise du Covid-19. Toutefois, un calme relatif est revenu après que le président Trump a annoncé un report de 90 jours des mesures tarifaires de réciprocité, tandis que les autorités américaines ont entamé des négociations avec certains pays. Cela a contribué à apaiser le stress sur les marchés, si bien que la performance globale d’avril n’a pas été aussi mauvaise en apparence, avec un recul de seulement -0,7% du S&P500, et une légère hausse de 0,9% pour les Actions mondiales. Du côté obligataire, l’indice US Aggregate progresse de 0,4%, tandis que l’indice mondiale rebondit de 2,9%.
Finalement, le S&P500 a atteint son point bas le 8 avril, moment qui a correspondu au seuil de souffrance de la Maison Blanche et de capitulation des marchés.
Ainsi, si l’on se contentait de regarder les performances mensuelles des actions en devise locale, on pourrait croire à tort que le mois a été relativement calme. En réalité, il fut historique: on y a vu à la fois la meilleure journée du S&P500 depuis octobre 2008 et sa pire depuis mars 2020. Par ailleurs, l'écart de taux entre les obligations américaines à 10 ans et les Bunds allemands a connu son plus fort élargissement hebdomadaire depuis la réunification de l’Allemagne en 1990. Le dollar en change effectif a connu sa pire performance sur deux mois depuis juin 2002. Et le prix de l’or a enregistré son meilleur début d’année depuis 2006.
La volatilité s’est tendue dès le début du mois, lorsque le président Trump a annoncé les très attendus tarifs réciproques le 2 avril. Cette annonce imposait à tous les pays un tarif minimum de 10%, avec des taux beaucoup plus élevés pour d’autres, notamment 20% pour l’UE, 24% pour le Japon et 34% pour la Chine (en plus d’un taux de base existant de 20%). Ces niveaux ont largement dépassé les attentes du marché. Ces annonces ont aussitôt poussé les investisseurs à revoir à la hausse la probabilité d'une récession américaine, surtout avec la crainte de représailles. Le lendemain, le 3 avril, le S&P500 a reculé de près de 5%, soit sa plus forte baisse journalière depuis juin 2020, tandis que l’indice du dollar (-1,7%) connaissait sa plus grande baisse quotidienne depuis 2022.
Les conditions de marché sont rapidement passées en mode risk-off, notamment lorsque le repli du marché Actions de plus de 10% en cumulé les 4 et 5 avril a cristallisé les inquiétudes de la Fed. Son président, Jerome Powell, avait averti que les tarifs étaient bien plus importants que prévu et que la Fed avait l’obligation d’ancrer les anticipations d’inflation à long terme. L’épisode suivant a vu la baisse concomitante du dollar et des obligations d’Etat américaines, phénomène rare et plutôt observé durant la période stagflationniste des années 1970. Ce sont les menaces de Donald Trump de révoquer le président de la Fed pour cause de politique monétaire insuffisamment accommodante qui ont causé ce mouvement de panique sur les actifs refuges américains. Les craintes sur le statut du dollar comme ancrage du système monétaire international sont le fait marquant en avril. Le dollar a été la monnaie du G10 la plus faible pour le deuxième mois consécutif. L’indice du dollar a chuté de 4,6%, soit une baisse de 7,6% sur deux mois – la plus forte baisse depuis juin 2002. A l’inverse, le prix de l’or a progressé de 5,3% en avril, marquant un 4ème mois consécutif de hausse. Depuis le début de l’année, il est en hausse de 24,7%, sa meilleure performance annuelle depuis 2006. Les investisseurs ayant remis en question la solidité des bons du Trésor américain, les obligations européennes ont très bien performé. En rendement total, le Bund allemand progresse de +2,0%, effaçant la perte occasionnée en mars lors de l’annonce du plan de relance budgétaire de l’Allemagne.
Finalement, le S&P500 a atteint son point bas le 8 avril, moment qui a correspondu au seuil de souffrance de la Maison Blanche et de capitulation des marchés. Le retracement qui a suivi (+13,2% jusqu’au 1er mai) s’apparente à un bear market rally plutôt classique: retracement de 61,8% de la phase baissière (-21,4% en intraday entre le 19 février et le 7 avril) sur des prises de bénéfices (sociétés à faible risque) et rachats de short. Historiquement, sur la base d’observations faites depuis 1981, les bear market rallies affichent en moyenne une progression de 14% sur une durée de 44 jours. Le fait que les nouvelles soient marginalement moins mauvaises suffit à alimenter ce rebond technique.
Pour sortir du bear market, c’est-à-dire repasser au-dessus du précédent point haut et reprendre une trajectoire haussière dans un régime de marché risk-on, il faut remplir plusieurs conditions: 1. un positionnement des investisseurs très sous-pondéré en risque; 2. un point bas de cycle conjoncturel; 3. un point bas de valorisation; 4. une réaction de la Fed; 5. une lassitude des investisseurs à propos du narratif des tarifs; 6. Des bonnes nouvelles venant des entreprises. Déjà trois à quatre conditions sont sur le point d’être remplies.
Les cent premiers jours de Trump 2.0 auront donc redéfini le cadre d’action économique des États-Unis et indirectement celui du reste du monde. La rupture est profonde, assumée, et vraisemblablement durable. Elle repose sur le triptyque suivant: souveraineté commerciale, interventionnisme réglementaire, et dérégulation ciblée. Reste à savoir si cette stratégie pourra contenir ses effets récessifs et préserver l’ancrage des anticipations d’inflation. Car si la dynamique de court terme est politique, ses conséquences seront inévitablement économiques avec des répercussions durables sur la prime de risque des actifs financiers et la structure des portefeuilles.