Les dislocations que le marché subit depuis le début de l’année ne peuvent que stimuler la demande pour les produits structurés. C’est-à-dire pour des produits permettant une mise en œuvre aussi personnalisée que possible d’une stratégie identifiée. Nicolas Liégeois, Head of Structured Products & Derivatives à la Banque Pictet & Cie, décrit comment les investisseurs ont eu tendance à tirer parti de la volatilité sur pratiquement tous les grands marchés par le biais des structurés. Et comment ils pourraient se positionner à l’avenir.
Observez-vous une plus grande activité de trading ou d’émissions de produits structurés dans le contexte de volatilité actuelle, selon la catégorie de produits?
Depuis le début de l’année, la politique commerciale du Président Trump, souvent qualifiée «d’erratique», a entraîné une volatilité significative sur les marchés et une forte activité d’émissions de produits, en particulier ceux de rendement, efficaces pour monétiser cette volatilité tout en réduisant le risque.
Nous avons observé deux vagues. La première, début mars, a vu les investisseurs se repositionner sur des valeurs phares, principalement technologiques, en privilégiant les reverse convertibles avec des prix d’exercice hors de la monnaie. La deuxième vague, après le «jour de la libération», a suscité un fort intérêt pour des produits sur indices à barrières basses.
En ce qui concerne les autres familles de produits, la demande a été présente mais moins soutenue. Les Callable Fixed Rate Notes continuent de trouver une place au sein des portefeuilles, tandis que l’élargissement des spreads de crédit a créé des opportunités sur des Credit Linked Notes adossées à des indices comme l’Itraxx Main. Enfin, plutôt que d’adopter des stratégies de couverture, les investisseurs ont eu tendance à réduire leurs positions pour atténuer leurs risques.
«Les produits de rendement à court terme, tels que les Dual Currency Notes, connaissent un fort engouement»
Y a-t-il des thématiques qui se distinguent d’autres?
Trois thématiques se distinguent notamment dans le contexte géopolitique actuel. La première est liée au secteur de la défense en Europe, qui attire l’attention des investisseurs depuis que les États ont annoncé leur intention de renforcer leurs capacités militaires. Les cours de nombreux titres se sont notamment appréciés. Les investisseurs, soucieux de diversifier leur portefeuille, participent à l’émission de certificats trackers ou recherchent des produits de participation qui incluent un panier d’actions sur ce thème. La demande de produits de rendement sur ces titres a également considérablement augmenté.
Deuxième thématique importante, la dédollarisation. Malgré des données économiques robustes aux États-Unis, l’incertitude pousse les investisseurs vers des alternatives au dollar américain. Les métaux précieux, en particulier l’or, en bénéficient. Par ailleurs, l’euro reprend des forces face au dollar. Les produits de rendement à court terme, tels que les Dual Currency Notes, qui sont des reverse convertibles sur monnaie, connaissent un fort engouement. Les investisseurs en quête de positionnements plus marqués se tournent vers des produits de protection du capital avec participation sur l’or. Pariant sur une appréciation à court-terme de l’euro, ils optent pour des warrants call, ou call spreads, à 3 ou 6 mois.
Enfin, la volatilité et le «steepening», ou pentification, de la courbe des taux américains constituent une troisième thématique centrale. Les préoccupations concernant la croissance et l’inflation ont entraîné un mouvement de pentification de la courbe des taux US et accentué la volatilité. Les investisseurs se tournent désormais vers des produits à capital protégé comme les Range Accruals sur des taux plus long terme, à 10 ans par exemple. Ou encore des Steepeners ou Fixed to Steepeners, pour tirer parti de cette volatilité et de coupons corrélés à ce mouvement.
«Les taux repo en Chine atteignent des niveaux élevés, ce qui permet aux structurés de réaliser des surperformances sur le marché onshore»
La Chine demeure au centre des attentions. Y a-t-il toujours un intérêt significatif pour les produits structurés de participation tels que les Bonus ou les structures hybrides de type «Buy the Dip» sur cette région?
Oui, en partie. Depuis le début de l’année, le marché boursier chinois se maintient bien. Cette performance relative est due en partie à l’annonce de mesures de relance supplémentaires et à de nouvelles perspectives d’innovations technologiques. L’indice Hang Seng a augmenté de près de 10% sur les quatre premiers mois de l’année, tandis que le CSI 300 a légèrement baissé, créant ainsi un écart entre le marché continental et offshore.
Nous observons toujours une demande pour les structures hybrides de type «Buy the Dip», bien que la mise en œuvre des stratégies soit parfois différée. Les investisseurs privilégient des notes offrant une protection du capital et une participation à la hausse de l'indice le moins performant entre le CSI 300 et l'indice Hang Seng. Cette stratégie permet de tirer parti d’une hausse à moindre coût, tout en garantissant un remboursement minimum sur une période de 6 à 12 mois.
Aussi, les taux repo en Chine atteignent des niveaux élevés, ce qui permet aux produits structurés de réaliser des surperformances sur le marché onshore. Par exemple, un produit de participation d’un an sur le CSI 500 offre une performance intégrale de l’indice avec un coupon de 10 %.
Selon vous, les produits structurés pourraient-ils aider les investisseurs à se positionner pour une éventuelle fin du conflit en Ukraine? Quelles en seraient les retombées stratégiques en termes de choix de sous-jacents ou autres critères?
Absolument, ce sont d’excellents instruments pour les investisseurs qui souhaitent rester agiles. La stratégie peut être mise en œuvre grâce à des trackers sur des paniers d’actions, gérés activement ou non. Nous pouvons émettre de tels certificats rapidement et à moindre coût. Ainsi, un investisseur qui souhaite se positionner sur les conséquences de la fin du conflit en Ukraine peut concrétiser ses choix à travers une thématique qu’il a lui-même identifiée ou déléguer la sélection des actions à des tiers après avoir spécifié ses critères.
La résolution de ce conflit pourrait générer une dynamique positive d’activité économique et donc d’investissements en Europe. La reconstruction de l’Ukraine nécessitera des investissements de plusieurs milliards de dollars et offrira des opportunités aux entreprises européennes actives dans cette région, notamment dans les secteurs de la construction, de l’industrie ou des services financiers. Après la sélection des thématiques et la définition d’une stratégie, les produits structurés ont l’avantage d’optimiser la mise en œuvre des choix opérés par les investisseurs.