La gestion de l'incertitude est au cœur de tout processus d'investissement. Au cours des derniers jours, Donald Trump a relevé les droits de douane de façon extrêmement agressive, entraînant les investisseurs en territoire inconnu. The Economist a rebaptisé le «Jour de la libération» en « Jour de la ruine»: les actions ont plongé violemment, le dollar américain a été malmené, le pétrole est en berne... Les représailles de la Chine ont exacerbé le mouvement de liquidation. Les espoirs d'un règlement rapide des guerres commerciales étaient en train de s'estomper lorsque Donald Trump, prenant tous les risques, a finalement accordé une période de grâce pour pouvoir négocier. Les marchés ont rebondi mais ne sont pas tout à fait rassurés compte tenu de l’escalade avec la Chine.
Dans une perspective à moyen et long terme, nous gardons à l'esprit le vieil adage de Warren Buffett: «Soyez avide quand les autres ont peur». La mondialisation est en effet sérieusement menacée. Mais qui se souvient de ces experts qui annonçaient la fin du capitalisme après la crise financière mondiale de 2008, la fin de la zone euro en 2012, le sentiment de fin du monde au plus profond de la crise Covid et la panique qui a suivi le resserrement monétaire sans précédent de 2022? Les pics d'incertitude marquent des points d'entrée sur les marchés. Mais évidemment, lorsqu’on traverse la tempête, personne ne sait exactement où se situe le pic d'incertitude. Dans chacun des épisodes de panique mentionnés ci-dessus, nous aurions pu dire «cette fois, c'est différent» (i.e. il n'y a aucune raison de racheter les valeurs en baisse). Il y a quelques jours, il était plus facile d'imaginer des scénarios catastrophes que de voir des lueurs d'espoir. De façon intéressante, la chute du S&P 500 depuis le point haut de mi-février s’est arrêtée à 20%; des proportions similaires à la chute depuis le point haut au T4-2018, pendant les premières guerres commerciales de Trump. Si l’escalade se poursuit avec la Chine, le marché peut continuer sa dégringolade, et ce qui l’arrêtera sera soit un recul de l’administration Trump, soit des injections massives de liquidités de la part de la Fed. Nous restions relativement confiants qu’un accord avec la Chine peut être trouvé.
Quelle rationalité?
La logique de l’administration Trump consiste à lever les droits de douane pour financer les baisses d’impôts, ce qui sera la prochaine étape qui devrait plaire davantage aux marchés. Nous estimons que les recettes budgétaires liées aux droits de douane pourraient dépasser 300 milliards de dollars par an, même en prenant des estimations prudentes (ramener le droit de douane moyen pondéré à 15% au lieu des 20% actuels, en supposant une baisse de 30 % des importations). Cela permettrait de financer plusieurs allégements fiscaux: l’exonération fiscale des heures supplémentaires coûterait 200 milliards de dollars par an, mettre fin à l'imposition des prestations de sécurité sociale coûterait 130 milliards de dollars par an et réduire le taux de l'impôt sur les sociétés de 21% à 15% coûterait 70 milliards de dollars par an selon les estimations. C'est probablement la prochaine étape, car le budget 2025 est actuellement débattu entre le Sénat et la Chambre des Représentants.
Quelques bonnes nouvelles
Le dernier rapport d’inflation en zone euro et aux Etats-Unis pour mars va dans le bon sens. Aussi, les nouvelles demandes d’emploi n’ont pas augmenté aux Etats-Unis début avril, ce qui suggère que la phase d’incertitude a été suffisamment courte pour ne pas causer de dommages profonds à l’économie américaine. Les derniers rapports d’inflation appellent donc à une baisse des taux de la BCE mi-avril et de la Fed plus tard en 2025.
En conclusion, il reste des défis à relever pour restaurer la confiance des entreprises, des ménages et des investisseurs. Mais le fait que l’administration américaine montre sa sensibilité aux risques qu’elle prend est un développement favorable par rapport aux scénarios noirs qui commençaient à circuler et qui avaient des relents de… 2008. L’avenir nous dira si le sujet des guerres commerciales est en bonne voie de résolution ou si cette administration reste obstinée dans sa logique de défier les accords multilatéraux qui ont défini l’ordre économique mondial depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.