Le premier mois de l’année a mis les investisseurs à rude épreuve en ce qui concerne les marchés des actions aux Etats-Unis. Les valeurs américaines sont-elles devenues trop chères actuellement? Vaut-il mieux se tourner vers les actions européennes? Le point avec Philippe Ferreira, responsable adjoint de l’équipe Economics & Cross Asset Research chez Kepler Cheuvreux.
Quel bilan d’ensemble tirez-vous du premier mois de l’année pour l’économie et les marchés et qu’attendez-vous pour la suite de 2025?
En ce qui concerne l’économie américaine, nous anticipons toujours une croissance soutenue pouvant aller jusqu’à 3% en 2025, soit davantage que sa tendance de croissance de long terme. En 2025, l’économie américaine reste portée avant tout par la consommation des ménages, toujours soutenue outre-Atlantique. En corrolaire, l’inflation est certes en recul par rapport à 2024 mais elle demeure relativement élevée en se situant aux alentours de 3% (ndlr: l’inflation aux Etats-Unis a atteint 2,9% en décembre sur un an, après 2,7% en novembre). Il suffirait donc que l’inflation réaugmente un tout petit peu pour que cela remette en question les attentes concernant la politique monétaire des banques centrales.
«Le Canada et le Mexique sont les deux plus gros partenaires commerciaux des Etats-Unis et les implications concrètes sont réelles si les tarifs annoncés début février (i.e. de 25% versus quasiment zéro à l’heure actuelle) sont implémentés.»
Dans l’ensemble, l’économie américaine n’aurait actuellement pas besoin des mesures annoncées par Donald Trump au cours des dernières semaines. A savoir l’imposition de droits de douane à des pays comme le Canada ou le Mexique, qui peuvent potentiellement entraîner une hausse des prix des biens importés aux Etats-Unis; le renvoi d’un très grand nombre de migrants illégaux hors des Etats-Unis qui est susceptible d’entraîner des tensions salariales dans certains secteurs; une réduction des impôts sur les bénéfices des entreprises qui dopera leurs gains. L’économie américaine n’a pas besoin de tout cela!
Qu’en est-il des annonces qui surviennent pratiquement chaque jour depuis fin janvier au sujet des nouveaux tarifs douaniers imposés par la nouvelle administration de Donald Trump à tel ou tel pays: est-ce un facteur d’incertitude auquel les investisseurs finiront par s’habituer ou est-ce une réelle source de turbulences pour l’économie mondiale et les marchés?
A ce stade c’est un facteur d’incertitude pour les investisseurs, mais cela peut peser sur la confiance des ménages et des entreprises et avoir des répercussions néfastes sur l’économie réelle, et par extension sur les marchés financiers. Le Canada et le Mexique sont les deux plus gros partenaires commerciaux des Etats-Unis et les implications concrètes sont réelles si les tarifs annoncés début février (i.e. de 25% versus quasiment zéro à l’heure actuelle) sont implémentés.
En dehors des Etats-Unis, l’inflation doit-elle être encore considérée comme un sujet de préoccupation ou s’agit-il d’un problème qui est désormais maîtrisé?
En dehors des Etats-Unis, les risques en lien avec l’inflation sont désormais beaucoup plus limités. Dans la zone euro, on n’est certes pas encore revenu au niveau de 2% visé par la BCE (ndlr: l’inflation a légèrement accéléré en janvier dans la zone euro pour s'établir à 2,5% sur un an, contre 2,4% en décembre). En Suisse, ce n’est même plus un sujet avec une inflation qui est retombée à près de 0.5%. En Europe, on ne peut plus parler de pénurie sur le marché du travail, au contraire des Etats-Unis. Le taux de chômage est légèrement remonté aussi bien en France qu’en Allemagne récemment. Je ne vois pas de raison à s’attendre à un retour de l’inflation, sauf peut-être aux Etats-Unis.
Que cela signifie-t-il pour la BCE qui a abaissé d’un quart de point son taux directeur fin janvier? Combien de baisses attendez-vous encore sur l’ensemble de 2025?
Après cette baisse d’un quart de point, nous anticipons encore trois baisses d’un quart de point, soit quatre baisses en tout sur l’ensemble de 2025.
Les économies de la zone euro, à quelques exceptions près, se caractérisent par une croissance atone et des perspectives de reprise beaucoup plus faibles qu’aux Etats-Unis. En Europe, les gens épargnent plutôt que de consommer. C’est pourquoi il y a beaucoup de chances que la BCE continue d’abaisser ses taux au cours des prochains trimestres.
«Depuis 50 ans, les années d’élection présidentielle ont été négatives pour la pharma aux Etats-Unis, tandis que les années qui l’ont immédiatement suivi ont été en général positives pour ce secteur.»
Concernant l’évolution des marchés des actions, vous souligniez dans un commentaire récent qu’il vaudrait mieux que le S&P 500 fasse une pause cette année tout en délivrant les bénéfices attendus. La cherté du marché des actions américaines vous inquiète-t-elle?
En quelque sorte, cette pause a déjà lieu actuellement, puisque l’indice S&P 500 progresse de moins de 2% depuis début janvier, comparé à des gains de près de 8% pour le DAX allemand ou de près de 7% pour le CAC 40 en France. Pour que les actions américaines reviennent à un ratio cours/bénéfices attendus plus soutenable de l’ordre de 19x, comparé à 22x actuellement, il suffirait en effet que l’indice S&P 500 évolue de manière latérale tandis que les bénéfices continuent de progresser. Si les indices stagnent alors que les bénéfices augmentent, vous arrivez mécaniquement à des multiples de valorisation plus raisonnables de cette façon. Il n’y a pas besoin que le marché s’effondre pour que les actions américaines redeviennent plus attrayantes en termes de valorisation. C’est même un message assez optimiste car cela signifie que l’évolution des bénéfices des entreprises peut à elle seule déjà rendre le marché plus attrayant. Il n’y a pas besoin d’attendre le prochain mini-krach pour avoir un point d’entrée intéressant.
Lorsque que l’on compare les performances réalisées par les différents marchés des actions depuis début janvier, il est frappant de constater que ce sont cette fois des indices européens comme le SMI, le CAC 40 ou le DAX qui affichent les meilleures performances depuis le début de l’année. Cela tient-il à leur composition sectorielle?
C’est un facteur parmi d’autres. Si l’on considère le secteur du luxe par exemple, les bons résultats publiés par Richemont à la mi-janvier a eu un impact positif sur d’autres titres du secteur comme LVMH par exemple. Certes, les défis pour la branche n’ont pas disparu, notamment en ce qui concerne la demande en provenance de Chine, mais il y a un climat qui est à nouveau plus positif pour le secteur, du moins en comparaison de la seconde moitié de l’an dernier.
«Nous préférons les titres des sociétés technologiques qui sont déjà parvenues à diversifier leur modèle d’affaires à l’intérieur de ce secteur. C’est le cas de Meta ou d’Amazon par exemple.»
On peut observer aussi la même tendance pour le secteur de la pharma qui avait été à la traîne au dernier semestre de l’an dernier en raison des incertitudes liées à l’issue des élections américaines et du prochain ministre de la santé. Cela s’est aussi observé pour des titres comme Novartis, Roche en Suisse et même pour une valeur comme le danois Novo Nordisk qui a fortement corrigé au quatrième trimestre après avoir enregistré une très forte hausse en première moitié d’année. Compte tenu du poids important du marché américain pour ce secteur, chaque élection présidentielle américaine est scrutée de très près. Le fait que les coûts de la santé aux Etats-Unis soient beaucoup plus élevés que dans les autres pays de l’OCDE est un sujet de débat récurrent lors des campagnes présidentielles. L’entrée en fonction de Donald Trump n’a pas entièrement rassuré, notamment en raison de sa proposition de nommer Robert Kennedy junior au poste de ministre de la Santé, compte tenu de certains de ses propos par le passé considérés comme complotiste.
Depuis 50 ans, les années d’élection présidentielle ont été négatives pour la pharma aux Etats-Unis, tandis que les années qui l’ont immédiatement suivi ont été en général positives pour le secteur de la pharma.
Un autre secteur phare du moment est celui des technologies, porté en 2024 par la thématique de l’IA. Comment voyez-vous les perspectives pour les valeurs technologiques en 2025?
Tout au long de 2024, un investisseur qui ne voulait pas investir dans les valeurs de la Big Tech en raison de niveaux de valorisation jugés trop élevés aurait fait face à un coût d’opportunité gigantesque. Maintenant, après une performance aussi élevée, la question qui se pose pour nombre d’investisseurs est celle de ne pas rater la sortie si le secteur devait connaître des vents contraires. Malgré tout le débat sur la cherté des actions liées à l’IA, il faut tenir compte du fait que les sociétés les plus impliquées dans cette thématique réalisent des bénéfices, que celle-ci a des applications concrètes. La situation est donc différente de celle qui prévalait avec les actions des sociétés liées à Internet à la fin des années 1990 avant que la bulle n’éclate.
Maintenant, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de rotations des titres les plus performants à l’intérieur de ce secteur.
De notre côté, nous préférons les titres des sociétés technologiques qui sont déjà parvenues à diversifier leur modèle d’affaires à l’intérieur de ce secteur. C’est le cas de Meta ou d’Amazon par exemple. Les valeurs technologiques sont chères mais il est difficile de rester complètement à l’écart de cette thématique.