Comment les caisses de pension doivent répondre à la tempête

Emmanuel Garessus

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Malgré la nette baisse des actions, les institutions ne sont pas proches de leurs limites tactiques, selon Quentin Costa, de PPCmetrics.

 

Les caisses de pensions ont perdu 3,5% depuis le début de l’année (au 9 avril), selon PPCmetrics. Le degré de couverture technique s’établit à 113,4%, en recul de 4,9%. Le consultant en prévoyance publie une étude qui fait le point sur la situation et présente les conséquences pour les investisseurs institutionnels. Quentin Costa, actuaire auprès de PPCmetrics, répond aux questions d’Allnews:

Quelle est la situation des caisses de pensions au moment où elles sont confrontées au choc financier lié aux droits de douane?

Les réserves des caisses de pensions avaient augmenté en fin d’année dernière. Elles leur permettent d’absorber le choc financier actuel puisque le degré de couverture technique moyen est estimé à 113,4% le 9 avril. Ce dernier a diminué de 4,9 points mais les réserves ne sont ainsi pas entamées jusqu’à présent. 

Le premier choc est absorbé par les réserves. Si la guerre commerciale devait se prolonger à plus long terme, la situation pourrait devenir plus problématique. Mais, une fois de plus, l’immobilier suisse joue son rôle de stabilisateur et leur permet de rester en bonne santé. La situation est certes négative, mais elle n’est pas dramatique. L’horizon d’investissement à long terme des caisses de pensions leur octroie également une certaine marge de manœuvre.

Les actions ont chuté, mais qu’en est-il des obligations?

La performance des obligations en francs suisses est négative de 0,8% depuis le début de l’année (SBI AAA-BBB) en raison d’une légère hausse des taux. Mais à côté de la baisse des marchés, le principal mouvement est venu de l’appréciation du franc suisse (+5,5% contre le dollar depuis le début de l’année). Le relèvement de la couverture des risques de change me paraît opportune aujourd’hui. 

N’est-ce pas très cher?

La couverture de change est chère mais elle a permis de réduire sensiblement les effets de la baisse de l’euro et du dollar cette année et atténue la volatilité des placements notamment obligataires.

«Les stratégies de placement sont conçues pour traverser des crises telles que celle qui se produit actuellement.»

Quelles sont les conséquences de la hausse du franc?

Tous les indicateurs tendent à considérer que le franc suisse sera plus que jamais la monnaie refuge par excellence. Sa tendance à long terme ne fait guère de doute, en particulier si le président Trump maintient sa politique, même si des mouvements opposés à court terme restent évidemment possibles. 

L’exposition non couverte en monnaies étrangères des caisses de pensions suisses se situe entre 15% et 20% en général.

Recommandez-vous aux caisses de pensions de faire le dos rond?

Les caisses de pensions ont une perspective à long terme. Des mesures ne doivent pas intervenir au cœur de la tempête. Les stratégies de placement sont conçues pour traverser des crises telles que celle qui se produit actuellement. La diversification de leurs placements reste un facteur clé.

Il faut rappeler que des décisions politiques sont susceptibles d’être modifiées. La politique commerciale américaine pourrait éventuellement s’assouplir et permettre un rebond des bourses. Il ne sert à rien d’agir dans la précipitation. Nous recommandons de maintenir la stratégie de placement qui a été définie. Le travail de constitution de réserves sert précisément à traverser de telles phases de volatilité. L’immobilier suisse jouera aussi sa fonction de stabilisateur au sein des portefeuilles. 

Dans votre étude, vous proposez d’agir. De quelles actions s’agit-il?

Lors des phases de nervosité et de fortes incertitudes, il est judicieux de surveiller la capacité de risque et la situation financière ainsi que, au besoin, de rééquilibrer l’allocation du portefeuille. Il faudrait rééquilibrer le portefeuille, par exemple si les actions devenaient fortement sous-pondérées par rapport à la stratégie de placement et si la capacité de risque et la situation financière de la caisse le permet toujours. Il faut aussi surveiller les besoins de cash, notamment pour les caisses ayant une forte proportion de rentiers en raison de leur horizon temporel plus restreint et de leurs besoins de liquidités plus importants.

En raison des besoins de rééquilibrage, vont-elles acheter des actions?

Elles achèteront des actions si elles devait être trop sous-pondérées par rapport à leur stratégie de placement, mais cela ne signifie pas qu’elles achètent pour des raisons tactiques dans l’attente d’un rebond. 

Quelles sont les allocations actuelles?

La baisse des actions est importante, mais je n’observe pas beaucoup d’institutions qui soient proches de leurs limites tactiques actuellement. Durant les bonnes années, les actions étaient souvent surpondérés dans les portefeuilles. En moyenne, elles sont donc retombées en-dessous de leur point neutre après avoir effacé la performance positive réalisée en début d’année. La question du rééquilibrage entre les actions et les obligations peut se poser, mais aucune mesure n’est à prendre dans l’urgence pour changer de stratégie.

«Les actifs illiquides et les actifs réels sont pertinents, à l’image des infrastructures et de l’immobilier».

Si les fondamentaux changent, ne faut-il pas changer la stratégie?

Nous ne recommandons pas de changer de stratégie au cours d’une crise. Le risque est élevé d’avoir un mauvais timing. Par exemple, si un investisseur réduisait fortement ou supprimait sa position en actions à la veille d’un rebond, il enregistrerait des pertes maximales et ne bénéficierait pas du rebond.

La stratégie de placement d’une caisse de pensions est conçue afin d’affronter les événements négatifs des marchés. Il ne serait pas optimal de les modifier significativement à brève échéance. Beaucoup d’incertitudes subsistent pour le moment, cela nécessite aussi de suivre attentivement les prochains développements. 

L’histoire a révélé que les chutes des marchés causées par un problème politique étaient relativement brèves. Habituellement, la politique ne résiste pas à la pression des marchés financiers. Or il apparaît que Donald Trump commence déjà à perdre des soutiens au sein de son propre camp.

Est-ce que les marchés ont déjà intégré des mesures de rétorsion européennes?

Non. A l’heure où nous nous parlons, l’UE n’a pas encore annoncé d’actes de rétorsions concrets. Cela ajoute de l’incertitude. La réaction d’autres pays majeurs reste aussi incertaine, bien que la Chine ait déjà répliqué par de nouveaux droits de douane sur les produits américains (+84%, contre +34% initialement prévu). 

Si la chute se poursuivait encore longtemps, ainsi que le relèvement des droits de douane, comment les stratégies de placement devrait-elles changer?

Si ces mesures protectionnistes se poursuivaient durablement et entraînaient une baisse massive du commerce, voire une récession de l’économie mondiale, l’ajustement de la stratégie de placement serait à considérer à travers une étude ALM, impliquant une analyse des réserves et des objectifs de prévoyance. Je tiens à rappeler que l’horizon de placement d’une caisse de pensions n’est pas le même que celui d’un investisseur privé. 

En cas de démondialisation, quels seraient les impacts sur les politiques des investisseurs institutionnels?

Si les économies occidentales entraient en récession, les marchés d’actions se porteraient mal pendant une plus longue période. Dans les portefeuilles des caisses de pensions, la part des actions est nettement plus basse en Suisse qu’aux Etats-Unis par exemple. L’allocation moyenne en actions s’élève à environ 30% et oscille entre 25% et 50%. L’immobilier restera un pilier majeur de l’allocation des institutionnels suisses.

J’observe que les marchés actions restent interconnectés et corrélés. Le marché européen a baissé presque autant que l’américain. L’absence d’actions américaines n’aurait donc pas protégé l’investisseur. Les sociétés cotées sont elles-mêmes souvent globales et exposées au marché américain. 

Est-ce que ces événements incitent à diversifier vers des classes d’actifs comme les infrastructures et les hedge funds?

Les actifs illiquides et les actifs réels sont pertinents, à l’image des infrastructures et de l’immobilier. Il en va autrement des hedge funds, qui restent relativement exposés aux actions. Il faut préciser qu’en cas de récession presque toutes les classes d’actifs pourraient être touchées. L’immobilier suisse a ceci de particulier qu’il répond avant tout aux aspects démographiques et au manque de logements.

Est-ce que le marché a déjà distingué entre les sociétés qui subissaient la contraction américaine ou non, et celles qui sont implantées aux Etats-Unis et les autres?

Non. Il n’est pas aisé d’évaluer à quel point une société ou une branche d’activité est réellement impactée par les mesures américaines. L’incertitude sur la durée de l’application concrète des droits de douane complique le calcul.

Est-ce que les caisses de pensions augmenteront leur biais domestique?

Non. Le marché suisse reste lié au marché américain. Même en Suisse, les trois grandes multinationales qui représentent 40% du marché sont globales. D’autant que les incertitudes demeurent sur les droits de douane du secteur pharmaceutique.

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