De nombreuses caisses de pension ont versé une 13e rente

Emmanuel Garessus

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Une majorité a toutefois accru les réserves. Les institutions augmentent un peu leur allocation en obligations, affirme Quentin Costa, de PPCmetrics.

Les caisses de pensions sont au cœur du débat politique, à la veille d’une votation sur la réforme de la prévoyance professionnelle. Sur le plan économique, elles se portent plutôt bien, si l’on en croit leur performance de 4,8% au 15 mai (Pension Ticker de PPCmetrics). Quentin Costa, actuaire auprès de PPCmetrics, répond aux questions d’Allnews:

Les caisses de pensions devaient reconstituer des réserves après un exercice 2022 compliqué. Après une bonne année 2023 et une performance moyenne de 4,8% au 15 mai 2024, selon le Pension Ticker de PPCmetrics, est-ce que leur situation est au beau fixe?

La situation des caisses de pensions est bonne depuis le début de l’année 2024, notamment sous l’impulsion des marchés actions. Les actions américaines, en particulier, sans couverture de change ont fortement soutenu les marchés financiers. Le marché nord-américain qui représente environ 70% de l’indice MSCI Monde est en hausse de plus de 18% cette année. A titre de comparaison, l’indice SPI des valeurs suisses a progressé de plus 9%. Le marché suisse sous-performe mais ses gains restent importants. L’immobilier suisse coté est également reparti à la hausse à la faveur de la baisse des taux d’intérêt. 

La bonne surprise provient tout d’abord de la hausse des actions qui, après un bon crû 2023, restent encore sur une tendance haussière. La hausse de l’immobilier suisse me surprend moins dans la mesure où les facteurs fondamentaux sont restés solides, à commencer par les problématiques de pénurie de logements. 

Quel est le résultat des discussions sur la compensation de l’inflation?

De nombreuses caisses de pensions parmi celles disposant de réserves suffisantes ont versé une 13e rente LPP, quelques-unes ont même procédé à une indexation des rentes. 

Quelles sont les caractéristiques des caisses qui ont versé une 13e rente?

Les statistiques détaillées font défaut, mais il s’agit encore, à mon avis, d’une minorité d’institutions. On les trouve notamment au sein de celles qui ont bien résisté à la baisse des marchés en 2022. Les caisses de pensions fortement orientées sur l’immobilier suisse non coté en font notamment partie. 

«Celles qui avaient fortement réduit leur taux de conversion sont souvent plus enclines à octroyer des compensations à leurs rentiers».

La majorité des caisses de pensions ont préféré reconstituer leurs réserves tout en versant une rémunération supérieure aux assurés actifs en 2023 par rapport à l’année précédente. 

La désinflation se poursuit graduellement. Est-ce que ce processus mettra rapidement un terme aux discussions sur ce sujet?

Non, mais la baisse de l’inflation réduit plutôt la pression sur les organes décisionnaires. Comme évoqué, les caisses de pensions les plus solides ont pu redistribuer et faire un geste auprès de leurs bénéficiaires. Cette politique a d’ailleurs été bien accueillie par leurs rentiers. Mais cela dépend aussi du taux de conversion qui avait été octroyé. Celles qui avaient fortement réduit leur taux de conversion sont souvent plus enclines à octroyer des compensations à leurs rentiers, bien que cette règle ne soit pas absolue. 

Si l’année financière 2024 devait se poursuivre sur sa lancée, les caisses de pensions disposeront encore de possibilités de compensation supplémentaires que cela soit pour leurs assurés.

Le degré de couverture moyen est extrêmement favorable, à 115,6%, selon votre mesure. Est-ce que cela signifie qu’il n’y a presque pas de caisses de pensions en sous-couverture?

Une faible minorité se trouve encore en sous-couverture. La situation des caisses de pensions de droit privé est normalement en surcouverture. A fin 2023, seules 5% de notre univers étaient en sous-couverture. 

Quelles adaptations sont au centre du débat au sein des institutions?

En raison de la hausse des taux d’intérêt par rapport à ces dernières années, la pression à prendre des risques pour financer les engagements a diminué. Nous n’observons plus d’accroissement du niveau de risque. Selon nos observations issues des études de congruence actifs / passifs (ALM), les caisses n’augmentent pas leur exposition en actions, d’autant qu’elles ont réalisé de bonnes performances. 

Il n’y a pas de grands mouvements en ce moment au niveau des stratégies de placement. Il est toutefois possible que l’allocation en obligations augmente un peu, du fait des taux plus élevés que ces dernières années. 

L’entrée dans une ère de taux d’intérêt durablement plus élevée ne provoquera-t-elle que très peu de changements stratégiques?

Les discussions se sont concentrées pendant 20 ans sur des taux qui baissaient sans cesse. Cette période a été suivie par plusieurs années de taux négatifs qui a conduit à la recherche d’actifs risqués. Nous assistons à une forme de normalisation, avec une baisse de l’inflation, des obligations qui peuvent désormais compenser les objectifs nominaux de rendement (minimal LPP). Aujourd’hui, nous constatons que les caisses de pensions disposent d’une plus grande flexibilité dans leurs décisions d’allocations. Dans le passé, elles avaient été fréquemment forcées par l’environnement économique à prendre certaines décisions.

«La baisse de l’inflation réduit plutôt la pression sur les organes décisionnaires»

Dans une étude, vous avez mis en évidence le risque de concentration au sein des actions. Que recommandez-vous pour sortir de ce dilemme?

Nous recommandons de suivre l’allocation du marché et de maintenir un portefeuille diversifié. Pour l’instant, nous n’avons pas observé de surperformance de la part de la gestion active parce que les actions américaines, en particulier les très grandes capitalisations, surperforment nettement le marché depuis plusieurs années. De plus, les grandes actions américaines, de Microsoft à Amazon, restent des entreprises globales et exposées à l’économie mondiale.

La prochaine votation sur la réforme de la prévoyance modifie-t-elle les choix et les décisions des caisses de pension cette année?

Non. Certaines caisses de pensions s’interrogent sur les effets potentiels de la votation. Mais il n’y a pas de changement majeur directement lié à la votation. Toutes ne seront pas impactées de la même manière. 

Le système de prévoyance fonctionne dans le sens que chaque caisse de pensions entend offrir les meilleures prestations possibles à leurs assurés tout en assurant leur stabilité à long terme. 

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