Les caisses de pensions suisses ont profité de la bonne tenue des marchés financiers en 2024. La performance estimée de leurs placements s’est élevée à +8,7% en 2024, selon le PPCmetrics Pension Ticker (fin décembre). Les bilans des institutions de prévoyance ont ainsi pu être renforcés. Le degré de couverture technique estimé atteint 118,5% (+7,7%) à la fin de l’année. Sur la base de ces bons résultats, quelles décisions de répartition des profits prendront les caisses de pensions? Comment ajusteront-elles leurs portefeuilles? Quentin Costa, actuaire auprès de PPCmetrics, répond aux questions d’Allnews:
Quelle est votre analyse du rendement de 8,7% obtenu par les caisses de pensions en 2024?
Le résultat 2024 est excellent. Il traduit la hausse des marchés actions, de l’immobilier suisse et les conséquences de la baisse des taux d’intérêt sur les obligations suisses. Les performances de tous nos clients ne sont pas encore toutes disponibles, mais il est d’ores et déjà possible de parler de très bons résultats. Certains institutions de prévoyance pourraient approcher, voire même dépasser, les 10% de rendement en 2024.
L’immobilier suisse s’est à nouveau révélé porteur, notamment les fonds cotés (indice SXI Real Estate Funds Broad +17,6%), à la différence de l’immobilier international globalement en recul.
Quelles ont été les classes d’actifs qui ont été renforcées durant l’année?
Nous n’avons pas assisté à de vastes changements d’allocation durant l’année. Certaines caisses de pensions avaient toutefois renforcé les obligations en CHF en début d’année 2024 afin de profiter des taux d’intérêt plus élevés. Cette décision s’est révélée correcte avec la baisse des taux au cours de l’année. La performance des obligations suisses a atteint +5,4% (indice SBI AAA-BBB), ce qui est significatif pour cette classe d’actifs, alors que la performance des obligations en monnaies étrangères (couvertes en CHF) était légèrement négative.
Dans les actions, il était pertinent de ne pas présenter de biais régionaux. Les biais suisses ou européens ont en effet pénalisé la performance puisque ce sont, une nouvelle fois, les valeurs américaines, sous l’impulsion de la technologie et des 7 magnifiques, qui ont porté l’indice mondial (indice MSCI Monde +27,8%). Le marché suisse a tout de même gagné un peu plus 6% (indice SPI +6.2%).
«Vu les bonnes performances, il serait difficile pour la plupart des caisses de justifier auprès de leurs assurés de nouvelles baisses de leur taux de conversion».
Quels risques sont actuellement les plus discutés?
Les craintes sont liées au faible niveau des taux d’intérêt suisses. La question porte donc sur le maintien ou non du niveau des positions obligataires en CHF. Il est possible de penser que les caisses de pensions qui avaient renforcé leurs positions dans cette classes d’actifs et ainsi bénéficié de la baisse des taux puissent réévaluer cette pondération obligataire.
Après deux bonnes années boursières, la question d’une adaptation de la part investie en actions se pose aussi.
Dans l’immobilier, il pourrait être intéressant d’accéder à l’immobilier international à un prix attractif, puisque c’est la classe d’actifs qui a le moins bien performé en 2024. Le contexte économique reste néanmoins incertain.
Qu’en est-il de la rémunération des avoirs du deuxième pilier après cette bonne performance?
Les caisses de pensions devraient verser nettement plus en moyenne que le taux minimum LPP qui, pour rappel, est de 1,25% sur la part obligatoire du capital de prévoyance. Les décisions n’ont pas encore été validées dans la plupart des caisses, mais on peut penser que les rémunérations devraient atteindre 2,5 à 3% pour les assurés actifs, voire davantage. La situation est naturellement différente d’une institution à l’autre. Ce choix traduit à la fois de bons résultats des placements et des degrés de couverture relativement élevés (118,5%, soit +7,7%). Une distribution d’un quart de la performance ne me paraît pas ainsi irréaliste. Pour les rentiers, l’incertitude demeure, car l’inflation a faibli suite aux interventions de la BNS. L’expérience de 2022 montre que les réserves peuvent disparaître très rapidement. Un équilibre est à trouver entre la constitution des réserves de fluctuations de valeurs et la redistribution aux assurés.
Les caisses de pensions se préparent-elles aux taux négatifs?
Les caisses de pensions n’avaient pas toutes forcément intégré la remontée des taux ces dernières années dans leur allocation d’actifs. Elles ont souvent investi dans des placements alternatifs tels que les infrastructures ou l’immobilier pour diversifier leur portefeuille. Cette année, je m’attends à des discussions intéressantes avec les Conseils de fondation sur la part obligataire. Il est envisageable que le maintien des obligations en CHF au niveau actuel soit une stratégie correcte, notamment en cas de nouvelle baisse des taux (actuellement: 0,3% de rendement des obligations de la Confédération à 10 ans) puisque cela augmenterait la valeur des titres détenus dans les portefeuilles.
Les discussions se situent aussi à l’égard du niveau du taux technique. La tendance à la baisse de ce dernier semblait s’être arrêtée. Le sujet pourrait toutefois être remis à l’ordre du jour si les taux diminuaient encore plus bas ou redevenaient même négatifs.
Après deux bonnes années, les caisses réduiront-elles le niveau de risque?
Les bonnes performances récentes permettent d’apaiser les discussions et de prendre des décisions plus sereinement. Des réserves ont pu être constituées. Les caisses de pensions ne devraient probablement ni accroître ni baisser massivement leur niveau de risque. Seuls des ajustements relativement modestes devraient intervenir en matière de prise de risque.
«La question porte donc sur le maintien ou non du niveau des positions obligataires en CHF».
Se prépareront-elles à un risque de krach boursier?
Je n’ai pas l’impression que les institutions soient particulièrement inquiètes à ce sujet. Leurs stratégies de placement à long terme sont conçues en intégrant ce type de scénario. Il est parfaitement sensé de ne pas modifier le curseur de façon extrême et de maintenir une bonne diversification, avec un équilibre entre les investissements cotés et non cotés par exemple.
Le taux de conversion pourrait-il à nouveau baisser?
Vu les bonnes performances, il serait difficile pour la plupart des caisses de justifier auprès de leurs assurés de nouvelles baisses de leur taux de conversion. Les caisses de pensions se sont déjà adaptées ces dernières années et les décisions sur le taux de conversion sont toujours prises dans une perspective à long terme. Dans leur grande majorité, elles arrivent à financer les prestations qu’elles promettent. Selon le PPCmetrics Pension Ticker, le degré de couverture économique estimé en incluant les promesses de prestations futures est même de 109,0% (+5,4%).
Si l’année financière 2025 s’avérerait être compliquée, il pourrait naturellement en aller autrement. Cependant, les décisions sur le taux de conversion reposent plutôt sur l’évolution des taux à long terme et l’accroissement de la longévité que sur les performances à court terme des placements.
Le scénario le plus probable sur le taux de conversion est celui d’un statu quo. Lorsque les caisses de pensions disposent de revenus supplémentaires, on observe généralement une hausse de la rémunération des avoirs plutôt que du taux de conversion réglementaire (qui est souvent supérieur au taux de conversion actuariellement neutre).
La diversification dans les marchés privés et les infrastructures se poursuivra-t-elle?
Les institutions de prévoyance ont bien investi dans les infrastructures ces dernières années, non seulement sous l’effet de la baisse des plus faibles attentes de rendement sur les obligations, mais également en raison des discussions sur la transition énergétique. Le sujet restera sur la table. Les investissements dans le private equity diffèrent d’une institution à l’autre. De nombreuses caisses hésitent à y investir en raison d’obstacles pratiques tels que le manque de transparence et de compréhension ainsi que le profil risqué de ce type de placements.
La gestion active a été difficile dans les actions en 2024. Quand reste-t-elle appropriée?
On observe à nouveau de grandes difficultés à battre la performance de l’indice global des actions, fortement influencée par les grandes capitalisations américaines. La discussion porte ainsi plus sur les marchés où la gestion active peut être un choix rémunérateur, y compris après les frais. Nous la recommandons par exemple dans les actions suisses small & mid caps, voire dans les obligations si l’on désire s’exposer à un certain risque de crédit. Quant aux placements alternatifs, ils expriment en soi des choix de gestion active.
Quels changements réglementaires majeurs interviennent en janvier dans le 2e pilier?
La réforme du 2e pilier ayant échoué devant le peuple, les changements sont mineurs et concernent, entre autres, les effets de l’ajustement de la rente AVS maximale.