Ethereum, l’éternel mal-aimé

Olivier Wurlod

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Alors que le bitcoin enchaîne les records, l’ETH vit des heures moins fastes. Expert des cryptomonnaies, Adrien Treccani nous en explique les raisons.

Le retour officiel de Donald Trump à la Maison-Blanche a déclenché une nouvelle phase de hausse sur le marché des cryptomonnaies. Ces derniers jours, il était difficile de ne pas entendre parler des memecoins TRUMP et MELANIA, compte tenu de l’envolée de leur valeur suite à leur lancement respectif les 18 et 19 janvier. Cependant, cet envol a été de courte durée, car les tokens sont déjà en fort recul.

Ces mouvements ont provoqué la colère d’une partie de la communauté, qui reproche à ces memecoins de saper leurs efforts pour légitimer les cryptomonnaies. «Même portés par un président des Etats-Unis, les memecoins sont toujours aussi volatils. Il est important de se rappeler que rien ne soutient ces cryptomonnaies: ni fondamentaux solides, ni but précis, ni même une garantie de retour sur investissement», rappelle Marine Debelloir, journaliste sur Cryptoast.

Ce court épisode n’a pas empêché le bitcoin d’atteindre de nouveaux sommets lors de l’intronisation de Trump au pouvoir. Pendant que la première cryptomonnaie au monde poursuit son insolente ascension, sa challenger vit des heures moins fastes. L’ether (ETH), associé à la blockchain Ethereum, est en effet loin d’afficher les mêmes performances. Essayons d’en comprendre les raisons avec Adrien Treccani, le fondateur de Metaco (société revendue avec succès à Ripple) et expert des cryptomonnaies.

Pour quelles raisons l’ether n’a-t-il pas flambé autant que le bitcoin depuis l’élection de Donald Trump?

Nul ne peut apporter de réponse exacte à cette question, mais l’hypothèse la plus solide pointe vers la montée en puissance du principal concurrent d’Ethereum: Solana. Cette blockchain offre des avantages significatifs en termes de coûts et d’expérience utilisateur par rapport à Ethereum. En particulier, ses frais de transaction et la rapidité d’exécution de ses transactions la rendent bien plus attrayante pour une utilisation à grande échelle ou pour des micro-transactions. A titre de comparaison, Ethereum a montré, en période de forte charge, que ses frais peuvent s’élever à plusieurs dollars, et son réseau peut être sévèrement surchargé, entraînant des échecs de transactions, de longs délais, etc.

«Solana grignote des parts de marché à Ethereum et s’est construit une image de réseau innovant et orienté vers le consommateur.»

Solana n’est pas une solution magique pour autant. On peut notamment critiquer sa centralisation accrue par rapport à Ethereum. Cette centralisation est, d’un côté, la principale raison de ses performances supérieures, mais, d’un autre côté, elle représente un sacrifice important par rapport aux valeurs fondamentales d’une blockchain, au profit d’une meilleure expérience utilisateur.

Ce sacrifice a finalement peu de conséquences. La plupart des nouvelles expérimentations, qu’elles soient farfelues ou plus sérieuses, comme l’explosion des memecoins, ont eu lieu sur Solana plutôt que sur Ethereum. Le lancement du TRUMP, dont les performances ces derniers jours ont été incroyables, a d’ailleurs renforcé la notoriété de ce réseau plus récent. Solana grignote ainsi des parts de marché à Ethereum et s’est construit une image de réseau innovant et orienté vers le consommateur. Ethereum, quant à lui, semble – à tort ou à raison – stagner et éprouver des difficultés à surmonter ses faiblesses.

Est-ce la seule explication à la sous-performance de l’ETH? Difficile à affirmer. Cependant, sa sous-performance par rapport au BTC, SOL, XRP et d’autres monnaies du top 10 reste notable.

Son manque de performance est-il lié à son mode de minage, passant du proof of work au proof of stake (PoW/PoS)?

Je ne pense pas. L’algorithme de consensus (PoW/PoS) importe peu, au final. Ce sont plutôt la politique monétaire (notamment le niveau d’inflation) et la croissance – ou la croissance perçue, parfois simplement soutenue par le marketing – qui semblent avoir un impact sur le prix de l’ETH.

Pour l’anecdote, les portefeuilles publics associés au président Trump semblent indiquer qu’il réalise d’importants investissements dans le domaine des cryptomonnaies. Ils montrent également qu’il a récemment investi dans l’ETH. Ce signal implicite de soutien politique pourrait être un indicateur annonciateur d’une future hausse.

Que faudrait-il pour que l’ether s’enflamme enfin?

Le soutien implicite de Trump offre déjà une certaine assurance quant à son avenir politique aux Etats-Unis. C’est un grand pas qui pourrait insuffler un regain d’énergie aux marchés. Néanmoins, il faudrait également compter sur un engagement fort de la communauté technique pour faire évoluer Ethereum vers davantage de flexibilité et de performance. Bien que la communauté reste très active, elle semble éprouver des difficultés à convaincre le public quant à l’avenir de la plateforme. Il s’agit peut-être simplement d’un problème de marketing.

Sur le long terme, est-ce que l’ETH est condamnée à rester l’éternel challenger du BTC?

Les deux monnaies jouent un rôle fondamentalement différent.

Le BTC est une valeur refuge : un véritable or numérique. Il ne fait pas grand-chose, mais il le fait remarquablement bien. Sa politique monétaire est parfaitement claire, sa technologie est simple mais éprouvée. Il évolue peu et ne cherche pas à séduire par des fonctionnalités à la pointe de l’innovation, mais plutôt par sa stabilité et sa robustesse.

«La mission de l’ETH est de favoriser le développement de structures financières avancées directement sur une chaîne décentralisée.»

L’ETH est la monnaie de l’action, de l’échange, du pari, de la tokenisation et des DAO. C’est l’essence qui alimente les constructions financières numériques les plus élaborées sur sa blockchain. Contrairement au BTC, elle n’a pas pour vocation de rester simple ou de se comporter comme un 'or numérique'. Sa mission est de favoriser le développement de structures financières avancées directement sur une chaîne décentralisée.

Quant à Solana, elle peut être perçue comme une version moderne d’Ethereum, qui sacrifie une partie de sa décentralisation au profit d’une meilleure expérience utilisateur. La véritable question est donc de savoir si Solana a une chance, un jour, de surpasser Ethereum.

Depuis quelques semaines, le Ripple (XRP) flambe. Pourrait-elle être la crypto de 2025?

En termes de performance, la hausse du XRP a été véritablement spectaculaire ces derniers mois. Cette progression s’explique essentiellement par des facteurs politiques, notamment la défaite de la SEC dans son affaire contre Ripple. L’arrivée de Trump, qui semble se rapprocher des entreprises blockchain américaines, renforce également cette dynamique. Par ailleurs, Ripple a récemment lancé un «stablecoin», qui semble capter l’attention du grand public et contribuer à cette hausse.

Quelle cryptomonnaie faudra-t-il suivre de près au cours des mois à venir?

C’est difficile à dire. Je pense que la plus grande question, à ce jour, est de savoir jusqu’où ira cette hausse et à quel moment l’économie et les facteurs macroéconomiques finiront par influencer les marchés cryptos en les poussant vers une correction. L’effet Trump joue un rôle important aujourd’hui, mais il ne faut pas oublier que l’économie globale n’est pas en grande forme. De plus, la situation actuelle des marchés actions américains rend l'industrie nerveuse particulièrement nerveuse en ce début d’année.

Une correction générale des marchés traditionnels pourrait entraîner une contagion immédiate vers les marchés crypto. Comme souvent, cela dépendra probablement de la stratégie adoptée par les banques centrales : choisiront-elles de relancer la planche à billets pour relancer l’ensemble de l’économie, ou au contraire de profiter de l’arrivée de Trump pour lui attribuer la responsabilité d’une correction devenue depuis longtemps inévitable?

Quel regard portez-vous sur ce qui se passe autour des memecoins MELANIA et TRUMP? Avec les CHILLGUY, PEPE et autres tokens absurdes, faites-vous partie de ceux qui craignent que cette spéculation effrénée risque de décrédibiliser les cryptomonnaies?

Je ne pense pas que ces expérimentations nuisent à la réputation de l’ensemble de l’industrie. Cependant, on peut craindre que des investisseurs perdent de l’argent dans la spéculation extrême sur ces actifs (et, à l’inverse, que d’autres s’en sortent gagnants), et qu’une grande partie de ces projets s’effondre intégralement. L’histoire de la «Hawk Tuah Girl» illustre bien ce phénomène: son token «$HAWK», après s’être envolé en quelques minutes pour atteindre une capitalisation boursière d’environ 490 millions de dollars, a perdu toute sa valeur quelques heures plus tard.

Cela étant dit, le concept d’une monnaie dont la valeur repose sur une image de marque n’est pas totalement risible. Je peux tout à fait imaginer que certains memecoins ayant atteint une masse critique puissent conserver une certaine utilité. Une question provocante pourrait être de se demander si, au fond, Bitcoin lui-même n’est pas une sorte de memecoin.

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