Bilan 2024 et perspectives 2025: entre exceptionnalisme américain et premières mesures de Trump

Yoann Ignatiew, Anthony Bailly, Emmanuel Petit, Rothschild & Co Asset Management

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Les premières mesures de l’administration Trump seront décisives tant elles sont susceptibles d’impacter le reste du monde.

L’année 2024 aura été marquée par «l’exceptionnalisme américain», en contraste avec le reste du monde tant sur le plan économique qu’au niveau des marchés financiers. Pour 2025, les premières mesures de l’administration Trump seront décisives tant elles sont susceptibles d’impacter le reste du monde.

Que retenir de 2024?

Yoann Ignatiew : En 2024, l'économie mondiale a démontré une résilience remarquable. Le recul progressif de l'inflation a permis aux banques centrales d'entamer un cycle d'assouplissement monétaire, la croissance a tenu le cap et les entreprises ont enregistré une hausse significative de leurs bénéfices. Les marchés actions mondiaux ont clôturé l'année en forte progression, le MSCI All Country World Index gagnant 15,7%. Toutefois, des disparités régionales se sont affirmées : les États-Unis ont surperformé avec un S&P 500 en hausse de 23,3%, tandis que la Chine, malgré un contexte difficile, a vu le Hang Seng progresser de 17,7%. La zone euro, freinée par des tensions géopolitiques et une instabilité politique, termine plus modestement à +8,3%. Le ralentissement de l'inflation a permis à la BCE et la Fed de réduire leurs taux directeurs de 100 points de base, s’établissant respectivement à 3 % et 4,25 %. Ces ajustements reflètent des dynamiques économiques distinctes, avec une inflation proche de 2 % en Zone euro, mais encore au-dessus de 3 % pour sa composante core aux États-Unis. L’année 2024 a également été marquée par des événements politiques majeurs. Aux États-Unis, la victoire de Donald Trump a suscité un accueil optimiste sur les marchés. En Chine, les mesures visant à stabiliser l’immobilier et à dynamiser la demande intérieure ont entraîné une réaction positive, bien que l’élan se soit essoufflé au quatrième trimestre.

Anthony Bailly : Sur les marchés européens, l’année 2024 aura notamment été marquée par l'instabilité politique des deux premières économies de la zone. Les votes de défiance ont ainsi engendré la nomination d’un nouveau gouvernement en France et la perspective d'élections anticipées le 23 février prochain en Allemagne. Si cette incertitude politique et l’ampleur du déficit français ont particulièrement pesé sur le CAC 40 qui termine en territoire négatif, à -0,7 %, cela n’a pas été le cas outre-Rhin. Le Dax a en effet rebondi de 18,6 % sur l’année, porté par la vigueur de certains titres (SAP, Rheinmetall, Siemens Energies) et l’espoir d’un débouclage du verrou budgétaire. Les bonnes performances des marchés d’Europe du Sud, avec un IBEX à +20 % et FTSE MIB à +18,9 %, permettent à l’Eurostoxx d’afficher une hausse de 8,7 %. Sur le plan sectoriel, les difficultés économiques de la Chine ont pesé sur les secteurs des matières premières, du luxe et de l’automobile qui terminent tous en territoire négatif. À l’inverse, les tensions sur les taux – soutenue par une inflation résiliente – ont permis à la banque et l’assurance de clôturer l’année en tête des performances sectorielles. L’autre élément marquant aura été la divergence avec les États-Unis. L’exceptionnalisme américain s’est confirmé tout au long de l’année, permettant d’afficher une croissance nettement supérieure à l’Europe, tant sur le plan économique qu’au niveau des résultats des entreprises. Cela a contribué à attirer des flux, les marchés d’actions américains collectant encore massivement, à hauteur de 480 milliards de dollars. Cette tendance s’est renforcée depuis l’élection de Donald Trump. À l’inverse, les flux restent négatifs sur les actions européennes qui enregistrent une décollecte de 65 milliards de dollars. La zone n’a jamais été aussi peu pondérée dans les allocations. Cette dynamique se traduit également au niveau des valorisations. Les marchés d’actions européens affichent des niveaux proches de leur moyenne historique (P/E de 13,2x), alors que les marchés américains, avec un PE de 22,2 x , gravitent autour de leurs points hauts. La décote des marchés européens, désormais supérieure à 40 %, n’a jamais été aussi élevée.

Emmanuel Petit : Le pivot des banques centrales, avec l’initiation d’un cycle de baisse des taux, reste l’élément majeur de 2024 pour les marchés de taux. Cet ajustement s’est concrétisé dans un contexte où l'inflation, bien qu’en recul, reste encore éloignée de la cible des 2 %. Néanmoins, en dépit de leur décalage, les politiques monétaires de la Fed et de la BCE ont convergé dans la même direction. L’anticipation de ces mouvements par les investisseurs a permis aux marchés de réagir positivement tout au long de l’année. L’incertitude s’est toutefois accentuée au cours du dernier trimestre. À ce titre, l’élection de Donald Trump a engendré une divergence dans les anticipations de part et d’autre de l’Atlantique. Cette situation s’est traduite par une hausse des taux longs aux États-Unis, portée par des promesses de relance économique, quand, en Europe, les taux courts ont baissé sous l’effet de craintes liées à une croissance affaiblie. Deux causes distinctes qui ont pourtant engendré les mêmes effets, une pentification modérée des courbes de taux dans chacune des zones. Dans l’ensemble, les banques centrales ont réussi à maintenir un équilibre relatif en 2024. Cependant, des perspectives de dynamiques économiques très distinctes de part et d’autre de l’Atlantique semblent s’esquisser pour 2025. L’année s’achève sur une forte instabilité politique en Europe et, si les urnes ont d’ores et déjà rendu leur verdict aux États-Unis, l’impact des mesures potentiellement mises en œuvre par l’administration Trump pourrait accentuer ces divergences.

Quel est votre scénario central pour 2025?

Yoann Ignatiew : Nous abordons l’année 2025 avec un positionnement résolument prudent, sans intention de nous réexposer significativement au risque dans le contexte actuel. Les répercussions de l’année électorale mondiale passée associées à un second mandat de Donald Trump aux États-Unis, amplifient les incertitudes autour de l’inflation, de la croissance et des échanges commerciaux. Parallèlement, les investisseurs doivent naviguer dans un environnement marqué par une nouvelle réalité géopolitique, des évolutions des chaînes d’approvisionnement et l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle. Dans ce contexte nous restons convaincus que des opportunités demeurent. Aux États-Unis, le marché actions reste attractif grâce à une croissance économique solide, des bénéfices robustes et une forte innovation. Bien que les flux restent concentrés sur les «Magnificent 7», d’autres opportunités existent, notamment dans les valeurs bancaires qui devraient bénéficier de la déréglementation promise. Au niveau des résultats des entreprises, les attentes de croissances de bénéfices extrêmement forte, autour de 15 %, sont à surveiller. Une déception des investisseurs pourrait entraîner un mouvement de vente important. En Europe, malgré les freins liés à l’énergie, l’instabilité politique et une faible productivité, des opportunités se trouvent dans les secteurs de la santé, des industries et du luxe, portés par des entreprises compétitives à l’échelle mondiale. Il est difficile de considérer les pays émergents comme un bloc homogène, tant leurs particularités économiques diffèrent. Néanmoins, dans l’ensemble, la croissance a montré une résilience notable, et l’inflation s'est nettement repliée par rapport aux sommets atteints en 2022. En Chine, malgré des mesures de relance importantes, le Parti peine à dynamiser sa demande intérieure. Les annonces d'assouplissement monétaire de novembre ont déçu, mais le gouvernement conserve une marge de manœuvre pour augmenter le déficit. La réélection de Donald Trump et la menace de nouveaux droits de douane pourraient accentuer cette pression, obligeant Pékin à privilégier la consommation intérieure face à un environnement exportateur plus difficile. Nous conservons notre volonté d’être exposé à la consommation locale en Chine et, plus globalement, en Asie et en Amérique Latine. En conclusion, notre scénario est celui d'un environnement incertain, où les défis liés à la géopolitique, à l'inflation et à la croissance coexistent avec des opportunités, notamment dans des secteurs spécifiques parfois délaissés et des marchés régionaux résilients.

Anthony Bailly : Le niveau d’attente est très faible sur l’Europe cette année, avec une croissance économique fragile, attendue autour de 1 % et des bénéfices par action en progression de 7 % à 8 % selon le consensus. Les indicateurs PMI dégradés reflètent un niveau d’incertitude élevé de la part des agents économiques. L’absence de rebond de la Chine, l’inquiétude sur les tarifs douaniers à venir et la politique jugée inflationniste de Donald Trump s’ajoutent aux difficultés politiques en Zone euro. Néanmoins, nous identifions des éléments qui pourraient contrebalancer ces inquiétudes. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait avoir des effets positifs qui ne sont, pour l’heure, pas encore pris en compte. Premièrement, sa volonté affichée de trouver une issue rapide au conflit russo-ukrainien pourrait permettre de lever une partie de la prime de risque qui pèse sur les marchés européens depuis le début du conflit. Le président Zelensky reste tributaire du financement américain, ce qui pourrait le contraindre à trouver un compromis. Deuxièmement, la nécessité d’accroître les dépenses militaires au sein des pays membres de l’OTAN constitue un élément supplémentaire de nature à inciter l’Allemagne à faire sauter son verrou budgétaire. Par ailleurs, on peut supposer qu’une fois les hausses de tarifs douaniers américains annoncés, la Chine pourra calibrer un plan de relance budgétaire probablement orienté davantage vers la consommation intérieure , ce qui devrait profiter indirectement à l’Europe. Enfin, alors que l’inflation s’avère déjà plus résiliente aux États-Unis qu’en Europe, le caractère inflationniste du programme de Donald Trump nous incite à penser que la Fed pourrait maintenir le ton plutôt «hawkish» affiché lors de sa réunion de décembre dernier. A contrario, la situation paraît bien différente en Europe où l’inflation poursuit sa décrue, offrant plus de marges de manœuvre à la BCE. La poursuite de la baisse des taux pourrait alors soutenir le crédit, redynamiser l’activité économique et in fine, profiter aux marchés actions.

Emmanuel Petit : nous nous attendons à une désynchronisation des économies et des politiques monétaires de part et d’autre de l’Atlantique en 2025. Les banques centrales semblent maintenir le cap et les courbes de taux poursuivent leur pentification avec un accroissement du risque sur les taux long. En se fiant aux anticipations de marché, avec quatre baisses de taux actuellement envisagées, la tendance européenne s’est alignée à la dynamique américaine. Le taux terminal de la BCE pourrait donc se situer au-delà des 2%. Il est toutefois probable que cette dernière soit contrainte d’adopter un rythme plus soutenu, la croissance restant sa principale préoccupation, alors que les incertitudes politiques continuent de peser, au même titre que les velléités protectionnistes du nouveau président américain. Aux États-Unis justement, il paraît difficilement envisageable pour la Fed de procéder à de nouvelles baisses de taux, notamment en raison des risques inflationnistes liés au programme de la future administration américaine. La banque centrale est, jusqu’à présent, parvenue à rapprocher l’inflation de la cible sans engendrer de récession, concrétisant le scénario quasi-idyllique «d’Immaculate Disinflation». Il semble probable que le taux neutre puisse désormais se situer à un niveau plus élevé qu’elle ne l’envisageait auparavant. Le marché du travail sera à scruter de près, de même que l’impact des mesures promises par le candidat Trump. On ne peut exclure que la banque centrale américaine puisse être amenée à remonter ses taux courant 2025. Cette nouvelle année devrait néanmoins s’inscrire dans la continuité de 2024 avec une pentification progressive des courbes de taux. L’agilité sera la clé tant les opportunités pourraient émerger d’événements et décisions aux effets contradictoires selon les zones. En somme, la bonne tenue du marché du crédit reposera sur le bon alignement des politiques monétaires avec l’environnement macroéconomiques propre à chacune. Dans ce contexte, la flexibilité affichée par la Fed contraste avec l’apparente rigidité du calendrier de la BCE. Toutefois, au regard des fondamentaux actuels, la classe d’actifs continue de bénéficier d’un attrait certain. Nous restons attentifs à la cyclicité de nos positions et à la qualité de crédit en général. Si les valorisations de certains segments peuvent paraître élevées, nous les estimons justifiées au regard des fondamentaux et tant que l’environnement macroéconomique ne se dégrade pas.

Quels vents contraires et favorables identifiez-vous ?  

Yoann Ignatiew : En 2025, plusieurs éléments clés pourraient influencer les marchés. Parmi eux, la divergence des politiques monétaires entre la Fed et la BCE. La Fed pourrait maintenir des taux élevés pour contenir une inflation stimulée par la politique expansionniste de Donald Trump, tandis que la BCE adopterait une posture plus accommodante pour soutenir une croissance morose en Europe. Les 100 premiers jours du président américain seront décisifs : ses baisses d’impôts et les déréglementations promises pourraient stimuler la croissance à court terme, mais un protectionnisme accru risque de freiner l’économie et d’exacerber l’inflation. La perspective d’un dollar fort pourrait peser sur les exportations américaines et mettre en difficulté les économies émergentes endettées en dollars. Parallèlement, la mode de l’intelligence artificielle concentrant les flux boursiers est à surveiller. Une correction significative est à craindre en cas de déception des investisseurs quant à la capacité des entreprises à transformer concrètement cette technologie en résultats. De plus, le développement de l’IA pose des défis énergétiques de par sa forte consommation. Du côté de l’Asie, la Chine doit recentrer sa croissance sur la demande interne pour compenser un environnement commercial international plus difficile. Enfin, à l’échelle mondiale, l’augmentation des dettes publiques reste un défi majeur, avec un déficit budgétaire américain de 6,3 % du PIB en 2024 et une dette globale mondiale atteignant 93% du PIB.

Anthony Bailly : La sous-performance des marchés européens s’explique en grande partie par les incertitudes liées à une croissance économique fragile, la hausse des tarifs douaniers et l’instabilité politique en Europe, des facteurs largement identifiées par les investisseurs. De fait, nous sommes en droit de nous demander si cette sous-performance est vouée à perdurer au regard de l’écart de valorisation – à son point haut historique entre les marchés européens et américains – et des atouts économiques dont dispose l’Europe. En effet, les salaires réels continuent de progresser au sein d’un marché de l’emploi sain, alors que l’excès d’épargne ne demande qu’un retour de la confiance pour être libéré. De son côté, avec un P/E de 22,2 et une croissance des BPA attendue à 15%, le marché américain nous semble à risque en cas de fragilisation de son économie ou d’une simple normalisation des taux de croissance liés à la thématique de l’IA. Les marchés européens présentent, par ailleurs, de nombreuses opportunités. Notamment, l’opportunité d’investir dans des champions européens décotés avec une forte exposition internationale et l’opportunité d’investir sur des secteurs susceptibles de bénéficier de catalyseurs qui nous semblent plausibles. Parmi ces derniers, on peut mentionner la construction, qui bénéficierait de la fin du conflit en Ukraine, l’immobilier qui accueillerait favorablement une politique monétaire plus accommodante de la part de la BCE, les secteurs industriels (matières premières, chimie, biens industriels, automobile...) qui profiteraient des plans de relance allemands et/ou chinois. Plus largement, les secteurs dont les valorisations reflètent actuellement un scénario de ralentissement devraient rebondir si le sentiment venait à s’améliorer. En ce sens, le style Value pourrait retrouver des couleurs après une légère sous-performance en 2024. Enfin, on peut également miser sur les éléments différenciants. La transition écologique est en marche en Europe et des acteurs de premier plan y sont implantés. La baisse des taux qui se profile devrait permettre de réaccélérer les investissements sur cette thématique. L’Europe a un coup d’avance dans ce domaine et, avec la hausse de la consommation d’énergie liée à l’intelligence artificielle, le besoin en énergie propre deviendra  un atout pour la zone.

Emmanuel Petit :  Parmi les vents contraires, la donne politique reste la principale source d’inquiétude. Les élections anticipées en Allemagne et un contexte gouvernemental fragile en France pèsent sur la croissance déjà atone des deux principaux moteurs de la zone euro. D’autant que les mesures promises par Donald Trump – baisse de la fiscalité, lutte contre l’immigration et hausse des tarifs douaniers – sont de nature à enfoncer l’Europe afin de dynamiser l’économie américaine. Ces dernières comportent, en outre, un risque inflationniste qui ne doit pas être négligé. La Fed pourrait alors être écartelée entre ses deux principales préoccupations : l’inflation et l’emploi. Le marché du travail commence d’ailleurs à envoyer des signaux contradictoires, alors que la volonté affirmée par Donald Trump de réduire l’immigration pourrait accentuer les tensions et renforcer l’inflation salariale. Un retour de l’inflation contraindrait la Fed à remonter ses taux, engendrant de l’instabilité au sein du marché du crédit. Certains éléments demeurent néanmoins porteurs. L’environnement économique reste favorable à la classe d’actifs. Bien qu’en absolu les rendements soient inférieurs à ceux des années passées, en relatif, ils s’avèrent plus attractifs que ceux des actifs monétaires. Les flux devraient, par conséquent, se maintenir. Par ailleurs, face aux fortes incertitudes de la période, la classe d’actifs fait preuve d’une résilience remarquable. De plus, la capacité des banques centrales à opérer les ajustements nécessaires et à se rapprocher de leur cible d’inflation a permis d’assurer une relative stabilité au sein des marchés. On peut espérer qu’elles poursuivent dans cette voie.

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