
L'Europe fait face à une transformation démographique majeure : sa population vieillit à une vitesse sans précédent. Si ce phénomène est connu depuis des années, son accélération due à des facteurs structurels tels que la transition énergétique, la démondialisation et l'évolution de la politique européenne aura des répercussions profondes sur les marchés du travail et, par conséquent, sur les stratégies d'investissement. Les implications de cette évolution ne peuvent être ignorées.
Une population active en déclin
Les chiffres d'Eurostat sont éloquents. La proportion de personnes âgées de 65 ans et plus dans l'Union européenne pourrait passer de 20% en 2019 à 30% d'ici 2050. En conséquence, le taux de dépendance des personnes âgées, c’est-à-dire le rapport entre la population en âge de travailler et les personnes âgées, pourrait atteindre 57%. Cette évolution réduira considérablement la main-d'œuvre disponible, ce qui impactera inévitablement le marché du travail.
En 2023, malgré un ralentissement économique, les taux de chômage en Europe étaient à leur plus bas niveau depuis des décennies. Ce paradoxe s’explique par une «thésaurisation de la main-d’œuvre», où les entreprises conservent des employés en anticipation d’un redressement économique, redoutant de ne plus pouvoir recruter en temps voulu. Cette tendance témoigne déjà des tensions à venir sur le marché du travail.
Une pression accrue sur le marché du travail
Le vieillissement démographique coïncide avec des transformations majeures qui exigent une main-d'œuvre accrue. La transition énergétique en est un parfait exemple. Bien que cette transition puisse être déflationniste à long terme, sa mise en œuvre nécessitera d’énormes ressources humaines. Par ailleurs, la redéfinition des chaînes d’approvisionnement en raison des tensions géopolitiques incite les décideurs européens à relocaliser certaines capacités industrielles, générant ainsi une demande accrue de travailleurs.
A l’échelle mondiale, la demande de main-d'œuvre bon marché augmente, mais l'offre diminue. L’Europe ne peut plus se reposer sur l’externalisation vers l’Asie comme elle l’a fait par le passé, car des pays comme la Chine font désormais face au même défi démographique. Si l’Afrique peut offrir des opportunités futures, les risques géopolitiques et climatiques y sont plus élevés. La quête de main-d'œuvre abordable devient ainsi de plus en plus complexe.
La réponse européenne: immigration, travail ou productivité?
Pour pallier cette pénurie de main-d'œuvre, l’Europe a trois options. Une première option serait de favoriser l’immigration, bien que cela semble politiquement difficile à court terme, surtout en raison des réticences croissantes de l’électorat européen. Une deuxième possibilité serait d’augmenter le nombre d’heures travaillées, mais des mesures telles que le relèvement de l’âge de la retraite se révèlent tout aussi impopulaires.
Une troisième option, qui serait d’accroître la productivité, apparaît comme la solution la plus pragmatique et la plus viable à long terme. Or, les politiques visant à améliorer la productivité sont déjà en place. Réduire la bureaucratie et soutenir les investissements dans la formation, l'automatisation et les technologies liées à l'intelligence artificielle sont autant de pistes envisagées par les autorités européennes. Les propositions de la Commission européenne visant à soutenir la requalification des travailleurs (Année européenne des compétences 2023) ou les investissements dans la numérisation (un pilier clé du programme fiscal NextGenerationEU) en sont des exemples concrets. Elles peuvent compléter les investissements attendus du secteur privé dans l'amélioration de l'efficacité et de la productivité, les technologies liées à l'IA pouvant jouer un rôle d'accélérateur dans de nombreux secteurs.
Les implications pour l’investissement
Le vieillissement de la population active vient avec son lot de défis mais recèle également d’opportunités pour les investisseurs. Les entreprises qui innovent dans l'amélioration de la productivité, en particulier dans les secteurs liés à la R&D, aux logiciels et à l’automatisation, bénéficieront de ce contexte, avec une augmentation probable des investissements dans ces domaines. A l’échelle géographique, des pays comme l’Espagne et le Royaume-Uni, grâce à leurs atouts linguistiques et à leur capacité à attirer des immigrés qualifiés, pourraient tirer leur épingle du jeu. L'Espagne, en particulier, a pu puiser dans un vaste réservoir d'immigrants latino-américains au cours des précédentes périodes de croissance économique. La nationalité espagnole n'étant accordée qu'après deux ans de résidence, l'Espagne attire également de nombreux travailleurs qualifiés et des personnes fortunées d'Amérique latine.