L’évolution des prix des matières varie beaucoup d’un actif à l’autre. Que faut-il attendre pour l’or, du pétrole et les cours de certaines matières premières comme le cuivre qui se sont envolés récemment? Le point avec Ole Hansen, expert du domaine des matières premières chez Saxo Bank.
Depuis le début de 2024, on observe une forte hausse des prix de nombreuses matières premières, qu’il s’agisse de l’or, de métaux comme le cuivre ou encore de denrées agricoles telles que le jus d’orange. Ces hausses de prix sont-elles justifiées par des facteurs fondamentaux ou résultent-elles plutôt de mouvements de marché de spéculatifs?
A la différence de l’évolution des prix d’autres classes d’actifs, comme les actions par exemple, qui peuvent être davantage influencées par les anticipations des acteurs du marché concernant leur futur potentiel, les cours des matières premières finissent, eux, toujours par retrouver assez rapidement un niveau qui correspond à l’équilibre entre l’offre et la demande. Si, à la suite d’une hausse des prix d’une matière première donnée, une offre excessive se met en place par rapport à la demande, les prix finissent par rechuter. Sur la durée, le marché ne ment jamais avec les matières premières!
«Beaucoup d’investisseurs achètent aujourd’hui de l’or pour se prémunir au cas où les choses tourneraient mal – comme ils paient une prime d’assurance pour se protéger contre certains risques.»
N’y a-t-il pas néanmoins des situations où les prix sont maintenus à des niveaux artificiellement élevés en raison de craintes de futures pénuries, sans que cela ne soit vraiment justifié par une offre insuffisante pour une matière première?
Cela peut arriver mais seulement pendant une période limitée. Si l’on prend l’exemple des prix du gaz en Europe durant l’automne 2022 et l’hiver 2023, il y a certes eu une hausse spectaculaire des prix en raison des craintes de pénuries d’approvisionnement suite au déclenchement de la guerre en Ukraine. Toutefois, quelques mois après, les prix du gaz sont retombés rapidement à leurs niveaux d’avant le début de la guerre. S’il n’y a pas d’augmentation de la demande et que l’offre est suffisante, les prix reviennent le plus souvent rapidement à leurs niveaux d’équilibre.
Est-ce aussi valable pour l’évolution du cours de l’or (+13% depuis janvier), qui est à la fois une matière première mais qui sert aussi de valeur refuge pour de nombreux investisseurs?
Certaines personnes pensent que la hausse des cours de l’or durant le premier trimestre 2024 a été due avant tout à la demande d’investisseurs financiers. Toutefois, il y a plutôt eu une diminution des volumes investis dans l’or via des ETF. Dès lors, si les investisseurs financiers avaient été à l’origine de la hausse des prix de l’or, ils auraient plutôt augmenté leurs positions dans l’or sous forme d’ETF. Cela n’a toutefois pas été le cas.
Qu’est-ce qui a alors soutenu la demande d’or?
Je mentionnerais trois facteurs. Premièrement, suite à la guerre en Ukraine, les sanctions imposées à la Russie s’appliquant aux montants détenus en dollars et dans d’autres devises étrangères ont incité certaines banques centrales à augmenter leurs avoirs en or. Les banques centrales ont figuré parmi les grands acheteurs d’or au cours des derniers trimestres.
Deuxièmement, le secteur de l’immobilier en Chine continue de connaître d’importantes difficultés. Beaucoup d’investisseurs individuels qui, auparavant, plaçaient une grande partie de leurs économies dans des biens immobiliers se sont reportés vers l’or. La classe moyenne chinoise figure parmi les acheteurs d’or importants. Troisièmement, il y a un climat d’inquiétude en rapport avec l’évolution de la dette dans de nombreux pays. Face à ces craintes, certains investisseurs se tournent vers l’or. Pour chaque point de dette supplémentaire en rapport avec le PIB, cela représente rapidement des milliards en plus à ajouter au service de la dette. La hausse des rendements des bons du Trésor aux Etats-Unis est un facteur qui est corrélé positivement avec l’évolution du cours de l’or. Beaucoup d’investisseurs achètent aujourd’hui de l’or pour se prémunir au cas où les choses tourneraient mal – tout comme ils paient une prime d’assurance pour se protéger contre certains risques.
«Ouvrir de nouvelles mines peut nécessiter plusieurs années, parfois plus de dix ans pour les métaux industriels.»
Quelle est votre analyse à propos des cours du pétrole qui semblent finalement peu réagir aux tensions sur le plan géopolitique, notamment au Moyen-Orient?
Le marché suppose que les principaux acteurs de ce marché n’ont pas intérêt à ce que les choses s’enveniment. L’Arabie saoudite n’a aucun intérêt à ce qu’il y ait une aggravation des tensions dans la région, pas plus que le Qatar qui a aussi une certaine influence sur l’Iran. Les marchés partent de l’hypothèse que l’Iran ne va pas chercher à bloquer le détroit d’Ormuz. Donc, dans l’ensemble, il y a d’importants facteurs qui vont à l’encontre d’un scénario de disruption de l’offre de pétrole actuellement. Quant à la Chine, elle est le plus grand acheteur de pétrole iranien, et cela à un prix discount. L’Empire du Milieu a donc aussi intérêt à limiter les tensions dans la région.
Autre sujet très souvent débattu ces dernières années: celui des métaux rares, nécessaires pour équiper les appareils électroniques, ainsi que la demande pour les métaux industriels plus largement. Comment observez-vous l’évolution des prix, parfois spectaculaire, de certains métaux récemment, à l’exemple du cuivre dont le cours a bondi d’environ un quart depuis janvier?
L’ampleur des variations des prix varie bien sûr d’un métal à l’autre. De manière générale, on observe que l’offre ne peut s’accroître que lentement mais que la demande, elle, augmente parfois très rapidement en raison des besoins de l’industrie. Toutefois, ouvrir de nouvelles mines - voire simplement remettre en service l’exploitation de certaines mines existantes - peut nécessiter plusieurs années, parfois plus de dix ans. La hausse des cours de certains minerais reflète aussi cette difficulté d’adapter rapidement l’offre en fonction de l’évolution de la demande. L’augmentation des cours du cuivre correspond aussi à une telle situation.
«Il y a d’importants facteurs qui vont à l’encontre d’un scénario de disruption de l’offre de pétrole actuellement.»
Par ailleurs, compte tenu des besoins liés à la transition énergétique ou en raison de l’explosion des équipements nécessaires pour faire fonctionner certains centres de données en rapport avec les développements de l’IA, on peut, de manière générale, s’attendre à une hausse de la demande pour de nombreux métaux industriels ces prochaines années.
A l’inverse, les cours du lithium ont, eux, plutôt reculé depuis 2023, après une phase de forte hausse jusqu’en 2022. Comment expliquer cette évolution en baisse, à contre-courant du reste du marché?
Pour les cours du lithium, c’est une situation qui a prévalu dernièrement: il a fallu d’abord beaucoup de temps et d’importants investissements pour démarrer l’exploitation de certaines mines. Des mines ont ainsi été ré-ouvertes, ce qui a permis d’augmenter l’offre de lithium. De son côté, la demande en lithium a, elle, aussi été soutenue mais elle n’a pas explosé autant que certains acteurs du marché l’anticipaient, notamment en raison des ventes plus faibles qu’attendu des véhicules électriques en Chine, ce qui a, au final, conduit à un recul des prix du lithium.