«Il faut une Union des marchés des capitaux qui soit pan-européenne»

Yves Hulmann

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Renaud de Planta, associé senior du groupe Pictet, a fait le point sur le secteur de la gestion d’actifs en Suisse à l’occasion de l’Asset Management Day 2024.

En octobre dernier, Renaud de Planta a annoncé qu’il quitterait le collège des associés de Pictet le 30 juin 2024 et qu’il entrera à l’Organe de contrôle du groupe et au Conseil d'administration de Banque Pictet & Cie SA le 1er janvier 2025. En parallèle, il est devenu membre du Conseil de banque de la Banque nationale suisse (BNS). A quelques semaines de la fin de ses activités en tant qu’associé senior du groupe Pictet, Renaud de Planta a eu l’occasion de revenir sur les développements actuels dans le domaine de la gestion d’actifs lors d’une présentation effectuée dans le cadre de l’Asset Management Day 2024 qui a eu lieu vendredi à Berne. Entretien avec Renaud de Planta, associé senior du groupe Pictet, à l’occasion de cette journée organisée par l’Asset Management Association Switzerland (AMAS).

Au sujet du développement des activités de gestion d’actifs tout au long de votre carrière chez Pictet, vous avez déclaré que la «patience stratégique» est un avantage compétitif essentiel dans ce domaine et qu’il faut sept ans pour mettre sur pied les équipes disposant des compétences adéquates et du «track record» en matière de performance. Pourquoi est-ce le cas?

Sept ans, c’est une règle générale, il s’agit d’une moyenne. Cela peut prendra parfois un peu plus de temps, parfois un peu moins.

Si vous vous projetiez maintenant dans les six ou sept prochaines années, dans quels domaines métriez-vous des efforts en matière d’investissement ou de développement de compétences dans le domaine de la gestion d’actifs?

Deux aspects sont à mentionner. D’une part, les tendances qui s’accentuent. Je pense à des thèmes clés tels que la santé, la technologie et l’environnement. C’est ce que l’on appelle des mégatrends ou mégatendances. Il s’agit de thèmes qui continueront de nous accompagner ces prochaines années. Les entreprises actives dans ces secteurs vont, à notre avis, continuer à surperformer le reste de l’économie.

«Il peut s’agir de différentes catégories d’actifs réels comme l’immobilier, les actions et certaines matières premières – en particulier l’or.»

Maintenant, je pense qu’il y aura aussi, d’autre part, de nouveaux thèmes qui vont émerger. Ces nouveaux thèmes vont probablement être liés à des politiques économiques des grands pays occidentaux. Ils vont être le reflet des défis d’aujourd’hui que sont, notamment, le surendettement des Etats et leurs déficits chroniques liés au besoin de financer les transitions énergétiques et environnementales, la nécessité d’augmenter les budgets liés à la défense nationale – des facteurs qui vont créer un stress sur les finances publiques. Ces développements pourraient être accompagnés d’augmentations de la fiscalité. En face, il y aura une politique monétaire qui voudra accompagner ces besoins de financement. Tout cela modifiera un peu les risques et rendements espérés de différentes classes d’actifs. Je pense que les actifs réels seront encore beaucoup plus demandés qu’actuellement.

Vous pensez à quels actifs réels en particulier?

Il peut s’agir de différentes catégories comme l’immobilier, les actions et certaines matières premières – en particulier l’or. S’y ajouteront peut-être certains segments obligataires protégés contre l’inflation, à l’exemple des TIPS (Treasury Inflation Protected Securities). Mais même dans ce cas-ci, je ne suis pas certain car il y aura tout de même des risques d’émetteurs.

Concernant l’avenir de la gestion d’actifs en Suisse, une question intéressante est toute la discussion qui porte sur le fait de savoir s’il vaut mieux être de très bons généralistes – à savoir des gérants qui offrent des solutions dans toutes les catégories – ou s’il vaut mieux, au contraire, miser sur une spécialisation accrue en se concentrant sur quelques domaines de niche? Qu’en pensez-vous?

De notre côté, nous sommes convaincus qu’il faut être spécialistes. Il y a également toujours de la place pour les généralistes. Nous aussi poursuivons certaines activités généralistes – par exemple, dans la gestion de type multi-assets qui comprend plusieurs classes d’actifs. Pour cela, il y aura toujours de la demande.

Néanmoins, je pense qu’il faut aujourd’hui être spécialistes «best-in-class», si vous voulez avoir une distribution globale et pouvoir vendre vos mandats et fonds à une clientèle internationale.

«L’Union des marchés des capitaux n’a de sens que si elle peut réunir tous les acteurs du marché financier de l’ensemble de l’Europe.»

Concernant l’accès aux marchés des capitaux dans l’Union européenne (UE), vous avez déclaré à propos de l’Union des marchés des capitaux que vous êtes en faveur de cette approche mais à condition qu’elle soit ouverte aussi au Royaume-Uni et à la Suisse.

Oui, évidemment, car sinon, il s’agirait d’une petite union. Si l’on excluait deux des principaux acteurs du secteur financier en Europe de cette union, il ne s’agirait plus alors que d’une petite union limitée à la zone euro (Eurozone). Le problème est que les marchés des capitaux de la zone euro ne sont pas si grands que cela à l’échelle mondiale. Il faut absolument une Union des marchés des capitaux qui soit pan-européenne et qui inclue à la fois la Suisse, le Royaume-Uni et la Norvège. Il y a énormément d’épargne dans ces pays – l’Union européenne ne devrait pas avoir peur que ces pays viennent leur prendre leur épargne, au contraire, nous allons amener de l’épargne. Politiquement, je suis conscient que les chances de succès d’y parvenir ne sont pas élevées - néanmoins, face au besoin d’autonomie stratégique, face à la menace géopolitique à laquelle est confrontée l’Europe, je pense que c’est ainsi qu’il faut réfléchir: au niveau pan-européen. L’Union des marchés des capitaux n’a de sens que si elle peut réunir tous les acteurs du marché financier de l’ensemble de l’Europe.

En termes de compétitivité globale de la Suisse, quel est l’aspect de «Swissness» qui compte encore pour les gérants d’actifs suisses, qu’il s’agisse de purs gérants d’actifs ou d’établissements bancaires plus globaux qui ont aussi des activités dans ce domaine?

Je pense qu’un des aspects que les gérants d’actifs suisses peuvent faire valoir sur le plan international est justement la spécialisation que nous avons déjà évoquée précédemment. Si l’on prend l’exemple de la sélection d’actions en lien avec l’environnement, nous sommes en Suisse probablement les meilleurs dans ce domaine, même sur le plan mondial. Pictet a été parmi les premiers à investir dans ce domaine, avec notamment nos fonds sur l’eau et la transition énergétique. Fort de cette expérience, nous pouvons aujourd’hui gagner des mandats dans le monde entier, y compris dans des pays comme les Etats-Unis ou en Asie, parce que les grands investisseurs se rendent compte de notre compétence dans ces domaines. Il est donc possible de s’imposer même face à une concurrence globale une fois que l’on a acquis le niveau de spécialisation et de sophistication nécessaire.

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