Hasard ou non du calendrier, trois des principaux groupes bancaires suisses spécialisés dans la gestion de fortune et cotés en bourse ont publié leurs résultats à fin juin trois jours de suite entre mercredi et vendredi. Si les résultats pour le premier semestre publiés par EFG International, Julius Baer et Vontobel ont tous été affectés par des facteurs spécifiques liés à la structure propre de leurs activités, deux aspects sont particulièrement intéressants à analyser dans une perspective de moyen et long terme.
Le premier est celui des afflux nets d’argent frais, ou «Net New Money» comme on l’appelle usuellement dans le jargon, et le recrutement de conseillers à la clientèle. Sur ce plan, EFG International, dirigé depuis 2018 par Giorgio Pradelli (lire l’interview) est parvenu à se démarquer au premier semestre, récoltant les premiers fruits d’une politique d’expansion active menée depuis la pandémie. Pour la seule année 2023, l’établissement zurichois avait recruté quelque 140 nouveaux conseillers à la clientèle ou Client Relationship Officers (CRO).
Les analystes, tout comme les marchés, sont restés très prudents quant aux chiffres publiés jeudi par Julius Baer.
Durant la première moitié de l’année 2024, ce sont 42 CRO qui ont été engagé par l’établissement, soit une bonne partie de la fourchette visée de 50 à 70 conseillers à la clientèle pour l’ensemble d’une année. A titre de comparaison, 21 nouveaux conseillers à la clientèle, appelés Relationship Managers (RM), ont été recrutés par Julius Baer en première moitié d’année 2024. Chez Vontobel, le nombre de RM a à l’inverse diminué à 355 conseillers à la clientèle à fin juin, comparé à 358 à fin 2023, après une phase de forte croissance en 2022.
Les afflux nets d’argent ont crû au-delà des objectifs chez EFG International
Dans tous les cas, les afflux nets d’argent ont le plus augmenté chez EFG International au premier semestre, aussi bien en montant absolu que sur la base du taux de croissance. Entre janvier et juin, les afflux nets d'argent ont atteint 5,2 milliards de francs, ce qui représente une croissance en glissement annuel de 7,3%, supérieure à l'objectif de 4-6% visé par la direction, et comparé à un taux de croissance de 4,2% à la même période de l’an dernier. Au premier semestre 2023, les afflux nets d’argent frais avait atteint 3 milliards, suivis d’une légère hausse au deuxième semestre (3,2 milliards).
En tout, les actifs sous gestion ont progressé à 159,3 milliards à fin juin chez EFG International, contre 142,2 milliards à fin décembre dernier. Malgré tout, l’action EFG International, qui a progressé de plus de 21% depuis le début de l’année, n’a profité de l’accueil positif de ces résultats par les marchés que lors de la journée de mercredi, reperdant ensuite une partie de ses gains jeudi et vendredi. La Banque cantonale de Zurich a maintenu à «neutre» sa recommandation sur le titre, soulignant le bon positionnement du titre pour profiter d’améliorations sur le plan opérationnel.
Julius Baer a continué de subir les contrecoups de l’affaire Signa en début d’année
Du côté de Julius Baer, qui gérait à fin juin des actifs totaux de 414 milliards de francs (+11% par rapport à fin décembre), les afflux nets d’argent frais se sont limités à 3,7 milliards au premier semestre 2024. A noter toutefois que les afflux nets d’argent frais se sont à nouveau accélérés vers la fin du semestre, après un mois de janvier marqué par d’importantes sorties de fonds dans la suite de l’affaire Signa qui obligé la banque zurichoise à procéder à un amortissement de 600 millions de francs en début d’année. Après les pertes subies en raison des prêts accordés au groupe immobilier basé en Autriche, Julius Baer avait également annoncé sortir des activités de dette privée.
Malgré les signes de reprise des entrées d’argent au cours du semestre, les analystes, tout comme les marchés, sont restés très prudents quant aux chiffres publiés jeudi par Julius Baer. Andreas Vendetti, analyste spécialisé dans le secteur bancaire chez Vontobel, a souligné la faible accélération de 1,7% des entrées de fonds, qui sont toujours «à un faible niveau», surtout comparé à son concurrent EFG International. Dans une note, la Banque cantonale de Zurich a maintenu sa recommandation à «surpondérer» assortie d’une perspective «négative» pour l’action Julius Baer, évoquant des chiffres inférieurs aux attentes.
Nombre d’analystes ont néanmoins accueilli favorablement l’annonce de l’arrivée de Stefan Bolliger, issu de Goldman Sachs, qui reprendra la direction de Julius Baer en début d’année 2025. Après avoir chuté de près de 10% en séance jeudi, l’action de Julius Baer s’est stabilisée vendredi pour clôturer à 47,93 francs (+1,4%).
Vontobel: un début de stabilisation dans les activités institutionnelles
En ce qui concerne Vontobel, les chiffres à fin juin publiés vendredi ont fait souffler le chaud et le froid. Côté positif, les avoirs sous gestion ont progressé 225,9 milliards de francs à fin juin, après 206,8 milliards à fin décembre 2023. L’afflux net d'argent frais a totalisé 2,3 milliards, contre un reflux de 0,9 milliard à la même période un an plus tôt. Il a essentiellement été porté par les activités de gestion de fortune: en effet, alors que l’unité Private Clients a vu affluer 2,4 milliards de francs d’argent frais au premier semestre 2024, comparé 2,1 milliards un an plus tôt à la même période et par rapport à seulement 1,1 milliard durant le deuxième semestre 2023, la situation s’est tout au plus stabilisée en ce qui concerne les affaires avec la clientèle institutionnelle.
Dans l’unité Institutional Clients, les sorties de fonds ont certes pu être stoppées à -0,1 milliard de franc, contrastant avec des sorties beaucoup plus importantes durant le premier semestre 2023 (-3 milliards) et le second semestre (-4,6 milliards), il n’est pas encore possible de parler d’un retournement complet de situation. Principal point positif souligné par les analystes: les programmes de réduction des coûts ont commencé à produire leurs effets, le groupe Vontobel ayant ramené son ratio coûts/revenus à 76,1% au premier semestre, comparé à 77,8% à la même période un an plus tôt et par rapport à 80,8% au second semestre, se rapprochant ainsi de l’objectif de 72% visé par le groupe.
Vendredi, la Banque cantonale de Zurich a néanmoins qualifié de «décevant» les afflux nets d’argent frais, gardant une perspective négative sur le titre de Vontobel. A la bourse suisse, l’action de Vontobel a clôturé la séance de vendredi en recul de 2,2% à 56,70 francs. Depuis le début de l’année, le titre de Vontobel affiche encore un gain de 6,5%, tandis que l’action de Julius Baer limite désormais son gain à 1,3% depuis janvier.