Il est possible de réaliser une croissance durable et profitable

Yves Hulmann

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Giorgio Pradelli, CEO d’EFG International, entend poursuivre le recrutement de conseillers à la clientèle même si les engagements seront moins nombreux qu’en 2023.

La semaine dernière, EFG International a été le premier établissement spécialisé dans la gestion de fortune coté en bourse en Suisse qui a publié ses résultats au premier semestre. Le point avec Giorgio Pradelli, CEO d’EFG International, sur les ambitions de l’établissement basé à Zurich dont les actifs sous gestion ont atteint 159,3 milliards de francs à fin juin et qui emploie 3118 collaborateurs, dont 707 conseillers à la clientèle.

Lors de la présentation des résultats au premier semestre, vous avez souligné mercredi qu’il fallait compter avec de «nombreuses incertitudes» et demeurer «vigilant», tout en soulignant la volonté d’EFG International de continuer à investir, notamment dans le recrutement de conseillers à la clientèle. Qu’est-ce qui sera prioritaire durant le second semestre: améliorer le contrôle des coûts ou investir davantage?

Les deux choses sont possibles. Notre stratégie est orientée sur la croissance. Nous avons toujours affirmé que nous voulions réaliser une croissance durable et profitable. L’objectif est donc de trouver des façons de pouvoir continuer à croître de façon durable tout en ayant un bon contrôle des coûts. D’une part, nous misons sur une croissance organique en recrutant de nouvelles équipes de conseillers à la clientèle, ou Client Relationship Officers (CRO) comme on les appelle dans notre établissement. Au premier semestre, nous sommes parvenus à recruter 42 CRO, ce qui est largement en ligne avec notre ambition de recruter entre 50 et 70 CRO par année en moyenne. L’an dernier avait été une situation un peu spéciale car nous avons pu engager plus de 140 CRO en 2023. Dans l’immédiat, cela a augmenté nos coûts mais sans apporter jusqu’à présent la profitabilité qui en résultera. Cette profitabilité va apparaître au cours des prochains trimestres.

«L’an dernier la part des conseillers à la clientèle que nous avons recruté issus de Credit Suisse ne représentait qu’environ 30% du total. Ce n’était donc de loin pas la majorité.»

Maintenant, s’agissant des coûts, nous avons été toujours disciplinés en la matière. EFG International est du reste parvenu à améliorer son ratio coûts/revenus à 72,6% au premier semestre 2024, comparé à 74,4% durant le deuxième semestre 2023. Dans tous les domaines, nous essayons d’améliorer l’efficience de nos processus, ce qui nous permet de dégager des moyens pour continuer à investir. Nous visons à augmenter nos revenus de manière plus que proportionnelle à la hausse de nos coûts. C'est la «règle d’or» que nous cherchons à appliquer à tout moment. Cela étant dit, nous essayons aussi de ne pas être trop dogmatique et de demeurer agile, surtout quand des opportunités intéressantes se présentent.

A ce sujet, ne deviendra-t-il pas toujours plus difficile pour EFG International de trouver le personnel qualifié pour de telles fonctions, maintenant que les grands mouvements de transfert de personnel en lien avec la reprise de Credit Suisse par UBS ont déjà eu lieu?

A ce sujet, il est important de rappeler que l’an dernier la part des CRO que nous avons recruté issus de Credit Suisse ne représentait qu’environ 30% du total. Ce n’était donc de loin pas la majorité. Et je tiens à souligner qu'en plus des CRO, nous avons également recruté des talents dans les domaines de Compliance, Investment Solutions et d'autres fonctions de soutien et de contrôle. Par ailleurs, 2023 a été marquée par une grande mobilité du personnel dans la branche. Cela s’explique aussi par un mouvement de rattrapage. En 2020 et 2021, la pandémie de Covid, en 2022, le recul des bourses, la guerre en Ukraine et l’inflation a limité les changements de personnel entre établissements - le marché était quasiment gelé à cette période. Comparativement, 2023 a été une exception dans la branche.

En 2024, je dirais que nous sommes revenus à la normalité. Cela ne veut pas dire que nous n’allons pas saisir les opportunités de recrutement quand elles se présentent mais les engagements seront moins nombreux qu’en 2023. A ce sujet, je tiens aussi à souligner que les activités de recrutement de personnel ou de nouvelles équipes sont placées au cœur de notre stratégie – ce n’est pas simplement une tâche administrative déléguée au département des ressources humaines. Parfois, nous passons des mois à entrer en contact avec certaines personnes ou certaines équipes pour les convaincre de travailler chez nous. C’est un processus de long terme.

«Les activités de recrutement de personnel sont placées au cœur de notre stratégie – ce n’est pas simplement une tâche administrative déléguée au département des ressources humaines.»

Si l’on revient sur l’aspect des coûts, EFG International se fixe-t-elle un objectif spécifique en la matière?

Oui, nous voulons atteindre un ratio coûts/revenus («cost/income ratio») de 69% pour l’exercice complet en 2025. Un ratio de 70% serait déjà bien dans notre branche d’activité mais nous ambitionnons de descendre un peu en dessous de ce niveau.

Ne serait-il pas possible de descendre à des niveaux encore plus bas, comme le font certaines banques cantonales ou régionales par exemple?

Dans notre activité de banques privée, un ratio coûts/revenus de l’ordre de 65 à 70% est déjà une bonne fourchette. D’ailleurs, une étude d'un célèbre cabinet de conseil consacrée au secteur de la gestion de fortune publiée en juin a montré que la médiane pour le secteur de la banque privée en Suisse se situait à 74%, le meilleur ratio étant de 64%, le plus mauvais étant à 84%. Je ne pense pas que l’on puisse comparer les ratio coûts/revenus dans la banque de détail, où il est possible d’obtenir davantage d’efficience grâce aux économies d’échelle et à l’automatisation de certaines tâches.

La consolidation au sein de la branche est un thème récurrent. En ce qui concerne EFG International, quels seraient les critères que vous définissez en vue de la réalisation de possibles acquisitions?

Ces critères n’ont pas changé. Premièrement, il faut que l’établissement concerné soit situé sur un marché où nous sommes déjà présents. Cela permet d’obtenir des synergies, d’exploiter de potentielles économies d’échelle. Deuxièmement, il faut qu’il y ait une compatibilité culturelle – EFG International est un établissement avec une approche entrepreneuriale, il faut que la société reprise ait aussi une culture d’entreprise similaire. Troisièmement, il faut que le retour sur investissement (RoI) atteigne 10% après trois ans.

«Nous ne voulons pas lancer de grands programmes de rachat, car cela réduirait le flottant.»

Vous n’envisagez donc pas d’acheter des sociétés actives sur d’autres marchés, où EFG International n’est pas encore présent, comme un moyen de vous implanter sur d’autres sites?

Non, ce n’est pas l’approche que nous privilégions. Nous l’avons certes fait en Australie, par exemple, mais il s’agit d’une exception.

Dans ses perspectives, EFG International a indiqué mercredi anticiper un recours au levier à nouveau plus important de la part de ses clients, ou «re-leveraging» comme vous l’appelez. Pourquoi cela devrait-il être le cas?

Il faut replacer cette anticipation dans le contexte de l’évolution récente du recours au levier par nos clients qui s’est situé, avec 11%, à son plus bas niveau depuis 15 ans. Deux facteurs devraient inciter les clients à recourir davantage au levier. D’une part, sur une proportion des trois quarts des actifs de nos clients investis en dollars (46%), en euros (20%) et en livre sterling (10%), seule la BCE a commencé à abaisser ses taux d’intérêt. On attend donc des premières baisses de taux aussi bien du côté de la Fed que de la Banque d’Angleterre. C’est important, car cela contribuera à abaisser le coût du crédit et à retrouver une pentification normale de la courbe des taux. Après une courbe inversée, la courbe des taux devrait recommencer à être pentifiée de façon normale. Dans un tel contexte, les clients devraient à nouveaux être davantage intéressés à recourir à des prêts lombards où à emprunter via des hypothèques. Ce sera toutefois un processus graduel – non pas un changement de tendance qui interviendra du jour au lendemain.

EFG a annoncé un programme de rachat d’actions allant jusqu’à 6 millions de titres d’ici à fin juillet, qui pourrait être suivi par le rachat de 3 millions d’actions en plus. Pourquoi racheter des actions plutôt que d’affecter ces ressources à d’autres buts?

L’objectif consiste ici à éviter un effet de dilution. Une partie des programmes de bonus accordée au personnel est versée sous forme de cash mais aussi via l’octroi d’actions bloquées pendant une certaine période («restricted shares»). En rachetant nos propres actions, nous évitons ainsi un tel effet de dilution. Nous ne voulons pas lancer de grands programmes de rachat, car cela réduirait le flottant. 

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