Le portefeuille équilibré n’était que brièvement en pause

Thomas Zgraggen, EFG Asset Management

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Après la fin d’une longue phase de taux bas, les emprunts et donc le portefeuille équilibré ont fait leur retour parmi nombre d’investisseurs.

Rien d’étonnant à cela: en plus d’un siècle, l’idée du portefeuille 60/40 n’a véritablement échoué qu’une seule fois. Pourquoi la théorie du portefeuille ne fonctionne pas toujours, et pourquoi elle reste néanmoins intéressante. 

Dans le passé, une corrélation négative entre actions et obligations était un principe central de la construction d’un portefeuille. Pour les investisseurs, un portefeuille équilibré fait office de boussole pour naviguer sur les eaux turbulentes des marchés financiers. Il se compose d'un mélange de diverses catégories d'actifs, généralement axé sur les actions et les obligations, afin de diversifier le risque et de générer des rendements attrayants. Ces dernières années, notamment après la fin d’une période de taux bas, les obligations et donc le portefeuille équilibré – souvent représenté par une combinaison de 60% d’actions et 40% d’obligations, d’où le nom de portefeuille 60/40 – ont retrouvé la faveur de nombre d’investisseurs. 

La réussite à long terme d’un portefeuille mixte se caractérise par des rendements attrayants associés à des risques plus faibles que ceux d’un portefeuille exclusivement composé d’actions. C’est ce que reflètent des données de 1987 à fin avril 2024, présentées dans le tableau ci-dessous. À titre de référence, le Swiss Performance Index (SPI) a été comparé à un portefeuille 60/40 équivalent en CHF. Les résultats sont très intéressants – malgré la longue période de taux bas de ces dernières années, qui s’est récemment terminée avec beaucoup de répercussions négatives. La hausse des taux d’intérêt a redonné de l’attrait à l’approche 60/40. Et la perspective d’un éventuel apaisement des inquiétudes persistantes concernant les taux pourrait même apporter une stimulation supplémentaire. Cela vaut également pour un portefeuille libellé dans une autre monnaie, par exemple un portefeuille américain. Il est en outre à noter que le SPI présente un risque de concentration relativement élevé en comparaison internationale, et que les opportunités sont encore plus grandes avec un indice mondial tel que le MSCI ACWI.

Graphique 1: Rendement du portefeuille 60/40 CH face au SPI


Source: calcul EFGAM, indice SPI, indice SBI, indice Pictet Bond; Bloomberg, BNS; rééquilibrage mensuel, à fin avril 2024.

Outre des taux bas, les pertes maximales potentielles représentent un autre risque central de toute stratégie de placement. Depuis 1987, la crise financière de 2008 avait généré la pire perte pour les deux stratégies du graphique 1 (portefeuille 60/40 et SPI). À l’époque, les craintes systémiques et les ruptures de croissance se sont davantage manifestées au niveau des actions, plus sensibles. Même si la perte absolue était considérable pour les deux stratégies, on constate un net avantage à l’adjonction d’obligations, comme dans le cas du portefeuille 60/40. En cas de fortes craintes de récession, on anticipe des taux d’intérêt plus bas, ce qui peut entraîner de belles plus-values sur les emprunts et renforcer ainsi le rendement du portefeuille. Les gains en capital sont toutefois limités à ce qui est autorisé par le niveau des taux, et ne peuvent donc avoir un effet dominant. Les approches dites paritaires ont ainsi fleuri en 2008: l’effet des obligations a été accru via une pondération égale du risque. Mais le résultat est resté modeste car les pertes des rendements obligataires négatifs étaient parfois devenues trop dominantes.

Dans certaines situations exceptionnelles, il faut bien comprendre qu’une défaillance du portefeuille ne tient pas uniquement à sa composition mais surtout à des facteurs externes qui secouent les marchés dans leur ensemble et peuvent entraîner des pertes considérables – en général pour les actions. Les investisseurs doivent avoir conscience de la volatilité des marchés financiers et du caractère souvent imprévisible des risques systémiques. 

À l’origine de la corrélation positive non souhaitée

Lorsque l’attention et les turbulences des marchés étaient principalement orientées vers les récessions et les craintes pour la croissance, les actions et les placements à faible valeur intrinsèque se retrouvaient en difficulté tandis que les obligations apportaient une contribution positive. 

En 2022 s’est alors produit ce qui semblait jusqu’alors impossible: l’accélération de l’inflation a entraîné un douloureux ajustement tant pour les obligations que pour les actions, et les deux formes de placements ont lourdement chuté. Les craintes de dépréciation se sont exprimées à la fois dans des taux plus élevés pour les obligations et dans des valorisations plus faibles pour les actions. On peut schématiser en disant que dans le passé, une corrélation constamment négative entre les actions et les obligations ne s’observait que lorsque les banques centrales gardaient le contrôle de l’inflation. L’année 2022 a ainsi été la plus difficile pour le portefeuille mixte – non pas du fait de la perte maximale, qui était plus importante lors des fortes récessions telles que la Grande Dépression des années 1930 ou la crise financière de 2008, mais de l’absence de l’avantage de diversification pour le portefeuille. Le graphique suivant présente une comparaison des pertes de portefeuille et illustre l’absence de l’avantage d’un mandat mixte en 2022. 

Graphique 2: Pertes maximales du portefeuille 60/40 CH et du SPI depuis 1987


Source: calcul EFGAM, indice SPI, indice SBI, indice Pictet Bond; Bloomberg, BNS; rééquilibrage mensuel, à fin avril 2024. 

La théorie du portefeuille n’est jamais exempte de jugement

Le portefeuille équilibré est-il donc dépassé? Pour répondre, il faut remonter le temps. La stratégie consistant à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier est l’idée fondamentale de la théorie de portefeuille moderne établie par le lauréat du Prix Nobel Harry Markowitz dans les années 1950. Celle-ci vise à mettre en place des portefeuilles efficients en termes de risque et de rendement. Et c’est sur elle que repose le portefeuille équilibré.

Le grand malentendu de cette théorie, c’est qu’elle doit exclure le recours au jugement et à l’expérience. Mais ce n’est pas le cas, comme l’indiquait déjà le travail révolutionnaire de Markowitz en 1952: «Le processus de sélection d’un portefeuille peut se diviser en deux étapes. La première phase débute avec des observations et des expériences, et se termine avec des convictions quant à la performance future des titres disponibles. La seconde phase commence avec les hypothèses pertinentes sur la performance future et se conclut par la sélection d’un portefeuille.» 

La question déterminante pour le succès d’un placement

La question qu’un investisseur doit se poser en priorité est celle du rapport optimal entre actions et obligations au sein d’un portefeuille, qui détermine en grande partie le succès du placement. Les opportunités et les risques d’un investissement se reflètent dans les incertitudes en matière de croissance et de dévalorisation (inflation), ainsi que dans leur indemnisation, et sont bien répliquées par les actions et les obligations. Les emprunts d’État offrent traditionnellement une diversification fiable en période de crise, mais leur corrélation peut être positive en raison d’un choc d’inflation ou de taux d’intérêt, ce qui annule l’effet de diversification par rapport aux actions, comme on l’a vu en 2022.

Une réponse à cette problématique peut résider dans les portefeuilles multi-actifs, qui comportent d’autres catégories de placement que les seules actions et obligations, et permettent un ajustement dynamique. De même, les analyses de scénarios pour la gestion de la volatilité et les couvertures au-delà de la diversification traditionnelle peuvent aider à atténuer de tels risques. 

Le débat sur le portefeuille équilibré et son rôle dans la stratégie de placement est complexe. Pour constituer et gérer leur portefeuille, les investisseurs doivent toujours garder à l’esprit leurs objectifs à long terme et leur disposition au risque. Une mise en œuvre professionnelle peut aider à trouver le juste équilibre entre risque et rendement, et à s’assurer que le portefeuille répond aux besoins de l’investisseur ainsi qu’aux défis d’un environnement de marché en constante évolution.

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