Verdict de la Fed le 11 mars, pas le 20!

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.


Une Banque du Japon enfin hawkish?

A l’heure où vous lirez ces lignes, la banque centrale japonaise aura probablement annoncé ses décisions de politique monétaire. Notre commentaire ci-dessous sera un brin obsolète mais il gardera le mérite d’avoir placé ce meeting dans son contexte en fixant les enjeux de cette réunion. Des enjeux, il y en a deux: l’abandon de taux négatifs et l’assouplissement, voire la fin programmée du YCC (Yield Curve Control). L’abandon d’une politique monétaire à taux d’intérêts négatifs n’est pas garanti mais il serait le bienvenu.

Un tournant hawkish est sans nul doute un abus de langage car passer éventuellement de taux légèrement au-dessous de zéro à des taux à peine au-dessus ne mérite sûrement pas d’être considéré comme un tournant restrictif. Avec une croissance attendue fin 2024 à 1,2%, combinée à une inflation atteignant 2,2%, une politique monétaire ultra accommodante n’est plus vraiment nécessaire. Un éventuel abandon des taux négatifs reste toutefois symbolique car c’est sur le terrain du YCC que nous attendons la BoJ de pied ferme.

A terme, le 10 ans nippon devrait donc théoriquement repasser au-dessus de 1% mais les flux d’investissement pourraient retarder cette correction. En effet, les institutionnels japonais avaient l’habitude de se porter acquéreurs de dettes du Trésor américain couvertes en yen afin de trouver une rémunération supérieure au taux négatif offert par le 10 ans JGB. Aujourd’hui, compte tenu du différentiel de taux qui rend la couverture de change excessivement chère, c’est le 10y Note américain qui, malgré un rendement atteignant 4,3% en dollars, ne rapporte plus rien une fois converti en yen.

Dans notre esprit, la décision la plus importante que la Fed devait prendre a connu son épilogue le 11 mars dernier.

Les investisseurs japonais sont donc vivement incités à poursuivre leurs opérations de vente d’obligations étrangères pour se repositionner sur de la dette domestique à 10 ans à +0,7%. Ainsi, le mouvement haussier inexorable des taux longs japonais devrait être ralenti légèrement et provisoirement par ces flux acheteurs. Pourquoi donc s’intéresser de près à un marché dans lequel nous ne sommes pas investis? Parce qu’une vague supplémentaire de flux vendeurs non négligeables de dettes du Trésor US nous concerne au plus haut point, tout simplement.      

FOMC demain, un coup pour rien?

Nous n’attendons (presque) rien de ce FOMC car dans notre esprit, la décision la plus importante que la Fed devait prendre a connu son épilogue le 11 mars dernier. C’est pour cela que nous estimons que cette date du 11 mars est bien plus importante à nos yeux que celle de la prochaine réunion de demain. Que s’est-il donc passé ce fameux 11 mars? La mort d’un potentiel black swan qui nous perturbait dans notre analyse de l’évolution des taux américains ainsi que du comportement de la Fed. Depuis de nombreuses semaines, nous manifestions notre inquiétude concernant la santé de certaines banques américaines (ainsi que deux allemandes et une japonaise accessoirement) en lien avec la crise actuelle qui touche le marché des CRE, les fameuses dettes dans l’immobilier commercial américain. Il y avait un risque non négligeable que le premier anniversaire de la crise dite SVB soit fêté par le retour potentiellement violent d’une crise similaire déclenchée par les CRE. La Fed nous a dit implicitement le 11 mars «il n’en est rien, circulez il n’y a rien à voir!» en fermant définitivement (pour l’instant?) son programme BTFP.

Le BTFP, pour Banking Term Funding Program, avait été créé mi-mars 2023 pour une durée d’un an afin de venir en aide à des établissements en mal de liquidités. Nous avions donc conclu que si notre black swan «crise CRE» était vraiment une menace, la Fed l’aurait vu et aurait prolongé ce programme BTFP au-delà de sa date d’échéance prévue de longue date (et annoncée officiellement le 24 janvier) pour le 11 mars 2024. Nous sommes le 19 mars et force est de constater que ce BTFP n’a pas été reconduit. La Fed n’a pas jugé utile de commenter cette décision; elle dira sûrement, si on le lui demande demain soir lors de la session des questions-réponses, que tout a déjà été communiqué le 24 janvier. Conclusion: selon la Fed, il n’y a pas de crise CRE, ni aujourd’hui ni dans un avenir proche.

Nous voilà donc soulagés avec un petit bémol toutefois. Si la Fed savait tout et savait tout anticiper, cela se saurait. Elle a fait un job formidable en mars 2023 en transformant dans l’urgence un risque systémique en risque idiosyncratique et en nous évitant une crise supplémentaire. Mais, une fois de plus, elle a agi en réaction à un événement qu’elle n’avait pas prévu et non en prévention. Alors qui sait si cette crise CRE ne va pas nous revenir en pleine face tel un boomerang dans les mois qui viennent. Ne nous le souhaitons pas.

Bon FOMC à tous demain, en espérant que Jerome Powell invitera le 12 juin pour entrevoir un premier assouplissement. Compte tenu des dernières évolutions de l’économie US en termes de croissance et surtout d’inflation, il serait surprenant que la Fed laisse entrevoir quoi que ce soit. Les trois baisses de 2024 seront un grand maximum difficile à atteindre; cela paraît maintenant inévitable. Attention, petit rappel, les Etats-Unis sont déjà passés à l’heure d’été le week-end du 9-10 mars. Soyez donc prêts devant vos écrans à 19 heures et non 20 heures. 

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