Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.
Fed et marchés enfin sur la même longueur d’onde
Après avoir vécu deux mois de marchés obligataires exagérément bullish en novembre-décembre, le risque était grand de devoir affronter des marchés de taux exagérément bearish en janvier-février. Le réajustement a eu lieu: les anticipations de baisses de taux exprimées par les marchés rejoignent celles de la banque centrale américaine.
Si la semaine dernière quelques partisans des faucons de la Fed envisageaient une hausse de taux, nous pouvons affirmer qu’après la publication des minutes de l’institution de Washington, cette solution n’est pas du tout envisagée. Toutefois, il n’était pas farfelu de l’estimer possible après huit semaines de publications de statistiques macros en 2024, toutes plutôt défavorables aux colombes. Hier matin, le 10 ans américain s’établissait à 4,22% à l’ouverture soit un plus bas depuis le 15 février et 13bp plus bas que les 4,35% touchés vendredi.
Les investissements en «plaisirs éphémères» sont à leur apogée et vont sans doute décroître rapidement dès que Powell et Lagarde siffleront la fin de la récréation.
L’événement de la semaine sera sans conteste la publication des PCE Deflator et Core PCE jeudi. Le PCE de janvier sera sans doute plus élevé que prévu, aux alentours de +0,4% soit une progression identique à celle du Core PCE. Ainsi, les progressions YoY pourraient au mieux diminuer très légèrement, le consensus Bloomberg s’affichant à +2,4% contre +2,6% le mois précédent pour le PCE et à +2,8% contre +2,9% en décembre pour le Core. Nous nous attendons plutôt à une stagnation, ce qui arrangerait la Fed, pas pressée pour baisser ses taux. Elle pourrait alors avoir beau jeu de dire aux marchés: «nous vous avions prévenus» lorsque ces derniers trouvaient que trois baisses de taux en 2024, c’était un peu timide.
Des crédits chers mais toujours attrayants
Les marchés de crédits sont devenus chers. Les spreads ne sont pas assez élevés pour refléter le risque. C’est d’autant plus vrai si l’on descend l’échelle de la qualité pour s’aventurer dans les univers de notation low Investment Grade BBB ou Crossover BB. Il y a trois bonnes raisons pour justifier un tel resserrement des spreads. Tout d’abord, ces derniers sont influencés par le comportement des marchés actions. Ensuite, le marché primaire n’est pas pléthorique. Enfin, en termes de portage (le fameux carry), ces spreads peu élevés sont toujours mieux que rien.
L’engouement pour les crédits, Investment Grade notamment, est apparu avec le retour du «buy and hold», soit en lignes directes, soit en fonds datés. Mais il y a fort à parier que cet engouement n’est pas terminé car compte tenu des sommes gigantesques placées à très court terme (cash, bons du trésor, SICAV monétaires…), le grand public réagira à la première baisse de taux d’une grande banque centrale. Les investisseurs privilégieront alors des taux un peu moins élevés qu’aujourd’hui mais pour des durées beaucoup plus longues. Les investissements en «plaisirs éphémères» sont à leur apogée et vont sans doute décroître rapidement dès que Jerome Powell et Christine Lagarde siffleront la fin de la récréation.
Luca de Meo est en train de redresser Renault de manière spectaculaire malgré des défis encore gigantesques à relever.
En attendant, nous n’avons pas beaucoup d’opportunités d’investissement sur le marché primaire. Sur le marché du dollar, nous n’avons rien acheté en primaire et dans nos portefeuilles en euros, nous avons participé à une seule nouvelle émission récemment, la Siemens 3,125% 2032 à mid-swaps +55 au reoffer. Un peu chère certes mais compte tenu du contexte, l’upgrade par S&P de A+ à AA- le 13 février, le spread était encore assez généreux. En revanche, les BBB à spreads à deux chiffres nous laissent songeurs. Autant en «buy and hold» de tels investissements se justifient encore, autant en gestion active, il semble judicieux de se mettre en mode «wait and see». La dernière émission BBB à laquelle nous avons souscrit au début du mois était une Alimentation-Couche Tard 3,647% 2031 à mid-swaps + 100 reoffer.
Dans l’univers des BBB-Xovers, il faut sans doute saisir les opportunités ailleurs que sur le marché primaire. Du côté des rising stars par exemple, ces émetteurs notés BB+ et qui vont rapidement grimper (ou remonter pour certains) dans la catégorie Investment Grade à l’occasion d’un upgrade en BBB-. Le GIMS (salon de l’auto de Genève) a ouvert ses portes hier après une longue absence et la star du salon est la Renault 5 100% électrique. Luca de Meo, à la tête du programme Renaulution, est en train de redresser le groupe de manière spectaculaire malgré des défis encore gigantesques à relever. Alors si nous devions miser sur une rising star de 2024, nous pencherions pour celle que nous surnommions affectueusement «la Régie» au siècle dernier.