Le rêve américain est plus résilient qu’on ne le dit

Emmanuel Garessus

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La dette et les politiques économiques américaines font peur, mais la réalité économique des Américains s’améliore de génération en génération.

 

Le rêve américain semble parfois virer au cauchemar. La dette publique s’envole, le financement des émissions du Trésor se complique et le déficit public s’avère le plus élevé des pays de l’OCDE, ainsi que le souligne une récente étude de l’organisation parisienne. La politique économique américaine inquiète d’autant plus qu’elle remet en question les bénéfices du libre échange à travers une forte hausse des droits de douane et une politique migratoire restrictive.

Sur le plan institutionnel, le pouvoir et les dépenses publiques ont tendance à se centraliser à Washington. Ce processus déplaît notamment aux milieux libéraux. Mieux vaudrait, comme en Suisse, procéder à une décentralisation. Il en résulterait, selon l’institut Cato «un gouvernement plus efficace et plus responsable, une réduction des conflits politiques. Nous devrions réduire les dépenses fédérales du pourcentage actuel de 54% à peut-être 27 % comme au Canada ou à 16% comme en Suisse.» Mais si la politique américaine et l’évolution institutionnelle interrogent, le rêve américain est-il résilient? Les revenus des Américains s’améliorent-ils de génération en génération?

Contrairement à une idée très répandue, les revenus des Américains se sont nettement améliorés au cours des dernières décennies même si l’intervention du gouvernement affaiblit leur croissance, selon l’ouvrage de Norbert Michel: Crushing Capitalism: How Populist Policies Are Threatening the American Dream (National Book Network, 2025).

«Contrairement à une idée très répandue, les revenus des Américains se sont nettement améliorés au cours des dernières décennies»

Un problème méthodologique

La thèse dominante reste celle d’une très modeste hausse des salaires réels américains à long terme (+1% entre 1975 et 2015). Elle s’appuie par exemple sur les données utilisées par l’économiste Oren Cass dans son livre The Once and Future Worker: A vision for the renewal of work in America (2018).  Le problème est méthodologique, avance David Henderson, dans un article pour le blog de l’Institut Hoover. Cass utilise l’indice des prix à la consommation (CPI), lequel surestime structurellement l’inflation (une étude de Michael Bosking évalue cette différence à 0,8 à 0,9 point de pour-cent par an). Mieux vaudrait employer l’indice PCE, lequel est d’ailleurs le préféré de la Réserve fédérale. Entre 1975 et 2015, avec le PCE, les salaires réels ont augmenté de 22% et non pas de 1%. De plus, Cass ne tient pas compte les avantages sociaux, lesquels sont devenus une part significative des revenus des salariés, note Henderson. Ils sont passés de 13% à 30% du revenu total durant ce laps de temps.

Ce problème méthodologique est universel. En Suisse, une étude d’Avenir Suisse (Patrick Schnell 3.11. 2023) révélait que selon la source des données la croissance des salaires réels suisses variat de 13 à 38% au cours des 22 dernières années.

Le thèse de la stagnation américaine porte aussi sur le sort prétendument médiocre de la classe moyenne, indique David Henderson. Les revenus de cette dernière aurait stagné durant des décennies, selon une étude de la Brookings Institution publiée en 2018 et écrite par Isabel Sawhill et Eleanor Krause. Cette thèse est contredite par Norbert Michel qui met en exergue le revenu réel médian des ménages américains, lequel s’est accru de 27% entre 1967 et 2015 (de 44 895 dollars à 57 230 dollars). Norbert Michel critique par ailleurs le fait que Sawhill et Krause n’ont pas tenu compte de la diminution de la taille des ménages. Après cet ajustement, la hausse du revenu atteint 64%. De plus, Sawhill et Krause ont également utilisé le CPI et non le PCE pour mesurer l’inflation. Avec le PCE, le revenu réel du ménage s’est accru de 140% Difficile de parler d’une stagnation des revenus à long terme.

Il est vrai que l’étendue de la classe moyenne (revenus de 35'000 à 100'000 dollars) a diminué de 53% en 1967 à 42% en 2018. Mais les ménages qui sont sortis de la classe moyenne sont passés à la classe supérieure. Les plus de 100'000 dollars par an sont passés de 9% en 1967 à 30,4% en 2018.

Pendant ce temps, le taux de pauvreté est passé de 30% en 1960 à 2,8% en 2017, en partie en raison de la nette hausse des prestations sociales.

Désindustrialisation?

Les craintes d’une stagnation salariale sont en partie liées à la question de la désindustrialisation, note David Henderson. Le débat, encouragé par Donald Trump, utilise l’hypothèse selon laquelle les salaires sont supérieurs dans les secteurs manufacturiers à ceux des services. Les faits ne confirment pas cette hypothèse, selon Norbert Michel.

En 2000, les salaires des secteurs manufacturiers étaient de 5% supérieurs à ceux des services. Mais l’ordre s’est inversé. En 2017, les salaires des secteurs manufacturiers sont de 2,5% inférieurs à ceux des services. La comparaison est souvent biaisée, selon Norbert Michel, par l’âge des salariés. En effet, seul 1% des employés des secteurs manufacturiers ont moins de 20 ans alors que le pourcentage des jeunes est nettement plus élevé dans les services (15% dans les loisirs et l’hôtellerie, 7% dans la distribution). Non seulement une politique d’encouragement de l’emploi manufacturier n’améliorerait pas les salaires, selon Norbert Michel, mais il n’est pas possible d’augmenter l’emploi manufacturier tant l’automatisation et la productivité progressent. Pour produire une tonne d’acier, il fallait 12 salariés en 1980 et il n’en faut plus que 0,6 en 2017.

Le sort des salariés américains a en partie été pénalisé par l’émergence de la Chine. David Henderson ne nie pas l’existence de ce nouveau concurrent pour la production industrielle américaine. Mais il renvoie à une observation intéressante de Norbert Michel. En 1990, l’Asie-Pacifique représentait 47% des importations industrielles américaines. C’est, au sein de l’Asie, la montée de la Chine qui est étonnante (de 7,6% en 1990 à 55,4% en 2017). Il s’agit donc d’une substitution au sein des importations asiatiques.

Si l’exceptionnalisme américain s’effrite, comme l’anticipent la plupart des analystes, les moteurs de l’économie américaine et de sa compétitivité ne s’inversent pas rapidement. A la marge, l’Europe devrait rebondir, mais la dynamique des dernières décennies a créé un écart considérable au profit des Etats-Unis.

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