Et si le PIB se limitait au secteur privé

Emmanuel Garessus

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Elon Musk et le Secrétaire américain au commerce proposent de sortir les dépenses de l’Etat du calcul du PIB. L’ajustement fait débat à l’heure d’un record de la dette publique.


Un nouveau débat sur le PIB est lancé par Elon Musk. Dans un Tweet, le fondateur de Tesla a proposé de sortir les dépenses de l’Etat du PIB. «Sinon, on risque d’augmenter artificiellement le PIB en dépensant de l'argent pour des choses qui n'améliorent pas la vie des gens. Par exemple, on pourrait déplacer tous ceux qui construisent des voitures au Département de l’automobile (DIV). Il n'y aurait pas plus de voitures et le niveau de vie ne serait pas plus élevé, mais le PIB semblerait identique!» Elon Musk n’est pas le seul à se profiler sur ce sujet. Howard Lutnick, le Secrétaire américain au commerce, grand défenseur des droits de douane, a également proposé lors d’une interview au New York Times de sortir les dépenses publiques du calcul du PIB.

Il est vrai que l’écart entre l’évolution du PIB et celle du niveau de vie de la population est parfois considérable. Durant la Deuxième guerre, le PIB américain s’est nettement accru alors que la population subissait une nette baisse de bien-être. En l’occurrence, l’augmentation des dépenses militaires augmentait le PIB mais pas la valeur des biens et services finaux.

Sortir les dépenses militaires?

Une mesure intermédiaire pourrait sortir les dépenses militaires du PIB. «N’existe-t-il pas une forme de double comptabilité? se demande d’ailleurs l’économiste Tyler Cowen, sur son blog marginal revolution. L’économiste explique que les dépenses de défense existent avant tout afin de rendre possible la production d’autres biens et services. Vincent Geloso, ajoute que les dépenses en armes et munitions ne se traduisent pas directement en amélioration du niveau de vie et que ce sont des biens qui ne sont pas consommés par les ménages. En les intégrant au PIB, on donne une image tronquée du niveau de vie. Non seulement l’économie n’aurait pas cru mais il en est résulté une baisse du niveau de vie pour tous, y compris pour les plus riches, note Vincent Geloso, dans un article pour l’American Institute for Economic Research (AIER) du 13 mai dernier.

«Comme le résume l’Institut Cato, il faut garder la politique en dehors des statistiques.»

Les économistes calculent le PIB en faisant la somme de la consommation, des investissements, des dépenses publiques et des exportations nettes. En théorie, le PIB tente d’estimer la valeur des biens et services finaux. Or les dépenses de l’Etat n’ont pas de valeur de marché et sont intégrés à leur coût de production. Ce sont des biens et services intermédiaires, écrivait d’ailleurs le prix Nobel Simon Kuznets. Cette estimation conduit donc à des distorsions, avance Vincent Geloso. Ce dernier est l’auteur, avec Chandler Reilly, d’un calcul du PIB qui exclut les dépenses de défense entre 1790 et 2020 (George Mason University, WP 24-29, nov. 2024). L’étude a été publiée par la Review of Austrian Economics. Elle révèle qu’en lieu et place d’une forte croissance économique exprimée par l’augmentation du PIB, la première moitié du 20e siècle a été marquée par un longue stagnation si elle est évaluée à l’aune du PIB ajusté des dépenses militaires.

Garder la politique hors des statistiques

Vincent Geloso soutient que l’ajustement du PIB en lui soustrayant les dépenses publiques a été soutenu par le prix Nobel James Buchanan et par l’économiste libéral Murray Rothbard. Il reconnaît que cette façon de procéder est un peu extrême. Une version intermédiaire de l’ajustement, en ôtant uniquement les dépenses miliaires, a été proposée il y a plus de 30 ans par Robert Higgs (Wartime prosperity? Journal of Economic History,  Cambridge University Press,1992).

Mais l’opposition à cet ajustement du PIB est vive, d’autant que le PIB, malgré ses lacunes, demeure la meilleure et la plus fréquente estimation de l’évolution de la valeur créée dans un pays pendant une année.

Même les milieux libéraux, pourtant critiques envers les dépenses de l’Etat, s’opposent généralement à cet ajustement. Se référant à l’argument d’Elon Musk, Jai Kedia, avance, sur le blog de l’Institut Cato, que «l’on peut se demander si les dépenses consacrées au Département de l’automobile sont aussi utiles aux citoyens que la production de véhicules, mais il n’en reste pas moins que les dépenses de ce département font clairement partie du PIB». 

Ce n’est pas en changeant le calcul du PIB que l’on améliore la situation des ménages. D’ailleurs les statistiques du PIB ajusté sont d’ores et déjà disponibles aux Etats-Unis auprès du Bureau of Economic Analysis. Pour Jai Kedia, «certains biens, tels que les routes et la défense nationale, sont qualifiés de «biens publics» - et ces biens sont produits par une autorité centrale qui prélève des impôts pour les financer. Ces biens existent bel et bien, et les impôts levés pour les financer sont également inclus dans les comptes nationaux.» Le fait que certaines dépenses soient considérées comme exagérées ne les empêchent pas de participer à l’activité économique et au PIB. 

Les réflexions sur l’utilité de certaines dépenses publiques appartiennent aux tâches d’un gouvernement. Mais en dépit de l’énormité des déficits publics présentés par les Etats-Unis, qui se sont traduits par une baisse du rating du pays, il faut savoir que la part des dépenses publiques américaines par rapport au PIB est en repli depuis 75 ans. Elle est passée de 40% en 1952 à 17% récemment, note l’Institut Cato. Le désir de changer les calculs du PIB à des fins politiques n’améliore pas le bien-être de la population. Comme le résume l’Institut Cato, il faut garder la politique en dehors des statistiques. 

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