Chine: de l’atelier du monde au banquier du sud global

Emmanuel Garessus

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L’intermédiation financière est en profonde transformation. L’expansion du rôle de banquier de la Chine modifie la gestion des risques dans le monde.

 

Longtemps, la Chine fut l’atelier du monde. Elle est devenu un centre d’innovation industrielle et technologique, même en matière d’intelligence artificielle. Et en vertu de ses financements internationaux, elle pourrait devenir le banquier des pays émergents puis, à terme et si des conditions cruciales sont remplies, le banquier du monde. Si nous nous projetons dans 200 ans pour une analyse de la finance au 21e siècle, nous pourrions observer que la Chine est alors devenue le point d’ancrage de la finance mondiale, à l’image de la Grande-Bretagne au 19e siècle et des Etats-Unis au 20e, avance Keyu Jin, professeur à la London School of Economics et auteure de «The New China Playbook: Beyond socialism and capitalism» (Penguin Books).  Mais à quelle étape de ce développement se situe la Chine actuelle?

Une bataille pour les parts de marché

Les Etats-Unis représentaient 40% des investissements directs effectués entre 1975 et 1980, ce qui en faisait le banquier du monde, poursuit Keyu Jin. L’ouverture progressive de la Chine lui a permis de grignoter des parts de marché. La Chine est 40% plus intégrée au commerce mondial que les Etats-Unis. En revanche, son intégration financière ne représente qu’un tiers de celle des Etats-Unis.

Les exportations de biens et services chinois produisent d’importants effets. L’excédent de la balance courante chinoise, 424 milliards de dollars en 2024 (263 milliards en 2023) nourrit les réserves chinoises. Cette force commerciale permet ensuite à la Chine de multiplier les prêts aux pays émergents. Les faits appuient ce discours. Les prêts internationaux de la Chine dépassent ceux du FMI, de la Banque Mondiale et des membres du Club de Paris, révèle Zhengyang Jiang, professeur associé en finance pour Northwestern University, dans une récente étude publiée par le Centre for Economic Policy Research (CEPR).  A son avis, cette expansion de la Chine dans les prêts internationaux transformera l’architecture de la finance internationale.

«Après un rôle d’accumulation passive de bons du Trésor, la Chine développe une stratégie d’investissement active et plus risquée».

Leur ascension a débuté en 2010, quant les crédits étaient encore inférieurs à 100 milliards de dollars. La barre des 1000 milliards a ensuite été franchie en 2021, avant de retomber à 800 milliards de dollars. En valeur absolue, les plus grands emprunteurs de capitaux chinois sont la Russie, Angola, le Brésil et le Pakistan. La dette chinoise des petits pays émergents représente une part considérable de leur PIB. Elle dépasse 30% pour le Congo, le Kyrgyzstan et Djibouti. Il n’en demeure pas moins que géographiquement les prêts sont diversifiés et vont de l’Amérique latine à l’Afrique et à l’Asie.

Une stratégie d’investissement active

La dépendance chinoise de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le Sud global crée un risque monétaire pour les pays émergents. Historiquement, au plus fort de la dépendance envers le dollar, les pays émergents souffraient lors d’un cycle de resserrement de la politique monétaire. Zhengyang Jiang signale qu’un virage majeur s’est produit dans la transmission du cycle financier dans le sillage de l’ascension de la Chine dans le crédit international. Entre 2010 et 2024, les pays les plus dépendants de crédits chinois se sont retrouvés moins exposés au cycle financier global. En somme, leur monnaie se déprécie moins et leur bourse baisse moins en cas de choc sur le dollar.

Ce phénomène modifie la structure du système financier international, avance Zhengyang Jiang.  Jusqu’ici les Etats-Unis étaient les banquiers du monde. Leurs investissements internationaux étaient financés par leurs émissions de bons du Trésor, considérés comme sans risque. Les Etats-Unis gagnaient un intérêt sur leur service d’intermédiation, moteur de la cyclicité du dollar et des équilibres extérieurs américains. 
La Chine était devenue l’épargnant qui accumulait d’énormes réserves et qui les investissait en bons du Trésor si bien qu’en janvier 2025, elle détenait 761 milliards de dollars de bons du Trésor. Ce paradigme a changé avec la montée en puissance de la Chine comme prêteur international. Après un rôle d’accumulation passive de bons du Trésor, la Chine développe une stratégie d’investissement active et plus risquée.

Avec la récente décision des Etats-Unis se retirer derrière leur forteresse, le changement de rôle de la Chine et de sa monnaie pourrait s’accélérer. Le renminbi est de moins en moins volatile par rapport aux autres monnaies asiatiques. L’idée d’un grand bloc financier, organisé autour de la Chine, se met en place. Dans un monde qui fonctionne en réseau, le dollar reste un élément clé, mais il n’est plus le seul, surtout dans le sud global. Avec un gouvernement qui peine à réduire les obstacles aux échanges de capitaux, la Chine reste à mille lieues de se hisser au rang de capitale de la finance. On sait toutefois que la vision de Pékin a toujours été déployée sur le très long terme.

De nombreuses étapes sont encore à franchir. Les investisseurs étrangers, poursuit Keyu Jin, ne représentent que 3 à 5% des actions de la classe A et des obligations chinoises et moins de 2% des actifs bancaires alors qu’ils détiennent 26% des actions américaines, 30% des obligations et 13% des actifs bancaires. Au total, les titres chinois n’occupent que 1% de l’allocation de portefeuille. Pourtant la Chine pèse 16% du PIB mondial. Le portefeuille extérieur de la Chine se transforme au fur et à mesure de la désintermédiation partielle des Etats-Unis, selon Zhengyang Jiang. Le fonctionnement du système monétaire international est en train de changer.

Les événements géopolitiques accélèrent la trajectoire de croissance de la finance chinoise. Les sanctions américaines contre divers gouvernements étrangers (Panama, Russie, Iran) ont produit des effets secondaires.«L’argent n’est pas neutre eu égard à la géopolitique», pour reprendre Keyu Jin.  

Le rôle de la monnaie chinoise, le renminbi, reste toutefois modeste, avec moins 3% des réserves internationales, 4% des paiements globaux et 1% des obligations. Mais l’emploi du renminbi a augmenté de 5000 fois depuis 2009.  Dans un monde qui redéfinit les alliances, la stabilité du modèle chinois et le leadership économique et technologique de l’Empire du Milieu forment une base apparemment solide à la montée de la Chine dans le système financier international. 

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