Stanley Fischer, le père du néo-keynésianisme et du Consensus de Washington

Emmanuel Garessus

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Le banquier central et très influent économiste qui a enseigné à Mario Draghi et Ben Bernanke, est décédé à l’âge de 81 ans. Il laisse une empreinte considérable sur sa discipline.

 

Le décès de Stanley Fischer (81 ans), survenu le 31 mais a été fort peu évoqué dans les médias suisses. Cet économiste a pourtant été l’un des plus influents des dernières décennies tant par ses fonctions au sein de deux banques centrales et du FMI que par ses apports théoriques et pratiques dans l’évolution de la macro-économie, comme le relève le Wall Street Journal. Stanley Fischer n’est ni plus ni moins que le père du néo-keynésianisme, mais aussi un pragmatique qui a dû gérer différentes crises. Pour The Economist, il était «une lumière inépuisable même dans les pires tempêtes».

Né dans l’actuelle Zambie de parents juifs émigrés lituaniens qui gèrent le magasin local, il entre tôt dans un mouvement juif nationaliste, où il rencontrera sa femme. Il voyagera avec ce groupe pour la première fois en Israël en 1960, un pays dont il deviendra Gouverneur de la banque centrale (2005-13), indique Daniel Hinge, sur le média des banques centrales (centralbanking.com). Il débute ensuite ses études d’économie à la London School of Economics, où il obtient un Bachelor puis un Master avant de passer son doctorat au MIT (sur les choix de portefeuille). Selon Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, Stanley Fischer y côtoie des étudiants exceptionnels- puisque plusieurs deviendront prix Nobel d’économie- comme Joseph Stiglitz ou Robert Merton. Dans les années 1980, après l’université de Chicago, il revient au MIT en tant que professeur et il enseigne à des étudiants tels que Mario Draghi (ex-président de la BCE), Olivier Blanchard (FMI), Ben Bernanke (ex-président de la Fed) et Kazuo Ueda (actuel gouverneur de la Banque du Japon).

«A force de combattre non seulement l’inflation mais aussi tout ralentissement conjoncturel, le néo-keynésianisme a voulu éliminer les cycles».

L’ambassadeur des banques centrales

Sur le plan des idées, il écrit une analyse, en 1977, qui en fait l’un des pères du néo-keynésianisme, avance Daniel Hinge. Durant cette décennie marquée par l’envol de l’inflation, Keynes semblait avoir perdu la bataille des idées au profit de l’école de Chicago, avec Milton Friedman. 
Pourtant c’est la théorie de Stanley Fischer et Rudiger Dornbush qui s’imposera dans les universités au cours des décennies suivantes et jusqu’à nos jours. La théorie néo-keynésienne de Stanley Fischer reste le fondement de l’action des banques centrales, confirme Greg Ip dans le WSJ.

Il sait gérer les crises. Numéro deux du FMI entre 1994 et 2001, il affronte la crise asiatique et impose les programmes d’austérité connues sous le nom de «consensus de Washington». Ces mesures imposent l’équilibre budgétaire, une hausse des taux d’intérêt, une libéralisation des taux de change et des privatisations. Si ces mesures ont été fortement critiquées par les milieux socialistes pour leurs conséquences sociales, elles ont permis à plusieurs pays émergents de renforcer leurs fondamentaux et de présenter aujourd’hui des conditions-cadres plus stables que maints pays industrialisés. Au début 2024, l’agence de notations S&P publiait un article de Paul Grunewald indiquant que le Consensus de Washington était mort, qu’il était incapable de répondre au besoin de coopération rendue nécessaire par la transition climatique, l’endettement et la fragmentation de l’économie mondiale.

A son retour dans l’enseignement, en 2016, Stanley Fischer ironise. Il note que si les questions des examens sont les mêmes que 50 ans plus tôt, les réponses, elles, sont différentes. En réalité, s’il est néo-keynésien, il est surtout pragmatique. Il adapte ses principes aux circonstances. Mais il reste «l’ambassadeur des banques centrales», comme le qualifie la revue «Central Banking».

A la vice-présidence de la Fed, de 2014 à 2017, Stanley Fischer se présente comme plus orthodoxe et plus restrictif que ses confrères dans ses recommandations de politique monétaire. Il semble avoir été proche de Janet Yellen, dont il était vice-président à la la Fed. 

Son réseau était considérable et ses proches appréciaient son ouverture. Interrogé sur Stanley Fischer par Central Banking, Larry Summers déclare: «Sa carrière a montré qu'en fin de compte, ce sont les personnes, ainsi que les principes, qui comptent».

Des politiques aux prises avec les événements

Dans un environnement marqué par les déficits budgétaires et les dettes publiques massives de grands pays, tels que les Etats-Unis ou la France, et une hausse de l’or que beaucoup analysent comme une réaction aux errances des politiques monétaires, le néo-keynésianisme traverse des temps difficiles. 

A force de combattre non seulement l’inflation mais aussi tout ralentissement conjoncturel, le néo-keynésianisme a voulu éliminer les cycles. Il a probablement exagéré ses capacités. Mais plutôt qu’à un retour à Milton Friedman et au libéralisme, il reste le guide quasi incontesté de l’action des dirigeants. Mais les politiques non orthodoxes des banques centrales ont produit des effets secondaires indésirables. Bien sûr il y a pire que le néo-keynésianisme, notamment la théorie monétaire moderne. Mais est-ce rassurant?

Face à la déglobalisation, après le Consensus de Washington, une nouvelle forme de coopération internationale peine à émerger. L’alternative proposée actuellement par les économistes Dani Rodrik et Joseph Stiglitz consiste à augmenter encore les dépenses publiques face à la transition énergétique et à un besoin de plus grande productivité du travail. Cette alternative omet que le financement de l’Etat constitue une part essentielle du problème. Le néo-keynésianisme est à bout de souffle. Ce n’est pas en ajoutant une dose supplémentaire d’étatisme et de régulation que la santé de l’économie sera assurée. Un changement de cap, synonyme d’orthodoxie budgétaire et monétaire, paraît plus nécessaire que jamais.

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