Le chêne et le roseau

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Taux longs US sous pression

La Fontaine, dans la célèbre fable intitulée le chêne et le roseau, nous enseigne que le frêle roseau plie mais ne rompt pas. Nous pourrions oser l’extrapolation et affirmer que sur les marchés, c’est la partie longue de la courbe des taux US qui joue le rôle du roseau. Et plutôt bien, en tout cas pour l’instant. Les taux longs Treasuries ont de nombreuses bonnes raisons de corriger et la première d’entre elles se situe au niveau des flux. De nombreux intervenants se sont massivement positionnés «short» sur le marché des Futures et par conséquent il n’est pas illogique de voir les taux à 10 et 30 ans remonter. Bien entendu (nous reviendrons dessus ultérieurement), les craintes de retour de l’inflation en 2021 y sont pour beaucoup et l’insolente bonne tenue de Wall Street semble asséner le coup fatal: il ne serait pas de bon ton de rester long Treasuries par les temps qui courent! Mais, comme le roseau de La Fontaine, à chaque attaque qui devrait enclencher le sell-off que tout le monde attend, la partie longue de la courbe plie mais ne rompt pas et le 30 ans ne semble pas prêt à casser le niveau-clé de 1,75%. Hier matin, il repassait même sous la barre des 1.60%. Signe que les craintes inflationnistes persistent, le breakeven à 30 ans atteignait 1,88% vendredi soir. Nous nous retrouvons donc dans un scénario peu conventionnel avec des anticipations d’inflation qui montent et des taux nominaux qui baissent. Pour que l’analogie avec la fable soit parfaite, il faut bien trouver un marché qui se comporte comme le chêne et le rôle semble taillé sur mesure pour le marché des actions américaines. Le bull market semble solide et inaltérable quelle que soit la vigueur des vents contraires. Il a même «acheté» la victoire de Biden en se persuadant que son éventuelle victoire serait finalement plus «market friendly» que ce qui était craint initialement. C’est une espèce de méthode Coué qui persiste à ne voir que les bons côtés du programme Démocrate en faisant fi de la partie invisible de l’iceberg. Biden n’est pas un «affreux socialiste» comme le prétendent les Républicains mais son programme est tout de même nettement plus à gauche que les politiques menées par Clinton ou Obama. De quoi déraciner le chêne?

L’inflation, depuis le milieu de l’été, sème la division
parmi les experts et les gérants obligataires.
Inflation, encore et toujours

Les anticipations d’inflation sont en hausse depuis plusieurs semaines et c’est d’ailleurs la seule raison pour laquelle nous conservons nos positions en TIPS 30 ans. En revanche, en acheter outright nous semble désormais un pari risqué. L’inflation, depuis le milieu de l’été, sème la division parmi les experts et les gérants obligataires. La théorie principale des pro-inflation est la suivante: à force de combattre le Covid avec du stimulus, du stimulus et encore du stimulus, la demande va croître et comme l’offre stagne (voire régresse dans certains secteurs), ce déséquilibre va déclencher une spirale inflationniste dans le courant de l’année prochaine. D’un point de vue théorique, l’argument est imparable. Dans la pratique, cela suppose la réalisation de trois hypothèses: premièrement le Covid est jugulé d’un point de vue sanitaire, deuxièmement l’économie réelle repart pour de bon et troisièmement, le consommateur américain utilise le stimulus pour dépenser au lieu d’épargner. C’est la troisième hypothèse qui est la plus importante (la consommation des ménages représente plus de deux tiers du PIB US) mais sans la réalisation des deux premières elle n’a aucune chance de se réaliser. Nous sommes toujours dans le camp des inflation-sceptiques car pour nous, l’inflation salariale est le pilier majeur d’un retour de l’inflation et la période Covid ou post-Covid sera marquée par la persistance du chômage et des petits salaires. Mais nous ne sommes pas à l’abri de commettre une erreur qui a joué des tours à bon nombre d’entre nous dans le passé. Cette erreur consiste à vouloir analyser le comportement du consommateur américain avec des yeux et une culture issus du vieux-continent. Nous avons réalisé un petit sondage (sans aucune valeur évidemment) auprès d’amis et de collègues en posant la simple question «si demain le Conseil Fédéral vous alloue une prime Covid de 1'000 francs, qu’en faites-vous?» La réponse était quasi unanime: «je les épargne tant que la crise n’est pas passée». Il s’agit là d’une réaction classique d’Européen et – a fortiori – de Suisse! La théorie des pro-inflationnistes repose sur le postulat que, comme par le passé, le consommateur US ne va pas se comporter comme son homologue européen et va utiliser le stimulus pour dépenser. Le retour (ou non) de l’inflation se retrouve donc dans les mains (ou plutôt dans le portefeuille) des ménages américains.

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