Chronique des taux de la banque Eric Sturdza

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

2 minutes de lecture

Le Bund à contre-courant du scénario prévu.

 

Que signifie l’aplatissement de la courbe US? 

Il y a un an, nous étions peu nombreux à évoquer l’aplatissement de la courbe des Treasuries en 2017 voire une inversion dans le courant de l’année 2018. Aujourd’hui, les partisans d’une explosion des taux longs US sont devenus minoritaires même si le plus célèbre d’entre eux, Bill Gross, persiste et signe, en maintenant des durations négatives dans ses portefeuilles jusqu’à -4. Dans le camp d’en face, c’est JP Morgan qui mentionne désormais une possible inversion de la courbe.

«Le message principal délivré
par les marchés obligataires vise la Fed.»

Aujourd’hui, la plupart des investisseurs admettent qu’une hausse de la partie courte de la courbe, conséquence logique des resserrements monétaires successifs de la Fed, n’implique pas forcément un comportement similaire de la partie longue.

Si le consensus se rapproche petit à petit du scénario d’aplatissement, a-t-il bien perçu la signification profonde de ce mouvement de courbe? Certes, les craintes de ralentissement dans un contexte d’inflation maîtrisée militent pour un tel comportement de la courbe. Mais selon nous, le message principal délivré par les marchés obligataires vise la Fed et dit en substance que nous sommes déjà arrivés à un moment du cycle économique où trois hausses de taux cette année, puis trois autres en 2019 et deux dernières en 2020 ne seront pas supportables.

Nul doute que Monsieur Powell et ses collègues ont reçu l’avertissement. Mais en tiendront-ils compte?

Le Bund à 0,5% contre toute attente

Comme nous le mentionnions la semaine dernière, le taux allemand à 10 ans refuse obstinément de monter et se stabilise au-dessus de 0,50%. Quasiment personne, à notre connaissance, n’avait imaginé le Bund à ce niveau-là. Nous-mêmes estimions qu’une fois passée la zone 0,75%-0,80%, le 10 ans allemand grimperait gentiment vers 1%, voire plus haut en cas de choc (BCE plus «hawkish» qu’anticipé par exemple). Alors, que s’est-il passé et pourquoi nous sommes-nous tous fourvoyés?

Nous avons déjà mentionné mardi dernier la raison principale qui, selon nous, a guidé récemment le comportement du Bund à contre-courant. La poursuite de l’aplatissement de la courbe des Treasuries, première étape avant une éventuelle inversion, est incompatible avec une hausse du taux du Bund. Nous nous sommes tous laissés griser par la macro: pour une fois que la croissance économique de la zone euro était supérieure à celle des Etats-Unis! Le fait était assez rare pour être souligné (d’autant plus que le parcours de l’EUR-USD ne plaidait pas en faveur des exportations européennes) et cet argument militait pour une déconnexion des deux marchés.

«Tout militait pour une tension des taux long européens
et une pentification de la courbe allemande.»

Si nous ajoutions à cela une BCE un peu moins accommodante dans son discours et une probable diminution drastique du «quantitative easing» à l’automne, tout militait pour une tension des taux long européens et une pentification de la courbe allemande. Cerise sur le gâteau, une stabilisation du 10 ans américain combinée avec une tension sur le Bund nous auraient permis de «corriger» l’anomalie du spread 10 ans US-Allemagne, anormalement élevé aux alentours de 230 points de base, qui perturbait bon nombre d’entre nous.

En conclusion, ce constat nous permet de revenir sur un de nos thèmes favoris du moment: l’analyse macroéconomique peut désormais nous conduire à commettre des erreurs de jugement sur les marchés car ces derniers sont en train de se déconnecter de la macro (et des banques centrales).

Les obligations russes dans l’œil du cyclone

La semaine dernière a été marquée par un sell-off généralisé du marché russe – actions, obligations, rouble – suite à la décision des Etats-Unis de dévoiler une nouvelle série de sanctions. Une des compagnies les plus affectées par ces sanctions est le producteur d’aluminium Rusal puisque tout investisseur américain a un mois pour vendre tout investissement (action, obligation) dans cette société. Encore faudrait-il pouvoir traiter ces titres car en Europe, Euroclear et Cedel refusent désormais de «clearer» les obligations Rusal. Les porteurs d’obligations se retrouvent donc «collés». Un léger vent de panique a même soufflé sur Gazprom car sur la liste, en compagnie de Rusal, figurait la société Gazprom Burenie, ce qui a ajouté à la confusion ambiante.

Nous estimions jusqu’à présent qu’en faisant un bon travail d’analyse crédit, combiné avec un modèle de gestion du risque solide, de bonnes affaires étaient possibles à partir du moment où l’on peut se permettre un minimum de volatilité. Aujourd’hui, un risque supplémentaire, difficilement quantifiable vient troubler nos convictions. Détenir des corporates russes en dollars devient un exercice périlleux car toute nouvelle vague de sanctions incluant de nouveaux émetteurs pourrait inciter de grandes chambres de compensation comme Euroclear ou Cedel à bloquer toute transaction sur ces sociétés.

A lire aussi...