Après Jackson Hole le déluge?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Fenêtre de tir

Jackson Hole, centre du monde pendant deux jours fin août chaque année ! Si tout le monde attend avec fébrilité ce qui sera dit à l’occasion du symposium, il faut sans doute essayer d’entrevoir, à plus long terme, ce qui risque de nous arriver sur les marchés une fois le meeting terminé. Trois sujets principaux attirent notre attention et quelle que soit la teneur des propos de Jay Powell dans le Wyoming, ces sujets resteront d’actualité.

Tout d’abord, le variant Delta n’est pas prêt de quitter le devant de la scène malgré la progression des vaccinations. La quatrième vague pourrait doucher nos espoirs de retour à la normale à l’automne et les conséquences sur l’activité économique mondiale sont, par définition, encore méconnues. Nous l’avons déjà mentionné à maintes reprises, ne comptons pas sur le patron de la Fed pour tenir des propos qui pourraient jeter de l’huile sur le feu. Une banque centrale, a fortiori la Fed, n’a pas pour mission d’engendrer un quelconque mouvement de panique sur les marchés. En revanche, si les potentiels ravages du variant Delta sont minimisés par les banquiers centraux, il ne fait aucun doute qu’ils ont bien conscience d’avoir cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes pour encore de nombreuses semaines.

Il faudrait encore trois ou quatre Non Farm Payrolls identiques pour que la Fed soit moins hésitante à durcir légèrement sa politique monétaire.

Ensuite, même si les chiffres de l’emploi des deux derniers mois sont extrêmement encourageants, il faudrait encore trois ou quatre Non Farm Payrolls identiques (plus de 900'000 créations d’emplois mensuelles) pour que la Fed soit moins hésitante à durcir légèrement sa politique monétaire. Jay Powell a souvent noté que les inégalités croissantes inquiètent la Fed et que ces créations d’emplois vigoureuses ne concernent pas assez les afro-américains et les latino-américains, laissés pour compte de la crise du COVID. 

Enfin, nous mentionnons depuis juillet un sujet qui nous tient à cœur. Faute de signes concrets, il s’agit encore plus d’une intuition que d’une conviction mais en lisant entre les lignes, nous avons la désagréable impression que la croissance américaine s’essouffle et qu’elle pourrait nous réserver de mauvaises surprises en fin d’année. Depuis un mois, nous nous rendons compte que nous ne sommes pas seuls à évoquer un tel scénario. Il faudrait toutefois que des données tangibles accréditent cette thèse.

Finalement, Jay Powell n’a pas trop le choix. Il doit évoquer le tapering mais en retardant l’échéance, il prend le risque de se faire rattraper par un, deux ou trois sujets: le COVID et d’éventuels reconfinements, le marché de l’emploi qui peinerait à poursuivre sur sa lancée et la croissance qui ralentirait. Il y a donc une fenêtre de tir étroite entre Jackson Hole et le prochain FOMC du 22 septembre. Il est préférable que la Fed mette en place le tapering, quitte à faire machine arrière dans quelques mois en cas de problème. Si elle donne du temps au temps, elle risque d’être prise au piège.

L’inflation n’est plus un sujet majeur de préoccupation et ce n’est pas elle qui va provoquer une tension sur les taux longs US.
Impact sur les taux longs

Quelle que soit l’issue du scénario, nous ne voyons pas les taux longs remonter brutalement. Le tapering est déjà dans les prix à raison de 15 milliards par mois pendant 8 mois. Premier point: l’inflation n’est plus un sujet majeur de préoccupation et ce n’est pas elle qui va provoquer une tension sur les taux longs US. Si le scénario central de la Fed se matérialise, avec un COVID «not controlled but contained», le 10 ans pourrait naviguer entre 1,25% et 1,50%. Si jamais l’un de nos trois sujets de préoccupation venait à se matérialiser, les taux longs baisseraient. Comble de l’ironie, ils baisseraient sans doute encore plus si la Fed ne tenait pas compte de ces signaux d’alarme en démarrant un tapering à contre temps. 

A 1,30%, il semble toujours urgent de ne rien faire sur le 10 ans US. Nous sommes en zone neutre et les taux longs peuvent basculer d’une trentaine de points d base d’un côté ou de l’autre. Avec une duration proche de 4,5, notre portefeuille en US dollars ne prend donc pas de positionnements extrêmes. Par conviction mais également par souci de respecter sa philosophie d’investissement axée sur une volatilité maîtrisée. Toutefois, si nous devions nous prêter au jeu purement théorique consistant à nous classer parmi les «bulls» ou «bears», nous serions tentés de faire partie des «bulls». Nous venons d’exprimer trois sujets de préoccupation qui pourraient envoyer le 10 ans vers 1%. Il suffirait que l’un des trois se concrétise pour assister à une détente des taux longs américains alors que la plupart des banques d’investissements nous incitent à nous protéger contre une remontée du 10 ans vers 1,8% voire au-delà.

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