2 avril, premier jour du «COVID économique»

Eric Vanraes, Eric Sturdza Asset Management

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Chronique des taux d’ESAM (Eric Sturdza Asset Management).

 

La récession est là

Nul besoin de revenir sur les décisions prises le jour du Libération Day, nous avons tous les chiffres en tête. Les nôtres se résument ainsi: cinq baisses de taux de la Fed sont désormais attendues, le 2 ans US est passé de 3,9% à 3,5% et le 10 ans de 4,2% à 3,9%. La récession est donc bien là. Peu importe qu’elle se matérialise puisque nous sommes des gérants de portefeuilles, pas des économistes. Ce qui signifie – nous l’avons maintes fois répété – que notre travail, sur lequel nous sommes jugés, n’est pas de prédire une récession mais de prédire si les marchés vont se faire peur et évoluer comme si la récession était sure et imminente. Force est de constater que les marchés actions et obligataires, depuis le 2 avril, ne jouent plus à se faire peur. Ils ont peur! Dans ces conditions, tout événement, toute parution de statistique deviennent secondaires. Première victime, les chiffres de l’emploi de vendredi ont été plutôt bons ou en tout cas moins mauvais que ce que l’on aurait pu craindre. Mais les marchés avaient la tête ailleurs.

Cette récession, prolongement inéluctable de la fin du commerce mondial tel qu’on le connaissait avant le 2 avril, touche donc également les principaux marchés. Le Bund, qui devait grimper vers 3% suite à la décision des Allemands de rompre avec leur orthodoxie budgétaire, s’affiche à 2,5%. Plus proche de nous, les emprunts courts à 2 et 3 ans de la Confédération ont renoué hier matin avec les rendements négatifs. C’est la Bérézina sur les places boursières mondiales et open bar sur les marchés de taux. Encore fallait-il prévoir un tel mouvement. Pour être plus précis, nous étions nombreux à l’envisager mais pas dans une telle ampleur.

Les marchés de crédit (re)deviennent intéressants. En un mois, les spreads Investment Grade se sont écartés de 30 points de base.

La question que tout gérant obligataire se pose aujourd’hui est simple: que fait-on maintenant? Cela semble trop tard de jouer la duration pure à travers les emprunts d’Etats américains et allemands. En revanche, les marchés de crédit (re)deviennent intéressants. En un mois, les spreads Investment Grade se sont écartés de 30 points de base. Cela semble un bon début. Cela dit, il faut relativiser ces opportunités car dans le même temps, le rendement du taux à 5 ans allemand et celui de son homologue US Treasury ses sont détendus de respectivement 20 et 35 points de base. Pour l’instant, les spreads s’écartent donc mais pas suffisamment pour faire grimper les rendements des emprunts corporates puisqu’ils se contentent de compenser plus ou moins la détente des Govies sous-jacents. A moins bien sûr de s’intéresser aux hybrides dont les spreads se sont tendus de 80 points de base sur la même période. C’est indubitablement dans cette classe d’actifs qu’il faut, à court terme, saisir les bonnes opportunités.

Le souhaitable et le probable

Le tsunami boursier provoqué le 2 avril par Donald Trump et son équipe est déjà comparable à celui qui s’était abattu sur certaines séances sombres de 2020 en pleine crise du COVID. Il remet au goût du jour le fameux adage «ne pas confondre le souhaitable et le probable». En 2025, il y aura clairement un avant et un après 2 avril et cela met la Fed entre le marteau et l’enclume. Que va-t-elle faire? La dernière fois que Jay Powell s’est exprimé, c’était pour constater que le niveau d’incertitude n’avait sans doute jamais été aussi élevé! Même en mars 2020?

Avant le 2 avril, le scénario était à peu près celui-ci: les marchés attendaient deux baisses de taux de la Fed, nous n’en attendions pas mais nous estimions que stopper le Quantitative Tightening (QT) équivalait à une baisse de taux. Le probable était sans doute que la Fed baisserait une fois son taux (à mi-chemin être zéro et deux baisses) tout en réduisant son QT. Rappelons qu’à l’époque, c’est-à-dire il y a seulement 6 semaines environ, nous étions convaincus que l’inflation Core resterait autour de 3% voire plus haut si les mesures annoncées par l’administration Trump devaient être mises en œuvre.

Aujourd’hui, nous sommes obligés de rappeler la formule de notre éminent confrère Fabrizio Quirighetti (Decalia AM): «Lorsque la récession arrive, elle envoie rarement un carton d’invitation!». La récession, si elle se matérialise (mais un gros ralentissement suffira), devrait régler à terme le problème d’inflation. C’est pour cela que les marchés ne s’en soucient guère. C’est pour cela également que ce ne sont pas moins de cinq baisses de taux qui sont attendues cette année. De quoi donner la migraine à Jay Powell et à ses camarades qui ne se réunissent pas avant le 7 mai en théorie. Aujourd’hui, à notre avis, le souhaitable est devenu le probable d’avant le 2 avril (une baisse et arrêt du QT) et le probable sera une détente des taux sans doute à mi-chemin entre notre souhait et celui, trop dovish avec cinq baisses, des marchés depuis vendredi.

La BCE devrait baisser ses taux la semaine prochaine. Après des CPI encourageants en France (0,9%) et en Espagne (2,2%), c’est celui de la zone euro toute entière qui s’est dégonflé la semaine dernière à 2,2%. Un fort ralentissement et une inflation qui retourne à l’objectif sauront convaincre les plus réticents, y compris ceux qui trouvaient en Isabel Schnabel une porte-parole puissante et convaincante. Le ralentissement mondial est en marche, le tsunami n’épargnera pas les faucons.

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