Un taux d’escompte pour le futur

Marie Owens Thomsen, Indosuez Wealth Management

2 minutes de lecture

Nous n’attribuons que bien peu de valeur aux générations futures. Temps de changer?

Nous, économistes, qui travaillons sur les marchés financiers, et qui nous trouvons fréquemment absorbés par le très court terme, attachons beaucoup d’importance à des fluctuations qui peuvent se renverser du jour au lendemain: ce que Mario Draghi, gouverneur de la Banque centrale européenne appelait «l’angoisse hebdomadaire»1. Prenons un peu de hauteur.

Quel est aujourd’hui l’état du monde? La situation n’a jamais été aussi bonne. Un nombre sans précédent de personnes est sorti de la pauvreté – deux milliards en 25 ans –, un progrès remarquable. En 2020, la majorité de la population mondiale appartiendra à la classe moyenne – un chiffre également sans précédent et tout aussi remarquable. Toutefois, 830 millions de personnes vivent avec moins de deux dollars par jour. En outre, des menaces existentielles tels que la guerre nucléaire et les changements climatiques mettent en péril les générations actuelles et futures.

Trois questions se posent:

  1. A combien évaluons-nous les générations futures?
  2. A combien devrions-nous évaluer ces générations futures?
  3. Les gouvernements doivent-ils se préoccuper des générations futures au-delà de ce qu’exprime l’électorat?
Un taux d’escompte social serait la compensation supplémentaire
potentiellement demandée pour nous soucier du sort des générations à venir.

La réponse à la première question est que, d’une manière générale, nous n’attribuons que bien peu de valeur aux générations futures. Que la dette mondiale soit à son plus haut niveau historique en témoigne. La fragmentation des grandes unions – telle la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne – peut également être considérée sous cet angle.

Une manière de répondre à la deuxième question serait de concevoir et d’utiliser un taux d’escompte social. Les économistes utilisent les taux d’escompte principalement pour exprimer à quel degré nous préférons «consommer» aujourd’hui plutôt que dans l’avenir. Si je souhaite être payé 20% de plus pour accepter de reporter ma paie à une date future, le taux d’escompte est de 20%. Un taux d’escompte social serait donc la compensation supplémentaire potentiellement demandée pour nous soucier du sort des générations à venir. Une étude élaborée pour le Ministère des finances du Royaume-Uni2 estime que le taux d’escompte social pourrait se situer entre 1% et 4,5%, et adopte pragmatiquement un taux de 3,5%. Ce taux semble élevé dans un environnement où les taux dit «sans risque» sont proches de zéro. Un taux d’escompte social à zéro est souvent considéré comme exigeant trop de sacrifices de la part de la population actuelle en faveur des générations futures. Toutefois, si nos activités actuelles engendrent en toute probabilité une réduction de la qualité de vie, ou pire, des générations futures, le taux d’escompte social devrait être négatif.

Pour ce qui est des gouvernements, il nous semble absolument nécessaire qu’ils adoptent une vision à long terme. La Nouvelle-Zélande, souvent innovatrice sur le plan politique, imagine ce que sera la vie dans 10 ans – un horizon peut-être pas assez long, mais déjà bien supérieur à ce que beaucoup de gouvernements projettent. En outre, les Etats doivent œuvrer au quotidien pour réaliser cette vision. Sans leur leadership, il est difficile de s’imaginer un engagement intergénérationnel des citoyens.  

«Ici et maintenant» est bien évidemment ce qui nous importe le plus. Rappelons-nous seulement qu’il y a quelques décennies, nous étions nous-mêmes les générations du futur.

 

1 «Every week there is a new Angst. Mario Draghi», discours du 7 mars 2013. (https://www.ecb.europa.eu/press/pressconf/2013/html/is130307.en.html)
2 Mark Freeman, Ben Groom and Michael Spackman, «Social Discount Rates for Cost-Benefit Analysis: A Report for HM Treasury», 2018.

A lire aussi...