L’impact des taux directeurs sur la courbe s'est affaibli

Marie Owens Thomsen, Indosuez Wealth Management

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La BCE doit avoir le courage d’intégrer l’achat et la vente de titres comme outil à part entière.

 

Président de la Banque Centrale Européenne depuis novembre 2011, Mario Draghi quittera son poste en octobre 2019. Sa politique «non orthodoxe» – baisse des taux et surtout programme illimité de rachat de dette européenne – a tranché avec celle de ses prédécesseurs. Quels défis devra affronter celui ou celle qui succèdera à qui, en juillet 2012, sauvait l’euro en une phrase. Les réponses de Marie Owens, membre de l'Association des Stratégistes d'Investissement de Genève (ISAG) aux quatre questions d’Allnews.

Quels sont, selon vous, les points positifs et les points négatifs du bilan de Mario Draghi?

Les intervenants des marchés financiers s’amusent souvent à parler des banquiers centraux avec un certain dédain. Je suis personnellement très admirative de Mario Draghi et estime que c’est un intellectuel d’une envergure particulièrement impressionnante. Le point le plus positif est le courage qu’il a su montrer au moment du programme d’achat des titres. John Maynard Keynes pensait déjà en 19361 que les banques centrales doivent intervenir sur toute la courbe de taux. La Fed et la BCE l’ont fait et il faut espérer que cela se poursuive car, face à la montagne de dette publique, le QE (Quantitative Easing) ou le QT (Quantitative Tightening) sont des outils de politique monétaire plus efficaces que l’intervention sur les taux directeurs. Un point peut-être moins positif de son bilan serait sa position un peu dogmatique vis-à-vis de l’objectif d’inflation. Il est évident que la BCE est contrainte par sa mission de chercher à maintenir l’inflation autour de 2%, et que toute communication qui dévie, ne serait-ce que quelque peu de cet objectif, pourrait nuire à sa crédibilité. Toutefois, j’ai regretté l’absence de discours sur l’impact négatif sur les salaires réels d’une remontée de l’inflation, même minime.

L'idée d'avoir une femme
à la tête de la BCE est séduisante.
Quel est votre candidat favori à la succession de Mario Draghi?

Il est normal que la place financière cherche à savoir qui remplacera Mario Draghi. Parce que c’est un poste clé de l’économie européenne et parce qu’«endosser son habit» relève du défi. Par contre, je ne partage absolument pas les passions que peuvent provoquer «l’origine géographique» de son successeur. La BCE est une banque centrale au service des 19 pays membres de l’euro. Le Gouverneur les représentera tous. Si ce n’est pas le cas, le choix de gouverneur aura été un échec. Je dois pourtant avouer que l’idée d’avoir une femme à la tête de la BCE me séduit.

Quels seront les principaux défis que le successeur de Mario Draghi devra affronter?

Le défi pour l’avenir sera notamment en lien avec le poids de la dette. Dans un monde parfait, les gouvernements sont fiscalement responsables et la politique monétaire peut être déterminée indépendamment des considérations fiscales. Dans cette situation de «domination monétaire» – que l’on peut qualifier de «ricardienne» en jargon économique – le taux directeur est un outil de politique monétaire efficace et sa transmission à travers les différents canaux fonctionne correctement. Aujourd’hui nous nous trouvons plutôt dans une situation non-ricardienne de «domination fiscale», c’est-à-dire un contexte où l’efficacité des taux directeurs sur la courbe des taux est moindre. Dans ce cas, acheter ou vendre des titres de maturités différentes fonctionne mieux. Il faut espérer que les banques centrales en général, et la BCE en particulier, vont avoir le courage d’intégrer cet outil à part entière dans leur politique monétaire.

Comment le rôle de la BCE évoluera-t-il dans le futur?

Le rôle de la BCE doit évoluer pour qu’elle soit en mesure d’élaborer la meilleure politique monétaire possible sous domination fiscale car il y a peu d’espoir que le poids de la dette s’allège sensiblement dans les années à venir. Côté institutionnel, il y a déjà, bien sûr, des interconnexions entre politique monétaire et objectif de stabilité des prix, entre Trésor et politique fiscale, sans oublier les institutions en charge de la gestion de la dette dont le rôle est de financer le budget à moindre coût. Cette élégante répartition des tâches est en réalité une illusion car il est aujourd’hui difficile de dissocier les émissions de dette à court terme des banques centrales des émissions d’obligations. L’indépendance des institutions a certes des avantages mais, dans un monde imparfait, une coordination plus explicite permettrait de gagner en efficacité.

Lire également: La normalisation de la politique monétaire reste à achever

 

1 The General Theory of Employment, Interest and Money

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