Tant de questions et si peu de réponses

Nathalie Benatia, BNP Paribas Asset Management

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Aux Etats-Unis, l’activité en février a été perturbée par les conditions climatiques extrêmes.

De mauvaises nouvelles sur le front sanitaire, des données économiques volatiles, des espoirs de barbecue pour le 4 juillet aux Etats-Unis mais des reconfinements, décidés ou à venir, en Europe. Une drôle d’ambiance pour l’anniversaire du Grand confinement qui n’a pas empêché les actions de progresser la semaine dernière (avec un nouveau record en clôture pour le S&P 500 le 15 mars) et les taux longs américains de s’installer au-dessus de 1,60%.

Des questions sur un vaccin

La décision d’un certain nombre de pays européens de suspendre l’utilisation d’un vaccin face à certains incidents (qui ne sont pas pour l’instant formellement identifiés comme des effets secondaires de la vaccination) peut inquiéter les investisseurs. Ralentir des campagnes de vaccination qui prenaient enfin de l’ampleur et risquer de provoquer une défiance de la part des populations, peut retarder encore le redémarrage des économies au moment où les variants plus contagieux du virus gagnent du terrain.

Le scénario d’une reprise cyclique n’est pas pour autant abandonné et les prévisions de croissance ont continué à être revues à la hausse, aux Etats-Unis bien sûr en raison du colossal plan de soutien à l’économie mais aussi dans la zone euro où l’activité manufacturière profite de l’accélération de la demande mondiale. En Allemagne, le sentiment des investisseurs institutionnels et des analystes financiers mesuré par l’indice Zew s’est amélioré. La composante reflétant les perspectives à 6 mois a retrouvé son plus haut niveau depuis septembre où cet indice dépassait ses points hauts des cycles précédents.

Des indicateurs économiques volatils

Aux Etats-Unis, l’activité en février a été perturbée par les conditions climatiques extrêmes: les ventes au détail ont beaucoup plus reculé qu’attendu mais, après une nette révision à la hausse des chiffres de janvier, la consommation reste bien orientée. La production industrielle accuse elle aussi un recul plus important qu’attendu en février en raison de la vague de froid polaire.

Ces éléments ne remettent pas en cause la solidité de la reprise aux Etats-Unis mais peuvent brouiller le message au moment où la Réserve fédérale américaine va devoir réaffirmer son engagement pour une politique monétaire durablement accommodante.

Banque centrale européenne: explication(s) de texte

Le 11 mars, à l’issue de sa réunion de politique monétaire, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé que «le rythme des achats au titre du PEPP sera nettement augmenté au cours du trimestre à venir par rapport aux premiers mois de l’année». L’objectif est d’éviter un resserrement des conditions de financement.

Lors de sa conférence de presse, Christine Lagarde a donné beaucoup d’informations. La plus surprenante reste que, malgré le caractère flexible (qui a été réaffirmé) du programme d’achats d’urgence face à la pandémie, modifier les montants achetés est une décision de politique monétaire qui nécessite l’aval du Conseil des gouverneurs. Cette approche explique au moins pourquoi la BCE n’a pas réagi plus tôt aux tensions sur les taux longs de la zone euro (+35pb entre le 4 janvier et le 26 février en considérant un niveau de taux à 10 ans pondéré par le PIB).

Christine Lagarde a par ailleurs réaffirmé que la BCE ne fait pas de contrôle de la courbe des taux et que les conditions financières favorables se jaugent à travers plusieurs indicateurs (depuis le niveau des taux de marché jusqu’aux conditions d’octroi de crédit au secteur privé) et sont celles qui permettent la bonne transmission de la politique monétaire.

Enfin, selon une habitude qui semble s’imposer peu à peu, la conférence de presse a été suivie par des commentaires de «sources» apportant des précisions. Il a ainsi été rapporté que les achats seront moins importants qu’au printemps dernier mais plus que depuis quelques semaines.

L’engagement de la BCE ne semble donc pas devoir se faire sur des niveaux (comme le fait la Banque du Japon depuis septembre 2016) mais sur des quantités.

D’autres avis au sein de la BCE

Dans une interview publiée le 16 mars, Philip Lane, l’économiste en chef de la BCE et membre du Directoire, est allé plus loin en mettant en avant l’importance d’estimer d’une façon «dynamique» si les conditions financières sont favorables tout en rappelant que le niveau des taux longs fait partie intégrante de ces conditions: «Avec le temps, la relation entre le niveau approprié des rendements et l'inflation va évoluer». L’objectif de la politique monétaire est d’assurer que le choc économique provoqué par la pandémie n’empêchera pas l’inflation de remonter vers l’objectif.

Le lendemain, Isabel Schnabel accordait elle aussi un entretien à la presse dans lequel elle soulignait que si les tensions récentes des taux longs sont «compatibles» avec l’amélioration des perspectives économiques, le rythme de l’ajustement a été une «source de préoccupation».

Doit-on conclure que la BCE est prête à tolérer des taux longs plus élevés à condition que leur remontée reste ordonnée? S’agit-il au contraire d’un aveu d’impuissance à contrôler un niveau spécifique? La BCE privilégie-t-elle l’évolution des taux réels ou celle des taux nominaux? La prochaine étape sera-t-elle de passer à un ciblage flexible du niveau d’inflation moyen comme l’a fait la Fed l’été dernier?

Dans l’attente de réponses à ces questions, les investisseurs obligataires devront faire preuve, eux aussi, de flexibilité. Compte tenu des perspectives de croissance et d’inflation pour 2021, une sous-sensibilité, des positions de repentication des courbes (plutôt sur la partie intermédiaire) et une exposition aux obligations indexées paraissent appropriées mais devront être ajustées au fil des évolutions de taux. La hausse des achats de la BCE devrait continuer à soutenir les marchés périphériques. Le BTP italien devrait profiter de la recherche de rendement.

Du côté de la Réserve fédérale américaine

Les prévisions économiques (croissance, emploi, inflation) et les projections de taux directeurs vont retenir l’attention des investisseurs à l’issue du comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) du 17 mars. Depuis les dernières prévisions en date en décembre 2020, deux plans budgétaires de soutien à l’économie pour un total de près de 3000 milliards de dollars (environ 15% du PIB des Etats-Unis) ont été approuvés.

Les perspectives de croissance devraient donc être révisées significativement à la hausse tandis que la prévision médiane du taux de chômage devrait, en toute logique, baisser. Les interrogations résident dans l’ampleur des révisions sur l’inflation qui conditionneront les attentes sur les taux directeurs.

Les changements dans le graphique dit «dot plot», qui présente les niveaux de taux directeurs jugés «appropriés» par chacun des membres du FOMC, seront particulièrement analysés. Le principal risque est que la tolérance dont a fait preuve la Fed vis-à-vis des récentes tensions sur les taux longs soit «testée» par les intervenants de marché. Si une détérioration des conditions financières devait en résulter, la Fed serait sans doute contrainte à agir pour éviter une correction des actions, un écartement des spreads de crédit et un brutal renforcement du dollar.

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