Robincrook?

Charles-Henry Monchau, FlowBank

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La folle histoire de GameStop pourrait creuser davantage le fossé entre Wall Street et les «petits» investisseurs.

Tant de choses ont déjà été écrites sur le phénomène GameStop. En l’espace de quelques jours, le monde a réalisé combien les marchés actions peuvent être volatils, avec des variations journalières de plus de 300% sur certains titres. Les médias ne cessent de parler de ventes à découvert, de «gamma squeeze» et autre «short squeeze». Nous avons fait la connaissance de nouveaux acteurs tels que Reddit ou les WallStreetBets (WSB). Mais surtout, nous avons réalisé que le monde est en train de changer.

Après dix années de marchés haussiers où des gains colossaux ont été réalisés par les grands de ce monde, le boom du trading en ligne via des plateformes telles que Robinhood a permis de démocratiser l’investissement. Dopée par un excès d’épargne et le «stay at home», une nouvelle génération de boursicoteurs a vu le jour. L’éclosion de réseaux sociaux tels Reddit (les wallstreetbets) facilite l’accès à l’information financière mais permet également à une horde de spéculateurs de se fédérer. C’est en effet ce mouvement décentralisé, digne des «gilets jaunes», qui a permis à des milliers de petits porteurs de joindre leurs forces et de se lancer dans une lutte épique contre les géants de Wall Street.

Par le jeu des rachats forcés, des titres comme GameStop ou AMC
se sont envolés de plusieurs centaines de pourcent.

On apprenait en début de semaine que le hedge fund Melvin Capital, à la tête de 12 milliards d’actif, n’avait d’autre choix que d’accepter l’aide de 2,75 milliards proposée par Citadel et Point 72. Melvin Capital est l’une des principales victimes d’un «short squeeze». Le fonds spéculatif a vendu à découvert certains titres pour parier sur leur baisse – dont Gamestop. La chaine de magasins spécialisés dans les jeux vidéo est en déclin, poussant certains spéculateurs à parier sur un effondrement du titre. Un pari hors norme puisque les positions de ventes à découvert sont devenues supérieures au flottant de GameStop. Cette situation extrême a incité des investisseurs aguerris, dont le Dr Burry, à acheter le titre. Mais cette opportunité n’a pas non plus échappé au forum r/ wallstreetbets – 6 millions d’adhérents tout de même. En se ruant sur des options d’achat Gamestop, ils ont créé un «short squeeze», forçant les hedge funds qui sont short sur Gamestop à racheter leurs positions au fur et à mesure que les cours augmentent. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Fiers de leur coup de force sur Gamestop, les néo-traders se sont mis en quête d’autres cibles, c’est-à-dire des titres dont les «short» sont très important par rapport à la capitalisation boursière.  Une lutte sans merci s’est désormais engagée entre les «petits» et les puissants de Wall Street.  

Par le jeu des rachats forcés, des titres comme GameStop ou AMC se sont envolés de plusieurs centaines de pourcent. Les WSB pensaient avoir course gagnée. Mais en milieu de semaine, les «puissants» ont décidé de reprendre la main. Dès jeudi matin, c’est la Présidente du Nasdaq qui lançait un avertissement: «Nous allons surveiller de très près l’activité sur les réseaux sociaux et stopperons les transactions s’il s’avère que le contenu de ces sites correspond à des activités suspectes sur les titres».

Quelques heures plus tard, la plateforme de courtage en ligne Robinhood décide d’empêcher quiconque d’acheter les titres qui avaient justement bénéficié de l’effet «short-squeeze». D’autres plateformes de trading leur emboitent le pas. Conséquence immédiate: les titres GameStop et AMC s’effondrent en bourse, suscitant un tollé non seulement auprès de la communauté des WSB mais aussi de certaines figures politiques américaines telles AOC ou Ted Cruz. Au-delà des milliards de dollar en jeu, le débat est en train de déborder sur des aspects de justice sociale et du fossé grandissant entre les riches et les pauvres (ou moins riches).

Le robin des bois du trading a-t-il en quelque sorte
pris l’argent des pauvres pour le donner aux riches?

Au centre de ce débat, la plateforme en ligne Robinhood, la première à avoir bloqué les transactions.  Au cours des dernières années, Robinhood a surfé sur la vague du mouvement “Occupy Wall Street” et défend une mission de démocratisation de la finance. Des podcasts branchés, une plateforme de trading à la portée de tous et une politique de frais zéro ont réussi à convertir des millions de néophytes au boursicotage. Mais comme le dit l’adage: «si c’est gratuit vous êtes le produit». En effet, le modèle d’affaires de Robinhood est simple: afin d’offrir des transactions sans frais, les flux d’ordres sont vendus à certains hedge funds pour des dizaines de millions de dollars. Ces derniers gagnent de l'argent en prenant automatiquement l'autre côté de l'ordre, puis en allant sur le marché pour inverser la transaction. Ils empochent la différence entre le prix d'achat et de vente (le «spread»). A priori rien d’anormal dans ce procédé. Sauf que tout ne se passe pas forcement dans les règles de l’art. En décembre, Robinhood a été condamné à une amende de 65 millions de dollars par la SEC qui a constaté que les clients avaient été collectivement privés de 34,1 millions de dollars parce que Robinhood avait choisi de privilégier certains hedge funds au détriment des petits porteurs.

Le nom de Citadel était sur toutes les lèvres à Wall Street cette semaine. Il s’agit en effet du plus gros client de Robinhood. En 2020, le paiement du flux par Citadel à Robinhood représentait 180 millions de dollars, soit environ 70% des revenus.  Et c’est le même Citadel qui est venu renflouer Melvin Capital après que son short sur Gamestop lui aît coûté des milliards.

D’où des suscpicions de conflit d’intérêt. Est-ce que Robinhood a préféré venir au secours de son plus gros client, en empêchant les petits porteurs de pousser GameStop et AMC vers de nouveaux sommets. Le robin des bois du trading a-t-il en quelque sorte pris l’argent des pauvres pour le donner aux riches? Robinhood est-il en train de devenir «Robincrook»?

Robindhood et Citadel ont bien entendu leurs lignes de défense respectives, citant entre autres la pression exercée par les centres de clearing. Mais en attendant, les plaintes des particuliers s’accumulent et certains réclament des enquêtes parlementaires. Sous la pression, Robinhood a décidé de rouvrir certaines transactions à l’achat. Et le mouvement semble avoir conquis le cœur d’un allié de poids: celui d’Elon Musk, qui les aide à coup de tweets. D’ailleurs, il vient d’ajouter l’hashtag #bitcoin à sa page twitter. Encore une thématique liée à la décentralisation du système… Le monde est effectivement en train de changer.

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