Rattrapage ou vraie reprise?

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Le cycle économique ne s’était encore jamais retourné deux fois en l’espace de quelques semaines.

© Keystone

Il n’était jamais arrivé que le cycle économique se retourne deux fois, à la baisse puis à la hausse, en l’espace de seulement quelques semaines. C’est ce qui vient de se passer avec cette «crise du coronavirus», qu’il faudrait d’ailleurs plutôt appeler la «crise du confinement». L’offre et la demande ont plongé en Chine à la fin janvier avant de se reprendre à compter de mars. Aux États-Unis et en Europe, la chute a débuté vers la mi-mars, elle s’est prolongée jusque vers la mi-mai, date à laquelle les restrictions au déplacement des personnes et à la liberté du commerce ont été partiellement assouplies, ouvrant la voie à un rebond. Dans un intervalle aussi court s’est déroulée la pire des récessions, de mémoire d’économiste vivant. Voilà l’état des lieux.

La brièveté du choc peut créer une confusion dans l’examen des informations économiques. Les statistiques usuelles, disponibles à fréquence mensuelle ou trimestrielle, donnent une image décalée de l’économie réelle. Elles en sont encore à nous dire combien l’activité, la consommation, l’investissement, les échanges internationaux ont baissé dans des proportions inédites. Dans les pays développés, les rythmes de baisse du PIB réel au premier trimestre dépassaient déjà les records historiques. Mais cela paraîtra dérisoire au regard des chiffres du deuxième trimestre, qui ne seront connus que durant l’été. La litanie des prévisions économiques s’égrène: la plus récente est la plus pessimiste, trop peut-être. L’OCDE (10 juin) prévoit une contraction du PIB mondial de 6%, la Banque Mondiale (8 juin) -4,1%, la Commission européenne (6 mai) -3,5%, et le FMI (14 avril) -3%. Il est bien possible que le phénomène de révisions à la baisse soit enfin terminé.

La sévérité du choc implique que ses effets adverses
sur l’activité économique ne sont pas totalement réversibles.

En même temps, les données alternatives à fréquence journalière (Big Data sur la mobilité des personnes, leurs transactions par cartes bancaires, leur consommation d’énergie) qu’on utilise pour avoir une image en temps réel suggèrent que la reprise est bien engagée. Elle s’annonce même très vive dans certains secteurs. En bonne partie, c’est un rattrapage automatique: les dépenses suspendues pendant que les magasins étaient fermés peuvent se faire, les chantiers de construction et les usines peuvent rouvrir. D’ici peu, on peut l’espérer, les déplacements transfrontaliers pourront reprendre. Un rebond rapide n’est pas la garantie d’un rebond durable, mais à court terme, il faut se préparer à voir des données macroéconomiques battre tout leur record à la hausse, après les avoir tous battus à la baisse. Le président américain s’est extasié des 2.5 millions d’emplois créés en mai aux États-Unis… omettant de rappeler que neuf fois plus avaient été détruits dans les deux mois précédents.

La sévérité du choc implique que ses effets adverses sur l’activité économique ne sont pas totalement réversibles. La pandémie de coronavirus n’est pas finie, les mesures de confinement ne sont pas toutes levées, mais on peut dire que la cause initiale de la récession a presque disparu. Pour autant, le système économique ne reviendra pas à sa position initiale (effet d’hystérèse). Le choc a en effet des effets décalés et persistants. Il est typique de voir les défaillances d’entreprises atteindre leur pic plusieurs mois ou trimestres après la fin de la récession. Il est fréquent aussi que le chômage reste durablement plus élevé après une récession sévère. On peut s’attendre à ce que l’activité reste sous son potentiel pendant plusieurs années. Ce n’est pas un environnement inflationniste, mis à part les soubresauts inévitables liés aux prix de matières premières. Ce n’est pas non plus une situation où l’on peut se permettre de normaliser la politique économique de façon précoce. Stopper les interventions d’urgence des banques centrales (achats d’actifs), ce serait risquer que les conditions financières se durcissent à nouveau. L’ajustement des différentes mesures va sans doute se faire en tâtonnant. Il en va ainsi du soutien exceptionnel au revenu des ménages: le système doit rester protecteur pour solidifier la reprise mais sans être désincitatif au retour vers l’activité. A ce jour, les banquiers centraux comme les responsables de la politique budgétaire ne s’illusionnent pas sur la vigueur du rebond de court terme et penchent pour un policy-mix durablement assoupli. La crainte des excès de valorisation ou d’endettement est secondaire.

Cette crise a aussi eu des répercussions politiques, ce qui peut influencer le profil de la reprise. Aux États-Unis, la compétition électorale est chamboulée, sans être vraiment plus prévisible. Entre un président en exercice aux sautes d’humeur inquiétantes et un challenger dont on ne sait rien de l’orientation économique, il y a de quoi causer beaucoup de volatilité dans les prochains mois. En Europe, le choc sanitaire puis économique a exacerbé les différences entre pays. Au début de la crise, le risque de fragmentation, financière d’abord, politique à moyen terme, pouvait être sérieusement redouté, notamment en Italie. En deux mois, un climat tout différent s’est installé, grâce au virage opéré par l’Allemagne, qui non seulement utilise à plein ses marges budgétaires pour relancer son économie (et indirectement les autres) mais soutient l’augmentation du budget de l’Union européenne. Le plan de relance n’est pas encore abouti, mais il aurait paru inimaginable il y a peu.

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