La plus sévère et la plus courte des récessions

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La contraction de l’activité économique, la plus sévère de l’histoire moderne, pourrait être aussi la plus courte.

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Dans les pays développés, la contraction du PIB réel devrait se situer entre -7% et -12% en 2020. C’est environ sept fois plus que l’amplitude d’une récession-type. La chute d’activité aura duré à peu près deux mois, soit cinq fois moins que la durée d’une récession-type. Sévérité et brièveté sont les deux caractéristiques de ce cycle. Un rebond semble amorcé, il va sans doute s’amplifier pendant quelques mois, d’autant que les banques centrales ont corrigé sans délai le durcissement des conditions financières. Cela dit, le choc peut avoir des effets décalés (faillites) qui rendent illusoire un rattrapage total à brève échéance.

Récession du coronavirus, c’est déjà fini?

Se pourrait-il que cette contraction de l’activité économique, la plus sévère de l’histoire moderne, soit aussi la plus courte? C’est ainsi que nous nous interrogions en mars dernier au début du Grand Confinement. C’est peu dire que ce qu’on a vécu depuis sort de l’ordinaire, tant pour les évolutions économiques et financières que pour les actions de politique économique. Ayant désormais un peu de recul sur l’événement, on peut mieux apprécier l’amplitude du choc et les prémices de sa correction. Il est avéré que nous avons effectivement affaire à la récession la plus sévère ET la plus brève. Ces deux caractéristiques n’envoient pas le même signal pour la reprise.

Par sa sévérité, la crise du coronavirus est un multiple de tout ce qu’on
a pu connaître dans l’histoire moderne, hors période de guerre.
  • Sévérité du choc – L’arrêt forcé d’une large partie de l’activité a débuté vers la fin du premier trimestre dans la plupart des pays développés et s’est poursuivi sur avril. La remise en route a démarré dans le courant du mois de mai, toujours de manière graduelle. Le choc a été si soudain et violent que même les comptes nationaux du premier trimestre en portent la trace, mais c’est au deuxième trimestre que l’impact négatif sur la croissance sera maximal. En moyenne pour ces pays, la contraction du PIB réel a été de 2% t/t au premier trimestre (ou -8% en rythme annualisé). Nous prévoyons au deuxième trimestre une chute de l’ordre de 13% t/t (ou -43% en rythme annualisé). L’effet d’acquis est tel que les prévisions sur l’année complète sont dramatiquement abaissées, même en tablant sur un fort rebond technique au second semestre. A l’échelon global, on n’avait jamais vu les prévisions être révisées aussi vite et tomber aussi bas (graphe de gauche). A la mi-avril, le FMI s’attendait à ce que près de 150 pays soient en récession en 2020, bien plus que durant la Grande Récession de 2008- 2009 (graphe de droite).

Une autre mesure du caractère hors-normes de cette crise est le climat des affaires. A leur point bas d’avril, les indices PMI-composite sont tombés au-dessous de 30 points aux États-Unis et au Japon, au-dessous de 15 points en Europe. Ils dépassaient 50 points en février. Les précédents creux de 2009 qu’on avait cru indépassables ont été largement enfoncés. Par sa sévérité, la crise du coronavirus est un multiple de tout ce qu’on a pu connaître dans l’histoire moderne, hors période de guerre.

L’extrême sévérité et l’extrême brièveté définissent
la crise économique associée au coronavirus.
  • Brièveté du choc – Il est usuel de définir une récession comme une baisse du PIB pendant au moins deux trimestres de suite. Aux États-Unis, une récession-type dure un an, la Grande Récession a duré dix-huit mois. Cette fois-ci, on voit qu’après deux mois de correction, le climat des affaires a déjà fortement rebondi, même si son niveau absolu reste bas (graphe de gauche). Diverses données à haute fréquence (indices de mobilité, transactions par cartes de crédit, consommation d’énergie) confirment que la sortie du confinement aboutit à un vif sursaut de l’activité et de la dépense. A l’heure actuelle, la récession est terminée et la reprise a débuté. Cela vient de ce que la récession a été causée par un événement exogène, et non comme d’habitude à cause de déséquilibres devenus insoutenables (excès de crédit, choc inflationniste). Par ailleurs, le contre-choc de politique économique a lui-même été d’une rapidité et d’une amplitude sans précédent. C’est surtout net du côté de la politique monétaire. Dès le début de la crise, les banques centrales ont ressorti leur arsenal anti-crise, expérimenté durant la Grande Récession, et, bien souvent, l’ont étendu. Au bout du compte, le durcissement des conditions financières a été arrêté plus vite qu’en 2008, et à un degré bien moindre (graphe de droite). À chaque fois qu’un segment des marchés de capitaux a montré des signes de dysfonctionnement, les banques centrales sont intervenues pour corriger le problème. En somme, elles ont réussi à ce qu’il n’y ait pas de rationnement du crédit. Si ce succès se confirme, cela devrait aider et prolonger la reprise, qui n’est encore à ce stade que technique.

L’extrême sévérité et l’extrême brièveté définissent la crise économique associée au coronavirus. Il peut être tentant de privilégier l’une ou l’autre de ces caractéristiques du cycle, mais ce faisant, on perd une partie de l’information. On l’a vu avec le dernier rapport sur le marché du travail aux États-Unis. En mai, le nombre des employés a rebondi de 2.5M (-20.7M en avril) et le nombre de chômeurs a baissé de 2.1M (+15.7M en avril). Soucieux de détourner l’attention d’autres problèmes, le président américain a été prompt à souligner combien ces résultats étaient très bons. De fait, le signal est encourageant. Pour autant, on ne saurait ignorer que près de 90% de la correction sur l’emploi reste à opérer. Le rattrapage va se prolonger à mesure que les règles de déplacement seront assouplies mais sera long, et peut-être incomplet.

Au total, les premières données couvrant la période de déconfinement indiquent qu’un fort rebond technique a débuté. Comme la politique économique a protégé le revenu des ménages, ce rebond a toutes raisons de s’amplifier. Pendant quelques mois, les indicateurs macro vont sans doute dépasser tous les records, cette fois à la hausse, après les avoir dépassé à la baisse, mais cela ne nous dit rien du point d’atterrissage. Le profil de la reprise n’est pas encore déterminé, et le plus probable est qu’il n’aura pas la forme simpliste d’une lettre de l’alphabet. Il y a trop de paramètres en ligne de compte: conditions sanitaires, politique économique, conditions financières, effet décalé du choc sur les défaillances d’entreprises, etc.

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