Quelle trajectoire pour l’économie après la crise sanitaire?

Philippe Waechter, Ostrum AM

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Le scénario d’un retour fort et durable de la croissance semble peu probable. La prise en compte du risque climatique pèsera sur la croissance et l’emploi.

Le rattrapage du printemps 2021 a montré la résilience des économies des pays développés et l’aide efficace des politiques économiques pendant la crise sanitaire. Pour autant, cette phase enthousiasmante nous a peu renseignés sur l’après crise. Trois scénarios sont possibles. Le premier est celui, souvent évoqué, d’un retour aux années 1920, avec une croissance robuste et un taux d’emploi fort. Le deuxième, scénario habituel de sortie de récession, serait celui d’un retour au niveau de croissance d’avant crise. Enfin, le troisième scénario verrait une intégration rapide des nouvelles politiques de lutte contre le réchauffement climatique, au risque d’écorner la croissance.

La trajectoire réelle dépendra de l’allure des politiques monétaires, qui pourraient être accommodantes pour encore longtemps.

Vers un renouveau de la croissance?

Dans l’hypothèse du renouveau de la croissance, la référence est généralement celle des années 1920, dans la période qui a suivi la première guerre mondiale. 

Ceux qui formulent cette hypothèse oublient que le choc de la première guerre mondiale sur le niveau du PIB avait été beaucoup plus marqué que lors de la pandémie de COVID-19. Ainsi, entre le point haut de 1912 et le point bas de 1918, le PIB en France avait reculé de près de 40%. Il a fallu attendre 1923 pour que le niveau de richesse revienne à celui de 1912. Sur la décennie 1918-1928, le taux de croissance annuel moyen avoisinait les 7%.

Les expériences passées ne suggèrent pas
une accélération de la croissance en sortie de crise.

Une telle trajectoire pour l’activité et les revenus est bien sûr souhaitable, mais il semble prématuré de tabler sur une allure de ce type car il faudrait trouver une origine à ce rattrapage, une source d’impulsion. L’investissement en infrastructure qui est dans les plans de relance américain et européen n’a pas le caractère d’urgence ni l’aspect multidimensionnel d’une reconstruction d’après-guerre. 

La crise sanitaire et ses contraintes appellent à un renouvellement de la croissance potentielle. Le choc sanitaire a provoqué une recomposition de la structure de la croissance en fonction des chocs sectoriels dont les impacts seront persistants (voyages, hébergement, tourisme par exemple) mais aussi des souhaits de rapatriement d’activité (pharmacie par exemple). En dépit des vertus de la dynamique à la mode sur la destruction créatrice, les expériences passées ne suggèrent pas une accélération de la croissance en sortie de crise. On constate même que les chocs successifs depuis la seconde guerre mondiale au sein des pays développés se sont généralement traduits par une érosion de la croissance.

Retour au taux de croissance tendanciel

La deuxième hypothèse est celle selon laquelle, le PIB retrouverait la pente de la croissance qui était celle constatée avant la crise sanitaire.

Lors de la récession de 2008/2009, par exemple, le taux de croissance est très vite revenu sur le niveau moyen d’avant crise. 

Or en 2021, l’activisme de la politique économique permettrait de retrouver le rythme de croissance d’avant la crise, sans revenir sur la tendance d’alors. Le coût de la crise serait donc permanent puisque jamais ne reviendrait-on dans le cadre qui prévalait auparavant.

La croissance conditionnée par les politiques climatiques

La troisième hypothèse intègre la nécessité de converger plus rapidement vers la trajectoire garantissant la neutralité carbone à l’horizon 2050. La lutte contre le changement climatique va devenir plus exigeante et modifier les repères à l’échelle microéconomique.

Les mesures prises jusqu’à présent paraissent insuffisantes au regard des objectifs fixés et des exigences de la neutralité carbone à l’horizon 2050 en Europe et aux USA et à 2060 en Chine. Il faudra à un moment mettre en œuvre des stratégies suffisamment fortes pour tenir les objectifs définis.

Le nouveau cadre d’une fiscalité carbone européenne plus efficace dès 2025, qui doit encore être défini et mis en place, va altérer en profondeur la formation des prix. L’objectif sera de fixer un prix du carbone suffisamment élevé pour forcer les comportements à changer et pour favoriser les investissements et les innovations qui faciliteront la transition énergétique. 

Il est entendu que la taxation carbone est une incitation forte pour réduire les émissions si le prix de la tonne de carbone est suffisamment élevé et s’accroît dans le temps. 

La croissance a gagné en efficacité énergétique
mais le rythme d’amélioration n’est pas suffisant.

Mais est ce que cette taxation carbone sera suffisante pour converger vers la neutralité carbone en 2050? Il y a dans la taxe carbone, l’idée selon laquelle, il sera possible de connaitre une croissance raisonnable tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Une telle situation s’observe à l’échelle d’un pays (Suède, Danemark et quelques autres) mais pas à l’échelle mondiale. 

Il semblerait que ce soit une condition nécessaire mais pas forcément suffisante pour converger rapidement. Il faudra probablement agir plus directement.

D’autre part, l’efficience énergétique ne fait pas tout. La croissance a gagné en efficacité énergétique mais le rythme d’amélioration n’est pas suffisant. Des innovations doivent être mises en place pour changer de régime si l’on veut croître et réduire les émissions carbone en même temps de façon significative.

Dans le rapport Blanchard – Tirole livré au gouvernement français, il est évoqué la nécessité d’inciter massivement à l’investissement et à l’innovation pour lutter contre le changement climatique. John Kerry, l’émissaire de Joe Biden sur le climat, expliquait dans un interview au Guardian que 50% des baisses des émissions nécessaires pour parvenir à la neutralité carbone en 2050 viendront de technologies non encore découvertes.

Comment ne pas se demander s’il n’est pas trop tard pour concilier croissance et lutte contre le changement climatique?

Ce qui nous intéresse ici est de suggérer que le respect des engagements dans la lutte contre le changement climatique va se traduire par un changement de cadre avec des contraintes et des risques plus élevés qu’aujourd’hui. Les contraintes vont se faire plus fortes parce que l’opinion va aussi manifester son intérêt pour réduire l’ampleur du changement climatique. Les fonctions de production vont donc être profondément modifiées par rapport à celles existant jusqu’alors.

Associé aux contraintes et risques supplémentaires, il ne paraît pas pertinent de penser que la croissance pourrait s’accélérer dans les années qui viennent. Chacun d’entre nous, salariés ou entrepreneurs devra s’adapter et la coordination ne sera pas nécessairement aussi efficace que par le passé.

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