Quand le cycle des matières premières défie le cycle économique

Nicolas Voinchet, Exane Solutions

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Ce sont les causes plus structurelles de l’offre et de la demande qui doivent nous alerter, qu’on peut aisément articuler autour de la «Greenflation».

Après avoir adopté une approche pro-cyclique et inflationniste en début d’année, le marché a brutalement tourné casaque ces derniers mois, craignant désormais que l’économie ait déjà atteint le pic du cycle. La baisse du taux 10 ans américain et des swaps d’inflation à moyen terme, tout comme le violent retour en grâce des valeurs de croissance au détriment de la value, véhiculent un message unanime d’une modération brutale à venir de la conjoncture économique.

Dans un cadre aussi peu propice, la très bonne tenue récente des commodities cycliques pourrait surprendre, d’autant plus qu’elle fait suite au rebond impressionnant connu par la plupart d’entre elles en 2020. Sur le LME, le prix des métaux liés à la transition énergétique (cuivre, aluminium, zinc, nickel, cobalt) est en forte hausse depuis le début d’année, progression qui s’est poursuivie sur le dernier mois.

Les matières premières de l’ère fossile connaissent
une flambée parfois encore plus impressionnante.

Le phénomène ne se circonscrit pas à la vogue de la transition énergétique: les matières premières de l’ère fossile connaissent une flambée parfois encore plus impressionnante. Sur les trois derniers mois, période correspondant au violent repricing des perspectives de taux, donc de croissance et d’inflation, ce sont le pétrole (+10%), le gaz naturel (+30%) et surtout le plus décrié de tous, le charbon (+65%), qui occupent les premières places.

Si surprenante soit-elle, cette déconnection entre les anticipations sur le cycle et le parcours des matières premières qui lui sont usuellement liées n’est pas incohérente. Elle illustre à merveille le facteur principal de fixation du prix d’une matière première: l’équilibre entre l’offre et la demande, ainsi que la forte élasticité prix qui peut parfois surgir lorsqu’un déséquilibre apparaît. Qu’en penser et qu’en conclure, surtout?

Peut-être faut-il commencer par les précautions d’usage: une vague éventuelle de reconfinements liés au variant delta et aux aléas de la vaccination changerait sans doute le destin de beaucoup des matières premières susnommées. Il s’agit également d’inventorier toutes les raisons conjoncturelles ayant amplifié la hausse des matières premières: la vigueur de la reprise en cours, les sécheresses et inondations de l’été (les unes ayant amoindri le potentiel hydroélectrique tandis que les autres déstabilisaient certaines zones d’extraction ou ports d’exportation), l’exportation parcimonieuse de gaz russe, la moindre réponse du pétrole de schiste américain à la flambée des cours, l’instabilité institutionnelle au Chili et Pérou pour le cuivre, etc …

La feuille de route vers le zéro carbone proposée
en juin dernier par l’AIE a sans doute marqué les esprits.

Pour autant, ce sont les causes plus structurelles de l’offre et de la demande qui doivent nous alerter, qu’on peut aisément articuler autour du «Green Deal» pour en faire un néologisme de plus: la «Greenflation». A l’aube d’une stimulation sans précédent de la demande des métaux nécessaires à la transition énergétique, il apparaît incongru que l’ESG ne favorise pas l’investissement dans les minières concernées, peu incitées à investir en amont du cycle après s’être brûlées les ailes en 2009. Quant aux matières premières de la civilisation fossile, traitées comme parias à juste titre, c’est leur offre qu’on décourage, contraignant leurs producteurs à tenir un agenda serré vers la décarbonisation, à l’instar de Royal Dutch et de son procès perdu aux Pays-Bas.

A ce titre, la feuille de route vers le zéro carbone proposée en juin dernier par l’AIE a sans doute marqué les esprits. Elle a mis en exergue la croissance exponentielle de certains métaux dont la transition énergétique se nourrira, tandis qu’elle encourageait à l’arrêt brutal de l’investissement dans le pétrole, recréant de facto la perspective d’un cartel de l’Opep.

Du côté des entreprises, minières ou majors pétrolières, les injonctions ont vite été comprises, ce qu’ont démontré les publications de résultats de la semaine dernière. Confrontées à une explosion de leurs cash flows disponibles suite à la hausse des prix, ces dernières décident de ne pas massivement les réinvestir dans leur outil de production, mais plutôt de les retourner à leurs actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d’actions. Total s’est même engagé à investir 40% des cash flows excédentaires au-dessus de 60 dollars par baril dans un programme de rachat d’actions.

Mais peut-on leur en vouloir? Il convient plutôt de récompenser certaines d’entre elles, en surpondérant les minières qui concentrent leur portefeuille de métaux vers ceux qui permettront la transition énergétique, tout comme les majors pétrolières qui investissent dans les énergies nouvelles et s’engagent à réduire leur taille via des retours aux actionnaires.

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