Pub quand tu nous tiens

Philippe Szokolóczy-Syllaba

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Si l’homme de la rue n’a pas le droit d’être au-dessus des lois, il a quand même droit à un peu de bonheur. A condition toutefois qu’il l’achète.

«To break the rules, you must first master them», nous affirme la publicité d’une célèbre marque de montres. Faut-il y voir une incitation impertinente, mais néanmoins sympathique à la rébellion contre l’ordre établi? Peut-être, mais on peut aussi se demander s’il ne s’agit pas plutôt d’un message perfide et à peine voilé suggérant que l’acquisition du signe distinctif de richesse vanté s’accompagnerait du privilège de pouvoir être au-dessus des lois. Ainsi en rejoignant le club select de ceux qui peuvent se permettre d’afficher l’heure à plus de 10’000 francs, l’heureux élu se trouverait dispensé d’obéir aux mêmes règles que le vulgum pecus, à condition de les maitriser en premier lieu.

«Le bonheur qui ne coûterait rien,
ça ne ferait pas vendre.»

Monsieur tout le monde, quant à lui, n’est pas ignoré pour autant. Il est ciblé entre autres par une enseigne d’électronique allemande qui soutient qu’«être heureux coûte moins cher» s’il s’approvisionne chez elle. Car, si l’homme de la rue n’a pas le droit d’être au-dessus des lois, il a quand même droit à un peu de bonheur. A condition toutefois qu’il l’achète. Parce que le bonheur qui ne coûterait rien, ça ne ferait pas vendre et il ne faudrait surtout pas que le chaland s’imagine qu’il puisse se le procurer autrement qu’en le payant en devises sonnantes et trébuchantes. Même bon marché!

Dans le même ordre d’idée, «un gentleman ne se fixe pas de limites», nous assène une marque d’habillement italienne. Ah bon, moi qui croyait qu’un gentleman était quelqu’un qui s’abstenait de se fourrer le doigt dans le nez, même quand il était seul. Bientôt les pénalistes vont-ils pouvoir invoquer les bonnes manières pour défendre les criminels, ou du moins l’intime conviction qu’avaient leurs clients d’agir en toute légalité lorsqu’ils outrepassaient les limites de la loi, du moment qu’ils obéissaient aux diktats de la mode.

Et toutes ces pubs, c’est pour quoi? Ben, pour nous aider dans nos choix, bien sûr, pour nous informer, pour nous faciliter la vie, pour mieux nous servir. Je ne sais pas vous, mais moi je déteste bien évidemment qu’on me facilite la vie. Par contre, j’adore qu’on me prenne pour un imbécile, cela va de soi. 

Quand j’étais enfant, on achetait ce dont on avait besoin avec de l’argent qu’on avait. Aujourd’hui, on achète des tas de trucs dont on n’a pas vraiment besoin, souvent avec de l’argent qu’on a pas. Résultat, l’endettement des ménages, des entreprises et des Etats a globalement augmenté de plus de 30% depuis 2008. Vous vous rappelez d’ailleurs de 2008? La fameuse crise… du crédit! Un problème de surendettement qui a résulté en la pire crise de notre vivant (pour la plupart d’entre nous en tout cas). On aurait pu s’imaginer que la solution logique, après une telle débâcle, aurait été de «déleverager», comme on dit. Que nenni, il fallait que la roue continue à tourner. Cette sacro-sainte croissance, sans laquelle tout risquerait de s’effondrer. Et la croissance, on la génère comment? Par la production et la consommation, les deux mamelles de nos économies modernes, voilà comment!

«Bientôt notre Google Car ou Tesla nous amènera directement à la pharmacie
si après déjeuner nous avons le malheur de lâcher un petit rot (ou pire…)»

Mais cette croissance, est-elle dans notre intérêt? On nous la vend à toutes les sauces, à tel point qu’elle est devenue l’étalon indiscuté du succès, le critère qui fera élire ou réélire un politicien, le graal visé par toute entreprise, nation ou même par la planète qui pourrait ne pas s’en relever si elle n’atteignait pas au moins 3-4% par an. Il est vrai qu’on ne prête que difficilement à un emprunteur qui vous dit qu’il fait dans la décroissance. Alors quand il est de plus submergé par une situation de surendettement endémique, comme c’est le cas de bien des Etats, la fuite en avant semble préférable: de la croissance à tout prix pour justifier l’accroissement de son surendettement. Et pour y parvenir, il faut des consommateurs et pour avoir des consommateurs, il faut de la pub.

Il faut croire que la pub marche, sinon nous n’en serions probablement pas autant inondés. Mais est-elle suffisante dans sa formule classique sur papier glacé et entre deux émissions télévisées? Sûrement pas, car sinon comment expliquer la déferlante de messages publicitaires ciblés sur nos boites emails, Facebook et nos smartphones maintenant? Avec la géolocalisation, on se voit suggérer sur notre chemin des restaurants ou divers prestataires de services selon notre profil de consommateur. Bientôt notre Google Car ou Tesla nous amènera directement au plus proche Sushi bar lorsqu’elle aura identifié un gargouillement d’estomac, ou à la pharmacie si après déjeuner nous avons le malheur de lâcher un petit rot (ou pire…). 

Dans un avenir proche, il n’y aura même plus besoin de prendre de décisions. Des algorithmes le feront à notre place. Et notre libre arbitre dans tout ca? Mais cher Monsieur, on s’en fiche, le but est justement de vous simplifier la vie. Compris, mais à ce rythme, c’est surtout le consommateur qui va devenir simple… d’esprit. Mais c’est parfait, cher Monsieur, comme ça il n’y aura pas besoin de lui proposer trop de choix, on va pouvoir niveler l’offre par le bas, ça va permettre des économies d’échelle. Et de la croissance, bien sûr.

«Le but, ou en tout cas la conséquence,
est de reprogrammer la jeune génération.»

Aussi, je ne m’étonne qu’à moitié quand ma fille me dit qu’à un dîner, une gamine de 13 ans lui lâchait d’un air atterré: «quoi, t’as jamais pris de la beuh (ndlr de la marijuana)? Moi j’étais tellement bourrée l’autre soir, je ne savais même plus ce que je disais». Ben oui, on commence plus tôt de nos jours, parce que les pubs, ce ne sont plus juste les réclames de nos grand-mères, c’est tout le contenu multimédia balancé à tout va sur Netflix et le Net dont le but, ou en tout cas la conséquence, est de reprogrammer la jeune génération qui trouve parfaitement cool d’être exposée à de la violence, de la sexualité hybride et des robots à tous les coins de rue. Essayez de proposer à vos rejetons un piquenique dominical au temps des campanules. Des Campa quoi? C’est nul ton plan!  

La GDPR est sans doute une bonne chose, dans ce monde de brutes où quelques grammes de bon sens ne sont pas de trop. Ce qui n’a pas empêché Facebook de proposer à ses usagers soit de tout accepter, soit de clôturer leur compte. Ce qui n’est pas un vrai choix, il faut bien le dire. D’ailleurs Facebook et Google viennent de se prendre un procès pour 8,8 milliards de dollars au lendemain de la GPDR par l’activiste autrichien Max Schrems.

Mais heureusement Hillary Clinton se verrait bien CEO de Facebook. Tout va bien, donc. Oui, celle-là même qui est parvenue à faire en sorte que Loretta Lynch, la Procureur Générale des Etas-Unis, intercède auprès du FBI pour qu’il soit fait référence au Clinton Matter plutôt qu’au Clinton Investigation, dans le scandale des emails sur son serveur privé. Ca faisait plus neutre. Elle devait d’ailleurs avoir un bon publiciste….

PS: petit message aux publicistes: vous ne voudriez pas faire une publicité pour inciter les gens à recouvrer une forme d’esprit critique? Parce qu’à force de les abrutir, vos consommateurs, vous allez en faire des décérébrés complets et il n’y aura même plus besoin de pub pour les convaincre. Et vous, vous n’aurez plus de job…

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