L’industrie suisse ne craint pas le franc fort
Pour sa dernière intervention devant la presse en tant que Président de la Banque Nationale Suisse, Thomas Jordan a prévenu: quoi que fasse la BNS, le franc risque de s’apprécier contre euro. Afin de garder la tête hors de l’eau, les exportateurs suisses devront donc continuer à réduire leurs coûts pour rester compétitifs face à la concurrence étrangère.
De quoi saper le moral des entreprises suisses. Alors que Swissmem, l’association professionnelle de l’industrie des machines, des équipements et de la métallurgie avait alerté ces derniers mois sur l’impact négatif de l’appréciation continue du CHF pour les industries exportatrices, c’est maintenant au tour de l’industrie horlogère de s’inquiéter et de lancer un appel en faveur d’une intervention sur ses réserves de change de la Banque Nationale Suisse.
Pourtant, les chiffres démontrent une réalité qui continue d’impressionner le monde entier: malgré la globalisation et une appréciation continue du franc contre l’immense majorité des devises (pour rappel, dans les années 70, il fallait 10 francs suisses pour acheter 1 sterling et 4.5 francs pour acheter un dollar…), l’économie suisse résiste. Elle fait même beaucoup mieux que cela; en effet, comme le montre le graphique ci-dessous, la production industrielle Suisse a progressé de près de 40% depuis 2011, et ce malgré une appréciation de 25% du franc contre l’euro. Nos proches voisins ont-ils profité de la dépréciation de la monnaie unique pour faire mieux que nous? Il n’en est rien… Pire, la production industrielle n’a quasiment pas progressé en 15 ans. Et en Allemagne, elle a même reculé depuis 2011… Le contraste avec la Suisse est saisissant.
Production industrielle
(Indice rebasé à 100 au 1er janvier 2011)
Source: Factset, Banque Syz
Comment expliquer une telle surperformance de la Suisse par rapport à la zone euro?
En termes simples, cette divergence s’explique principalement par la présence en Suisse de quelques secteurs importants à très haute valeur ajoutée, qui se démarquent encore de la concurrence des économies émergentes: la pharmacie, l'horlogerie et la chimie.
En effet, malgré la hausse agrégée de 39,6% de la production industrielle suisse depuis 2011, de nombreux secteurs ont vu leur production diminuer au cours de cette période, sans doute en raison de la perte de parts de marché au profit de producteurs émergents plus compétitifs. Par exemple, la production a baissé dans les secteurs du textile (-27%), des équipements électriques (-11%), des produits métalliques (-12%) et des machines (-16%).
Toutefois, trois secteurs ont enregistré de fortes hausses de production sur la période, tirant la production industrielle de la Confédération vers le haut: il s’agit de l'industrie pharmaceutique (+189%), de l'horlogerie (+37%) et de la chimie (+67%).
L'industrie suisse est donc tirée vers le haut par ces trois secteurs, alors que l'industrie de la zone euro n'a pas pu s'appuyer de la même manière sur des secteurs d'excellence à forte valeur ajoutée et moins concurrentiels.
Dans la zone euro, et en particulier en Allemagne et en Italie, les deux principales industries de l'union monétaire, la concurrence croissante des producteurs émergents a entraîné une stagnation, voire un recul de la production industrielle depuis 2011.
La Suisse contre le reste du monde
Pour «élargir» le débat et la perspective, voici le même graphique sur la production industrielle (en base 100 au 01.01.2011) incluant toutes les grandes économies.
Production industrielle
(Indice rebasé à 100 au 1er janvier 2011)
Source: Bloomberg, Bank Syz
Il est intéressant de constater les points suivants:
- Sans surprise, c'est en Chine que la production industrielle a connu la plus forte croissance, même si le rythme de progression a ralenti ces dernières années.
- Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont récemment vu leur production industrielle revenir aux niveaux qui prévalaient avant la pandémie du Covid-19. Toutefois, la croissance sur les 15 dernières années a été faible, à peine mieux que la tendance à la baisse en Europe.
- Certaines économies émergentes ont obtenu de bons résultats (exemple: Inde, Mexique), notamment ces dernières années grâce au phénomène du «friendshoring» et «nearshoring». La performance de la Corée du Sud au cours des dernières années a été plus mitigée.
La tendance à la désindustrialisation des économies développées est clairement visible, en particulier en Europe mais aussi aux Etats-Unis. Les ambitions de «réindustrialisation» de ces économies (Trump voire Harris aux Etats-Unis, rapport Draghi en Europe) impliquent des investissements lourds et un changement significatif des politiques et des dynamiques.
La Chine n'est plus «le seul atelier du monde», même si elle reste de loin le principal (plus de 30% de la production industrielle mondiale est réalisée en Chine). L'Inde, portée par sa croissance intérieure et l'ouverture de son économie aux échanges, et le Mexique, qui bénéficie du reshoring/friendshoring américain, connaissent une forte croissance de leurs secteurs industriels.
La Suisse constitue une exception remarquable, grâce à ses secteurs hautement spécialisés et à forte valeur ajoutée, qui lui permettent de maintenir sa base industrielle malgré le déclin de la production de biens à plus faible valeur ajoutée, qui souffrent de la concurrence croissante des pays émergents.