Qu’est-ce que les «Kamalanomics»?

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

5 minutes de lecture

A quelques semaines des élections présidentielles américaines, c’est l’occasion de décrypter le programme économique et sociétal de la candidate à la Maison Blanche.

A la suite de la baisse des taux d'intérêt annoncée par la Réserve fédérale mercredi dernier, l'attention se tourne désormais sur le prochain grand événement aux Etats-Unis: l'élection présidentielle américaine. Le 5 novembre prochain, les électeurs se rendront aux urnes non seulement pour désigner leur futur président, mais aussi pour orienter l'avenir des politiques et des réformes du pays. Initialement prévue comme une revanche de l'élection de 2020 entre le président Joe Biden et l'ancien président Donald Trump, la course a pris une tournure différente lorsque Biden s'est retiré fin juillet, laissant sa vice-présidente Kamala Harris se présenter comme la candidate démocrate.

A l'approche de l'élection, le programme économique de Harris, communément appelé «Kamalanomics», gagne en visibilité. Cet article en explore les principaux piliers.

Qui est Kamala Harris?

Kamala Devi Harris est la 49e vice-présidente des Etats-Unis, actuellement en fonction sous l'administration Biden. Née le 20 octobre 1964 à Oakland, en Californie, de parents immigrés originaires d'Inde et de Jamaïque, elle marque l'histoire en devenant la première femme, la première Afro-Américaine et la première personne d'origine sud-asiatique à occuper ce poste. Avant d'être élue vice-présidente, Harris a exercé les fonctions de sénatrice des Etats-Unis pour la Californie (2017-2021). Aujourd'hui, elle est la candidate du Parti démocrate pour l'élection présidentielle de 2024.


Source image : White House

 


A l'exception de quelques propositions communes, telles que la protection des industries américaines contre la concurrence étrangère, la suppression des taxes sur les pourboires et la relance du marché immobilier, le programme de Harris est diamétralement opposé à celui de son adversaire républicain, Donald Trump.

Kamala Harris s'aligne sur des politiques économiques de centre-gauche. Elle a toujours affirmé que le renforcement de la classe moyenne serait l'un des objectifs clés de sa présidence, en mettant l'accent sur des mesures telles que des allégements fiscaux, l'accès à un logement abordable et la réduction des coûts des produits essentiels.

Allégements fiscaux pour la classe moyenne

La politique fiscale de Kamala Harris vise à soutenir les ménages à revenus faibles et moyens. Son plan s’inscrit dans une démarche plus large de réduction des inégalités de revenus et de répartition plus équitable de la charge fiscale. Le programme de soutien aux familles et aux ménages à revenus modestes sera financé par une augmentation des impôts sur les grandes entreprises et les individus fortunés. En continuité avec l'administration de Joe Biden, Harris s'engage à ne pas augmenter les impôts pour les personnes gagnant moins de 400’000 dollars par an. Elle propose également de supprimer les taxes fédérales sur les pourboires, afin d'alléger la charge fiscale des travailleurs du secteur des services.

La candidate démocrate promet de rétablir et d’élargir le crédit d’impôt pour les ménages ayant des enfants, mis en place par l’administration Biden en 2021 mais expiré l’année suivante. Harris souhaite rendre ce crédit permanent, en offrant jusqu'à 3600 dollars par enfant et en introduisant un crédit de 6000 dollars pour les familles avec des enfants de moins d'un an.

Si le plan de Harris allège la charge fiscale des familles à revenus moyens et modestes, il transfère une plus grande part de cette charge aux plus fortunés et aux grandes entreprises. Son programme prévoit l’annulation partielle des baisses d'impôts adoptées sous Trump en 2017, en augmentant le taux d'imposition des sociétés de 21% à 28%, ce qui serait l'un des taux les plus élevés parmi les économies avancées. A l'inverse, Donald Trump prône une réduction supplémentaire de ce taux, à 15%.

La relance du marché immobilier

L'accès au logement est l'un des enjeux les plus pressants de cette élection présidentielle. D'après Zillow, les Etats-Unis accusent un déficit de 4,5 millions de logements, et Bloomberg rapporte que l'accession à la propriété est aujourd’hui plus difficile pour les revenus moyens qu'à n'importe quel moment au cours des 17 dernières années. Le plan de Harris s'attaque aux deux volets de cette crise: l'offre et la demande.

Du côté de la demande, le plan de Harris propose une aide pouvant aller jusqu'à 25’000 dollars pour le versement initial des primo-accédants, avec un soutien supplémentaire pour les acheteurs de première génération. Elle prévoit également un crédit d'impôt de 10’000 dollars pour les acheteurs accédant à la propriété pour la première fois.

En ce qui concerne l'offre, Harris ambitionne d'améliorer l'accès au logement en augmentant l'offre immobilière et en réduisant les coûts des loyers. Son programme prévoit la construction de 3 millions de nouveaux logements sur les quatre prochaines années, avec des incitations fiscales pour encourager la construction de logements abordables et de maisons pour primo-accédants. Elle propose également la création d'un fonds d'innovation de 40 milliards de dollars pour stimuler de nouvelles méthodes de construction et reconvertir les terrains fédéraux sous-utilisés en logements abordables. Par ailleurs, Harris entend lutter contre la hausse des loyers en interdisant les outils algorithmiques utilisés par les propriétaires pour manipuler artificiellement les prix et en supprimant les avantages fiscaux accordés aux investisseurs qui achètent en masse des maisons individuelles.


Source: Bloomberg

 


Interdire le «price gouging» des produits alimentaires

Le «price gouging», ou hausse abusive des prix, désigne la pratique consistant à augmenter démesurément les prix des biens de première nécessité, souvent en période de crise ou de pénurie. Kamala Harris a été comparée au président Nixon, quand il avait imposé un contrôle des prix en 1971 pour tenter de freiner l'inflation. Cependant, l'approche de Harris est assez différente. Plutôt que d'imposer des contrôles généralisés dans tous les secteurs, Harris se concentre spécifiquement sur la lutte contre les hausses abusives des prix dans le secteur alimentaire, où les grandes chaînes continuent de maintenir des prix élevés malgré la stabilité des coûts de production.

Son plan prévoit une interdiction fédérale des hausses abusives des prix des denrées alimentaires, en donnant à la Federal Trade Commission (FTC) et aux procureurs généraux des Etats le pouvoir d'enquêter et de sanctionner les entreprises qui exploitent les consommateurs en gonflant les prix. De plus, elle entend s'attaquer à la concentration des entreprises dans l'industrie alimentaire. Son programme inclut des mesures pour lutter contre certaines fusions et acquisitions, tout en soutenant les petites entreprises, les agriculteurs et les épiceries indépendantes, afin de garantir un marché plus équitable pour les consommateurs.

Bien que les mesures contre les hausses abusives des prix soient souvent qualifiées de gestes politiques populistes, elles sont déjà appliquées dans 37 des 50 Etats américains. Au Texas, par exemple, les entreprises sont interdites de «demander un prix exorbitant ou excessif» pour des biens essentiels comme la nourriture et le carburant lors de crises.


Source: Data for progress

 


Système de santé abordable

La politique de santé de Kamala Harris se concentre sur la réduction du coût des médicaments sur ordonnance et l'allègement du fardeau financier des soins médicaux. L'une de ses propositions est d'étendre le plafond mensuel de 35 dollars pour l'insuline, ainsi que la limite annuelle de 2000 dollars pour les dépenses personnelles liées aux médicaments, afin d'inclure tous les Américains, et pas seulement ceux bénéficiant de Medicare.

De plus, Harris souhaite accélérer les négociations de Medicare sur les prix des médicaments pour réduire plus rapidement le coût des traitements. Elle prévoit de cibler les fabricants de médicaments et les gestionnaires de prestations pharmaceutiques qui adoptent des pratiques anticoncurrentielles ou bloquent l'accès à des alternatives abordables.

En outre, Harris prévoit de collaborer avec les Etats pour annuler les dettes médicales de millions d'Américains et pour empêcher l'accumulation de ces dettes à l'avenir, car, comme indiqué dans son programme officiel, «personne ne devrait faire faillite simplement parce qu'il a eu le malheur de tomber malade ou de se blesser».

Réforme de l’immigration

Kamala Harris soutient le projet de loi bipartite sur la sécurité des frontières, qui vise à améliorer la gestion frontalière en renforçant les effectifs, tout en s’attaquant aux problèmes critiques tels que le trafic de fentanyl.

Parmi ses priorités figure la mise en place d'une réforme globale de l’immigration, incluant un «accès mérité à la citoyenneté» pour les immigrés sans papiers qui vivent aux Etats-Unis depuis de nombreuses années et contribuent activement à la société et à l’économie américaine. Harris entend également abolir les programmes d’État qui permettent aux forces de l’ordre locales d’assumer des fonctions d’agents de l’immigration, dans le cadre de son engagement à protéger les droits des immigrés.

Politique tarifaire bipartite

La nécessité de faire face au mercantilisme agressif de la Chine est l'un des rares points d'accord entre démocrates et républicains. Sous l'administration Biden, avec Kamala Harris en tant que vice-présidente, plusieurs mesures ont été prises pour restreindre les exportations de technologies américaines vers la Chine, tout en augmentant les droits de douane sur des importations chinoises stratégiques, telles que les semi-conducteurs, les véhicules électriques, l'acier et les produits médicaux. Si elle est élue, Kamala Harris entend maintenir ces droits de douane et restrictions commerciales, tout en envisageant d'introduire de nouveaux tarifs ciblés dans des secteurs clés. Elle propose également de renforcer le soutien aux industries nationales afin de protéger davantage l'économie américaine contre la concurrence étrangère.

Les déficits budgétaires ne sont pas près de disparaître

Lors du premier, et potentiellement dernier, débat présidentiel entre Kamala Harris et Donald Trump, des questions telles que l'immigration et la géopolitique ont été abordées. Toutefois, un sujet fondamental a été omis : le déficit budgétaire. Les programmes des deux candidats devraient entraîner une augmentation significative de la dette américaine, qui dépasse actuellement 35’000 milliards de dollars, soit 120% du PIB.

Les promesses de Donald Trump, en particulier la prolongation des réductions d'impôts de 2017 et la baisse du taux d'imposition des entreprises à 15%, devraient, selon les estimations du Penn Wharton Budget Model, accroître le déficit de 5800 milliards de dollars au cours des dix prochaines années. Trump soutient que ces baisses d'impôts stimuleront la croissance économique, et prévoit de compenser la perte de recettes fiscales par les droits douaniers sur les importations.

De son côté, Kamala Harris propose d'augmenter les impôts des grandes entreprises et des hauts revenus pour financer l'expansion de ses programmes sociaux. Cependant, même avec ces augmentations fiscales, le déficit continuerait à croître. Selon les estimations du Penn Wharton, le programme de Harris ajouterait environ 1200 milliards de dollars au déficit au cours de la prochaine décennie.


Source : Reuters

 


Conclusion

Dans moins de deux mois, les électeurs se rendront aux urnes pour élire le prochain président des Etats-Unis. Le programme économique de Kamala Harris, ou «Kamalanomics», repose sur le renforcement de la classe moyenne à travers des allégements fiscaux, un accès au logement abordable, la lutte contre les hausses abusives des prix et une réforme du système de santé. La vision de Kamala Harris saura-t-elle convaincre les Américains? Seul le temps, et le verdict des urnes, le diront. 

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