Prêts directs européens: trois tendances à surveiller

Orla Walsh, Barings

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Les gestionnaires les plus performants ont le vent en poupe. Un éventail d’opportunités s’étend au-delà du Royaume-Uni. Les sponsors en font plus avec moins de gestionnaires.

©Keystone

 

Le marché des prêts directs connaît une croissance considérable depuis plus de 10 ans, l'Europe représentant une part importante de ce marché. Bien qu’il soit encore plus petit que son homologue nord-américain, le marché européen des prêts directs est aujourd’hui estimé entre 500 et 1000 milliards de dollars.1 Comme en Amérique du Nord, cette croissance a été principalement tirée par le repli des banques. Les lignes directrices sur les prêts à effet de levier et d'autres réglementations ayant réduit les prêts bancaires, des possibilités sont apparues pour les prêteurs en dehors du secteur bancaire d'intervenir et de financer des transactions que les banques ne peuvent plus soutenir.

Pour les investisseurs, il est important de comprendre la manière dont le paysage des prêts directs a évolué parallèlement à sa croissance rapide, et de s’associer à des gestionnaires bien positionnés pour identifier des opportunités attrayantes tout en maîtrisant efficacement les risques. Dans ce contexte, trois tendances clés se dessinent dans le paysage actuel des prêts directs, qui méritent d’être surveillées pour déterminer leur potentiel de performance dans les mois et les années à venir.

1. La concurrence est forte, mais les gestionnaires les plus performants ont le vent en poupe  

En Europe, de nouveaux gestionnaires ont afflué sur le marché des prêts directs depuis cinq ans, donnant lieu à une concurrence accrue. Cela étant, le flux d'opérations a continué à se consolider autour de gestionnaires moins nombreux, plus grands et plus stables, qui jouissent à la fois d'une certaine envergure et d'une certaine expérience. En 2024, par exemple, les cinq premiers gestionnaires représentaient environ la moitié des transactions réalisées en Europe.2 Ainsi, alors que la concurrence est forte, les points d'accès, en particulier sur le marché traditionnel ou le marché core-mid, se sont rétrécis.

L’intensification de la concurrence sur le marché, conjuguée au ralentissement des flux d’opérations et à l’atonie de l’activité de fusions-acquisitions, a eu un impact sur les conditions et les structures de prix des opérations, même si l’ampleur de cet impact dépend de l’endroit où le gestionnaire effectue des opérations. Par exemple, si ces dynamiques ont globalement entraîné un resserrement des prix, la compression des marges est plus prononcée sur le marché upper-mid. Sur le marché core-mid, les conditions semblent plus favorables. Malgré le resserrement des spreads, les rendements d’origination sont restés robustes en raison de taux de base toujours élevés, à environ 9,5% sur les 12 derniers mois jusqu’en mars.3 Le marché continue également d'offrir une prime par rapport au marché des loans syndiqués, de l'ordre de 250 à 300 points de base, ce qui suggère que les sponsors en capital-investissement restent prêts à payer une prime en échange de la résilience, de la fiabilité et de la certitude de l'exécution.4  

En outre, il convient de noter que la faiblesse des flux de transactions a constitué un problème plus important pour les plateformes qui dépendent fortement des fusions-acquisitions pour l’origination et la croissance. Cela a été moins préoccupant pour les prêteurs établis disposant de portefeuilles importants et de la capacité à identifier des opportunités différenciées, ainsi qu’à déployer des capitaux via des opérations d’origination off-marketou des opérations add-ons. En d'autres termes, lorsqu'il s'agit d'accéder aux opportunités sur le marché core-mid, l'expérience et la taille sont des éléments décisifs et continueront probablement à être à l'origine d'un nombre important d'opérations et d'opportunités à mesure que les sponsors augmenteront leurs investissements. Une base de capital stable et permanente, notamment alignée sur un portefeuille d’actifs large et diversifié, peut également être un avantage, permettant aux gestionnaires de continuer à déployer des capitaux à des prix attractifs, même si le volume des transactions fluctue.

2. Un éventail d’opportunités qui s’étend au-delà du Royaume-Uni

Il y a cinq à 10 ans, le crédit privé était largement considéré comme une stratégie satellite, la plupart des investisseurs institutionnels allouant environ 1% à cette classe d’actifs - et ce 1% concernait principalement les prêts directs traditionnels du mid-market. Aujourd’hui, nombre d’investisseurs ont augmenté leurs allocations de crédit privé à plus de 20%, comprenant souvent une grande variété de sous-stratégies et couvrant plusieurs régions. En Europe, par exemple, le Royaume-Uni a été le premier pays à adopter des prêts directs à grande échelle; jusqu’à il y a cinq ans, 70% à 80% du volume ou des émissions de prêts sur le marché européen se produisaient au Royaume-Uni. Viennent ensuite la France, l'Allemagne et les pays du Benelux, suivis plus récemment par les pays d'Europe du Sud comme l'Espagne et l'Italie. Bien qu'il existe des opportunités de qualité dans toutes ces régions, 90% du volume des transactions se répartissent entre le Royaume-Uni, la France et la région DACH, les opportunités dans les pays du sud de l'Europe continuant à se développer.

Les investisseurs envisagent également de plus en plus des stratégies mondiales qui couvrent l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie-Pacifique, dans le but de capter de la valeur relative dans toutes les régions. Une approche globale présente des avantages multiples, en particulier lorsque les investisseurs privés cherchent à cartographier leur exposition plus large aux entreprises. D’une part, elle accroît l’éventail d’opportunités d’investissement et, par extension, permet aux gestionnaires de crédit privés d’investir de manière plus sélective. Dans la mesure où la dynamique concurrentielle fluctue (et diffère) selon les régions géographiques, une approche globale permet également aux gestionnaires de développer efficacement un portefeuille bien diversifié sans avoir à investir dans les actifs d’une région donnée à un moment où leur valeur relative est moins attrayante. La possibilité de modifier les allocations en fonction des conditions du marché peut également fournir une couverture naturelle contre les risques spécifiques à chaque région.

Mais ces stratégies, qu’elles soient paneuropéennes ou mondiales, restent complexes. Chaque marché et chaque juridiction possède son propre système juridique et son propre régime fiscal, renforçant ainsi la nécessité de disposer d'équipes importantes et hautement spécialisées, dotées d'une expertise locale et de compétences linguistiques, ainsi que d'une compréhension approfondie des dynamiques qui animent chaque marché.

3. Les sponsors en font plus avec moins de gestionnaires

Les sponsors expriment un intérêt grandissant pour des opérations qui impliquent peu de gestionnaires, et cherchent des moyens stratégiques de créer de la valeur tout en réduisant leur base de coûts au fil du temps. Pour beaucoup, cela implique de nouer des partenariats avec des gestionnaires capables de fournir des solutions sur mesure, à même de soutenir les trajectoires de croissance à long terme des entreprises, tandis que les besoins de financement évoluent. Dans certains cas, cela implique de travailler avec un prêteur mondial, capable de fournir des solutions de financement dans plusieurs devises et dans différentes juridictions. Si un sponsor basé à Londres souhaite acquérir une nouvelle entreprise à Paris ou à Boston, par exemple, il y a un avantage matériel à travailler avec un gestionnaire existant en mesure de financer à la fois en dollars et en euros, et qui possède une connaissance approfondie du paysage juridique nord-américain ou français.

En outre, de nombreux sponsors tiennent compte à la fois des besoins de financement actuels et futurs, parfois sur deux à trois ans. La désintermédiation bancaire n’en est qu’à ses prémices et, à mesure que les bilans des banques continuent de se contracter, les gestionnaires capables de proposer une gamme élargie de solutions de financement seront probablement avantagés. Outre le prêt direct senior, cela pourrait inclure des domaines tels que les situations spéciales, le financement de portefeuille, le financement adossé à des actifs et les co-investissements en actions, jusqu’au marché du crédit public.

En fin de compte, les prêteurs qui possèdent les capacités et l'envergure nécessaires pour répondre à ces exigences sont bien placés pour servir de partenaires stratégiques aux sponsors et trouver des opportunités d'investissement attrayantes, tout au long du cycle, pour les investisseurs.


1 Source: Préqin. A mars 2025. 
2 Source: Houlihan Lokey. A décembre 2024. 
3 Source: Barings. A mars 2025. 
4 Source: Barings, Credit Suisse. a mars 2025.

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